Le tragique se nourrit depuis toujours de la laideur de la vie

Opéra
Critique

Le tragique se nourrit depuis toujours de la laideur de la vie

Le 28 Sep 2021
Parsifal de Richard Wagner, mise en scène Romeo Castellucci, La Monnaie, 2011. Photo Bernd Uhlig.
Parsifal de Richard Wagner, mise en scène Romeo Castellucci, La Monnaie, 2011. Photo Bernd Uhlig.

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Parsifal de Richard Wagner, mise en scène Romeo Castellucci, La Monnaie, 2011. Photo Bernd Uhlig.
Parsifal de Richard Wagner, mise en scène Romeo Castellucci, La Monnaie, 2011. Photo Bernd Uhlig.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 144-145 - Opéra et écologie(s)
144 – 145

2011 : Romeo Castel­luc­ci crée Par­si­fal à Brux­elles, sa pre­mière mise en scène d’opéra. La même année, Lars von Tri­er présente Melan­cho­lia à Cannes. Le spec­ta­cle et le film ren­con­trent un accueil pas­sion­né, mais, éton­nam­ment, la réponse sin­gulière et puis­sante à la crise envi­ron­nemen­tale qui les con­stitue l’un et l’autre passe qua­si­ment inaperçue. Le temps clar­i­fie les œuvres vision­naires : dix ans plus tard, il nous est devenu presque incom­préhen­si­ble que la parabole de Lars von Tri­er – une human­ité con­fron­tée à sa fin annon­cée – n’ait pas été immé­di­ate­ment lue en regard du réchauf­fe­ment glob­al. La reprise prévue, mais annulée, du spec­ta­cle nous aurait per­mis de savoir s’il aurait, lui aus­si, réson­né dif­férem­ment en 2021. La cap­ta­tion qui nous en reste per­met d’explorer cette hypothèse.

« Ce Par­si­fal com­mence dans la forêt monta­gneuse et s’achève en ville », écrit Castel­luc­ci dans le pro­gramme. Le pre­mier acte s’ouvre en effet sur un décor spec­tac­u­laire que son con­cep­teur a voulu hyper­réal­iste : une forêt splen­dide, qui envahit toute la cage de scène de la Mon­naie ; et le troisième acte, au plus loin de la prairie fleurie imag­inée par Wag­n­er pour « l’enchantement du Ven­dre­di saint », se déroule sur un plateau nu, jonché de détri­tus et de déchets en plas­tique. Par­si­fal vient s’y fon­dre dans une foule anonyme, qui avance sur place : trois cents fig­u­rants (par­mi lesquels les cho­ristes) sur un tapis de marche, à l’avant-scène, face à nous. Dans les dernières sec­on­des, descend en fond de scène l’image immense d’une ville ren­ver­sée.

D’une nature sub­lime à l’aridité d’un monde urbain déchu : quel est donc ce tra­jet, pure­ment inven­té par le met­teur en scène pour un opéra dont le livret, à l’inverse, ramène le héros à son point de départ ? À cette ques­tion Castel­luc­ci, comme tou­jours, répond par une note d’intention moins faite pour éclair­er que pour ali­menter l’énigme : 

La ville est depuis tou­jours la scène trag­ique de l’expérience humaine. Elle représente à la fois la com­mu­nauté au niveau le plus élevé et la laideur de la vie com­mune qui atteint l’homme au cœur même de la foule, quand il se rend compte qu’il ne peut com­mu­ni­quer vrai­ment : il s’agit d’une soli­tude plus dense et plus pro­fonde qui vous envahit au cœur d’une société à laque­lle vous appartenez, mais dont vous vous sen­tez intime­ment et défini­tive­ment séparé. Le regard trag­ique sur la laideur de la ville peut trans­former l’horreur en épiphanie d’une beauté toute nou­velle. Le trag­ique se nour­rit depuis tou­jours de la laideur de la vie.

Si un tel pro­pos ne se décor­tique pas dra­maturgique­ment, ses para­dox­es, ses oxy­mores, ses obscu­rités sont autant de sésames pour revenir au con­cret de la scène, à ce qu’y sont théâ­trale­ment la ville et la forêt. Loin de s’opposer dans un rousseauisme pri­maire, ces expéri­ences se don­nent ici comme le rec­to et le ver­so d’un même rap­port au monde – celui d’une human­ité en appel de sens, con­fron­tée à l’énigme de sa pro­pre présence. 

Entrons donc dans la matière du spectacle 

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Roméo Castellucci
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Anne-Françoise Benhamou
Anne-Françoise Benhamou est professeure en Études théâtrales à l’ENS-PSL et dramaturge.Plus d'info
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