Entendre, voir et toucher la musique

Entretien
Musique
Performance

Entendre, voir et toucher la musique

Entretien avec Serge de Laubier

Le 22 Avr 2022
Méta-Instrument, conçu par Serge de Laubier. Photo PUCE MUSE.
Méta-Instrument, conçu par Serge de Laubier. Photo PUCE MUSE.

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Méta-Instrument, conçu par Serge de Laubier. Photo PUCE MUSE.
Méta-Instrument, conçu par Serge de Laubier. Photo PUCE MUSE.
Article publié pour le numéro
146

Serge de Laubier est le fon­da­teur de PUCE MUSE, une struc­ture sonore pio­nnière en arts numériques. Depuis 1982, il y imag­ine avec ses équipes des créa­tions sonores autour de la musique visuelle. Ingénieur du son de for­ma­tion et péd­a­gogue, il est égale­ment con­cep­teur du « Méta-Instru­ment » et de nom­breux logi­ciels. Ses créa­tions per­son­nelles mêlent musique, images et nou­velles tech­nolo­gies.

Qu’est-ce que PUCE MUSE exacte­ment ?

PUCE MUSE va avoir quar­ante ans en 2022. Au départ, c’était une petite struc­ture fondée par un groupe de com­pos­i­teurs qui sor­taient du Con­ser­va­toire Nation­al Supérieur de Musique de Paris, tous élèves de Pierre Scha­ef­fer. Dans un pre­mier temps, notre idée, prag­ma­tique et un peu sim­ple, était de faire des con­certs de musique élec­troa­cous­tique à Paris ‒ il n’y en avait pas beau­coup à l’époque ‒ en regroupant le matériel de cha­cun d’entre nous. Ensuite, des enjeux artis­tiques sont arrivés ; on s’est demandé pourquoi faire des con­certs, quel sens cela avait et on s’est demandé ce que l’on voulait dire. Il y a eu une évo­lu­tion au fil du temps.

Aujourd’hui on par­le de « musique visuelle vivante ». Là où cela frotte un peu selon moi, c’est que les musiques élec­troa­cous­tiques sont sou­vent unique­ment des musiques de sup­port. L’idée à PUCE MUSE, c’est plutôt d’inventer des manières de jouer et de ques­tion­ner ces musiques au sein des nou­velles tech­nolo­gies. Même si cela com­mence à se faire, cela reste encore bal­bu­tiant par rap­port aux espaces à par­courir. En ce qui con­cerne le visuel, nous ten­tons depuis longtemps de réfléchir à ce que l’on voit et à ce que l’on veut mon­tr­er quand on joue de la musique. Il y a deux pôles der­rière cette idée. Le pre­mier c’est qu’il s’agit d’aider à enten­dre – voir un musi­cien jouer en lisant une par­ti­tion par exem­ple. Ce sont des sit­u­a­tions anci­ennes dans lesquelles l’image joue et qui aident à enten­dre la musique. Le numérique élar­git encore plus cet espace. D’autre part, il y a un sec­ond pôle plus onirique et métaphorique selon lequel, au con­traire, on désire ne pas trop en voir en écoutant, pour pou­voir imag­in­er. Les deux pôles ont du sens et nous essayons d’imaginer des répons­es qui con­juguent les deux, en dévelop­pant, par exem­ple, des logi­ciels qui génèrent de l’image à par­tir du son. Ces pro­grammes qui avaient été imag­inés ini­tiale­ment pour les per­son­nes mal enten­dantes nous ont beau­coup aidé à avancer autour de ce tra­vail.

Com­bi­en êtes-vous à tra­vailler dans vos stu­dios ?

Nous sommes une petite équipe de huit per­son­nes. Nous essayons de flu­id­i­fi­er le tra­vail le plus pos­si­ble, aus­si cha­cun d’entre nous a plusieurs cas­quettes. Le tra­vail mené à PUCE MUSE est poly­mor­phe, poly­tech­nique et pol­yart ! Par exem­ple, notre chargée de com- muni­ca­tion a fait une thèse sur Andreï Tarkovs­ki, le chargé de pro­duc­tion est égale­ment com- posi­teur, l’administrateur est aus­si met­teur en scène, etc. La diver­sité des com­pé­tences est un for­mi­da­ble enrichisse­ment.

Com­ment tra­vaillez-vous avec les met­teurs en scène et les artistes de manière générale pour faire de la scène à par­tir du son ?

Il y a deux types de pro­jets. Ceux que l’on héberge et pour lesquels on nous passe com­mande et puis les créa­tions que je pilote. On fab­rique des instru­ments. On a égale­ment beau­coup tra­vail­lé à PUCE MUSE sur la pulpe des doigts, l’intelligence de la main. Elle est sou­vent mar­gin­al­isée par rap­port à cette notion « d’intelligence » si sou­vent prise au sens académique, ce qui je pense est une erreur. L’intelligence du geste est très impor­tante. On fab­rique des « méta- instru­ments », des instru­ments sur lesquels on peut mod­élis­er des com­porte­ments d’instruments. Con­crète­ment on déval­ue les vari­ables et l’on observe com­bi­en de gestes simul­tanés on peut faire sur un instru­ment. Lorsque l’on a com­mencé, en 1988, nous étions sur seize gestes et les gens nous rétorquaient qu’au-delà de seize gestes simul­tanés c’était mon­strueux. C’est vrai et faux. Aujourd’hui nous sommes sur qua­tre-vingt-douze gestes exé­cuta­bles simul­tané­ment. Le tra­vail d’un musi­cien est tou­jours com­plexe. Le pas­sage entre le moment où l’on tra­vaille et celui où l’on joue est comme le pas­sage d’un hémis­phère à l’autre. En jouant, on passe une étape, la musique entre dans les mains, pénètre dans le corps. Et si à ce moment-là on réin­tel­lec­tu­alise le proces­sus, on se trompe et on se met à faire des fauss­es notes. La pen­sée musi­cale du corps est donc très forte et cela intéresse grande­ment.

C’est très présent dans l’une de vos dernières créa­tions, Le doux, le cacher et le ravisse­ment (2019) avec le mar­i­on­net­tiste- manip­u­la­teur Jean-Louis Heck­el, dans laque­lle vous jouez le son et les images du bout des doigts grâce à un instru­ment numérique con­sti­tué de qua­tre-vingt touch­es extrême­ment sen­si­bles.

Jean-Louis étant mar­i­on­net­tiste, il a ques­tion­né la main toute sa vie. Après avoir vu ses spec- tacles vidéo, les séquences très émou­vantes dans lesquelles il fil­mait les mains des gens, je lui ai pro­posé de faire une séquence de mains musi­cales. Nous avons égale­ment col­laboré pen­dant quinze ans avec Cather­ine Hos­pi­tel, une artiste plas­ti­ci­enne dis­parue en 2018, qui était aus­si dans l’aventure des mains. On a beau­coup tra­vail­lé avec elle sur le ver­tige entre réel et virtuel. C’est une explo­ration que l’on con­tin­ue, pour la Nuit Blanche de sep­tem­bre 2021, avec un orchestre d’organistes manip­u­la­teurs virtuels dont les images sont pro­jetées et qui jouent avec un organ­iste réel, bien présent. Le jeu c’est d’arriver à être sur une ligne, un pas­sage le plus con­tinu pos­si­ble et de déclencher des ver­tiges, d’ouvrir de nou­veaux espaces sur ce pas­sage que l’on ne con­nait plus très bien. On forme aus­si des gens pour

con­stituer des orchestres de manip­u­la­teurs de sons et d’images.

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Photo de Marjorie Bertin, Crédit Anthony Ravera RFI
Marjorie Bertin
Docteur en Études théâtrales, enseignante et chercheuse à la Sorbonne-Nouvelle, Marjorie Bertin est également journaliste à...Plus d'info
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