Multidiffusion sonore et espace scénographique

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Multidiffusion sonore et espace scénographique

Le 26 Avr 2022
Photo Justine Weber.
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Article publié pour le numéro
146

Au théâtre, nous jouons avec l’espace. La déf­i­ni­tion de cet espace est une quête récur­rente de chaque créa­tion. Depuis de nom­breuses années, je m’interroge à pro­pos de sa nature et de sa médi­ati­sa­tion. Comme beau­coup de con­cep­teurs-rices sonores pour le théâtre, je me ques­tionne sur l’écriture du son dans l’espace, le cœur même de notre méti­er.

Nos écoutes de l’espace

La recherche de formes sonores pour la scène pose prin­ci­pale­ment la ques­tion de la dif­fu­sion des médias. Un son enreg­istré n’existe que dans l’espace de sa dif­fu­sion. Cepen­dant, dis­pos­er des enceintes dans la zone d’écoute ne suf­fit pas à définir un lieu. Les haut-par­leurs ne sont que la dernière étape de mul­ti­ples proces­sus. Com­ment alors esquiss­er les élé­ments struc­turels d’une écri­t­ure dans les trois dimen­sions ?

Notre rap­port à l’environnement sonore est sin­guli­er. Nous appréhen­dons l’espace avec notre pro­pre cul­ture. Tout le monde n’est pas sen­si­ble aux mêmes sonorités et cha­cun entend l’environnement sonore dif­férem­ment. Écouter, c’est se posi­tion­ner dans le monde, trou­ver sa place dans le milieu où l’on se situe. Dans un envi­ronne- ment sonore intrusif, le besoin de s’échapper, de fuir est irrémé­di­a­ble… Je n’ai pas de place dans cet espace ! Si notre écoute est sin­gulière, elle est aus­si dif­frac­tée. Nous enten­dons les sons autour de nous, mais notre écoute n’est pas homogène. Chaque son qui nous entoure, proche ou loin- tain, est perçu de manière très dif­férente. Nous avons la capac­ité de nous focalis­er sur les sons que nous sélec­tion­nons en jouant avec l’espace. Nous pou­vons appréci­er le détail d’un son situé dans une pièce voi­sine et en nég­liger un autre, pour­tant plus proche de nous. La pré­ci­sion de notre per­cep­tion spa­tiale n’est pas homogène. Nous avons une grande fac­ulté à localis­er les élé­ments sonores situés devant nous, dans notre cône de vision. Sur les côtés, à gauche ou à droite, nous sommes moins pré­cis. Der­rière nous, la per­cep­tion est très impré­cise et nous ressen­tons le besoin de tourn­er la tête pour véri­fi­er visuelle­ment la cause du son alors perçu. Sur le plan ver­ti­cal, nous sommes encore moins capa­bles de localis­er pré­cisé­ment la sit­u­a­tion d’un son situé au-dessus de nous. La déf­i­ni­tion de la ver­ti­cal­ité passe sou­vent par des indices qui nous aident à pré­cis­er sa com­plex­ité. Par exem­ple, le tim­bre du son d’une goutte d’eau qui tombe au sol nous ren­seigne sur la hau­teur de son orig­ine. En effet, l’espace sonore est inscrit dans la matière même du son. Les élé­ments sonores qui arrivent à nos oreilles por­tent en eux l’espace où ils se propa­gent. Il n’y a pas de son sans espace1 et chaque matéri­au sonore est une sig­na­ture spa­tiale, même avec les sons de syn­thèse. L’utilisation, par­fois abu­sive, des effets de réver­béra­tion arti­fi­cielle révèle la néces­sité qui existe de tou­jours situer la matière sonore elle-même dans un espace. Un son trop « sec » ou trop « mat » ne son­nera pas, même s’il est local­isé dans un endroit par­ti­c­uli­er. L’aspect séman­tique des élé­ments sonores par­ticipe égale­ment à la local­i­sa­tion dans l’espace perçu. Le bruit d’une pelle qui creuse vient du sol, celui d’un avion vient du le ciel. Tous les sons ont une his­toire spa­tiale. Même abstraits, ils sont révéla­teurs de la dynamique qui leur a don­né nais­sance dans un lieu par­ti­c­uli­er. Il suf­fit d’en- ten­dre une femme en talons marcher hâtive­ment sur un trot­toir pour être trans­porté dans l’espace urbain d’un cen­tre-ville. Ces talons sig­nent aus­si des espaces soci­aux. Ils créent un rap­port par­ti- culi­er à la féminité et la rapid­ité du pas engen­dre des inter­ro­ga­tions. Pourquoi est-elle pressée ? Est- elle en dan­ger ? La déf­i­ni­tion d’un espace sonore est liée à l’histoire des sons qui le com­posent, à leurs dra­matur­gies pro­pres.

Nous sommes très sen­si­bles aux mou­ve­ments d’éléments sonores. Un déplace­ment, même mineur, attire instan­ta­né­ment notre atten­tion. Notre cerveau rep­tilien est en alerte. Ça bouge ! Et si ça bouge, c’est vivant ! Com­ment ce vivant induit par le mou­ve­ment peut-il être en phase avec le vivant du plateau ? Les physi­ciens nous l’on dit, un mou­ve­ment, c’est du temps dans l’espace. Mais les tem­po­ral­ités d’un mou­ve­ment sonore ne sont pas linéaires. Il peut accélér­er, ralen­tir, s’immobiliser puis repren­dre sa course. Sa géo­gra­phie n’est pas linéaire non plus. La tra­jec­toire peut être tor­due, hési­tante de droite à gauche, pour finale­ment revenir en arrière…

Le son d’un élé­ment acous­tique du plateau, un vio­lon­celle par exem­ple, peut s’échapper et par­tir dans la salle pour revenir ensuite à sa place d’objet acous­tique. Cette fac­ulté à saisir les mou­ve­ments, à les désign­er comme des entités pro­pres met en per­spec­tive la néces­sité de com­pren­dre le vocab­u­laire de ces mou­ve­ments sonores. Ils peu­vent être com­plex­es et ce sont de véri­ta­bles élé­ments d’écriture. Les musi­ciens con­tem­po­rains les ont inté­grés dans leurs com­po­si­tions, sou­vent avec tal­ent. Cepen­dant c’est un champ qui reste à explor­er au théâtre. Peu de créa­tions tra­vail­lent à cet endroit, le mou­ve­ment de sons en temps réel est une excep­tion dans les spec­ta­cles actuels. Enfin, notre écoute de l’espace est mul­ti­ple. Une mul­ti­plic­ité d’approches pour la dif­fu­sion sonore est donc néces­saire. Nous devons gér­er un nom­bre crois­sant de paramètres dans les tem­po­ral­ités vari­ables qui se dessi­nent au cours de la créa­tion. Il faut peut-être aujourd’hui ques­tion­ner nos habi­tudes de tra­vail au regard du besoin spé­ci­fique d’outils sou­ples et rapi­des à met­tre en œuvre.

Mul­ti­d­if­fu­sion, dif­fu­sion mul­ti­ple

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François Weber
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François Weber a réalisé le son ou l’image pour plus de cinquante créations. Enseignant et...Plus d'info
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