Un Stabat Mater au féminin pluriel

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Théâtre

Un Stabat Mater au féminin pluriel

Le 26 Oct 2023
Maud Pougeoise, Myriam Jarmache dans Stabat Mater d’après Domenico Scarlatti, une création La Phenomena / La Tempête, mise en scène Maëlle Dequiedt, direction musicale et arrangements Simon-Pierre Bestion, Les Bouffes du Nord, octobre 2023. Crédit Christophe Raynaud de Lage.
Maud Pougeoise, Myriam Jarmache dans Stabat Mater d’après Domenico Scarlatti, une création La Phenomena / La Tempête, mise en scène Maëlle Dequiedt, direction musicale et arrangements Simon-Pierre Bestion, Les Bouffes du Nord, octobre 2023. Crédit Christophe Raynaud de Lage.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 144-145 - Opéra et écologie(s)
144 – 145

Du 12 au 28 octo­bre, le Théâtre des Bouffes du Nord présente une créa­tion col­lec­tive des ensem­bles La Phe­nom­e­na et La Tem­pête mise en scène par Maëlle Dequiedt d’après une œuvre de Domeni­co Scar­lat­ti, Sta­bat Mater (com­posée sans doute entre 1714 et 1719), arrangée par Simon-Pierre Bestion. La dra­maturgie, signée par Simon Hatab, con­vie dans ce spec­ta­cle d’1h30, out­re le poème latin de Jaco­pone da Todi, sub­lime médi­ta­tion sur la vierge au pied de la croix, moult fois mis en musique depuis le moyen-âge, des frag­ments de La Vie matérielle de Mar­guerite Duras (1987), et de Dys­pho­ria Mun­di de Paul B. Pre­ci­a­do (2022). Dix instru­men­tistes chanteurs, qua­tre comé­di­ens. Des moyens scéno­graphiques affichant une cer­taine sobriété (un dis­posi­tif en gradin, où les musi­ciens appa­rais­sent d’abord comme des fig­ures sur un retable, un gros mate­las de gym­nas­tique, une gazinière, une grande bâche noire, quelques tabourets et acces­soires, une boîte, une bas­sine, des patates…). Des instru­ments de musique (et des styles musi­caux) de dif­férentes épo­ques – piano, accordéon, basse élec­trique, flûte tra­ver­sière, clar­inette, bugle et tuba, vio­lon­celle, per­cus­sions, scie musi­cale. Des cos­tumes qui con­no­tent plusieurs épo­ques, de la styl­i­sa­tion pic­turale au nou­veau réal­isme, du car­naval de car­ton aux vête­ments de notre temps. 

Une telle var­iété ren­voie au « théâtre musi­cal » con­tem­po­rain, à sa manière de priv­ilégi­er le jeu sur la représen­ta­tion, à son tro­pisme pour l’hybridation, à sa lib­erté par rap­port aux codes et aux canons. Plus que d’une « mise en scène d’une œuvre du passé », il s’agit là d’une vari­a­tion col­lec­tive sur les traces qui en per­sis­tent. Ceux qui s’attendraient à décou­vrir, comme tirée d’un sar­cophage, l’œuvre anci­enne mais toute fraiche encore de Scar­lat­ti, peu­vent pass­er leur chemin. Ou rester. Car ce Sta­bat mater cherche à trans­met­tre ce qui tout à la fois sub­siste et nous échappe, ce qui s’éloigne et nous transperce. Ce qui nous reste, à jamais, proche et étranger.

Sta­bat Mater d’après Domeni­co Scar­lat­ti, une créa­tion La Phe­nom­e­na / La Tem­pête, mise en scène Maëlle Dequiedt, direc­tion musi­cale et arrange­ments Simon-Pierre Bestion, Les Bouffes du Nord, octo­bre 2023. Crédit Christophe Ray­naud de Lage.

La musique, comme les objets religieux, ne per­sis­tent que dans le temps, la reprise, l’interprétation. Ou, aurait dit Bruno Latour, la tra­duc­tion. Bien sûr, cette œuvre, com­mandée au com­pos­i­teur pour un usage stricte­ment religieux (peut-être était-elle des­tinée à la Basilique Saint-Pierre), n’avait a pri­ori rien à voir avec le théâtre. Et con­traire­ment à d’autres œuvres sacrées qui font aujourd’hui les délices des met­teurs en scène (comme les ora­to­rios à sujets bibliques, les pas­sions qui racon­tent les derniers jours de la vie de Christ, et même les mess­es qui suiv­ent un cer­tain rit­uel), le texte de Jaco­pone da Todi n’est pas dra­ma­tique, au sens théâ­tral du terme. 

Il est d’abord une médi­ta­tion sur la souf­france morale inde­scriptible endurée par la vierge :

Elle se tient en pleurs face à son fils pen­du en croix.

  1. Le texte est ici celui de la « libre réécri­t­ure » de la pro­duc­tion, dans le pro­gramme du spec­ta­cle. ↩︎
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Maëlle Dequiedt
Simon-Pierre Bestion
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Isabelle Moindrot
Isabelle Moindrot est Professeure d'Études théâtrales à l'Université Paris 8, membre senior de l'Institut universitaire...Plus d'info
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