Hors-norme : autour de Vu d’ici

Entretien
Théâtre

Hors-norme : autour de Vu d’ici

Entretien avec Quentin Dumay

Le 28 Avr 2022
Laurent Seron-Keller dans Vu d’ici, mise en scène Alexis Armengol, Château de Saint Chamand (Avignon), 2021. Photo Romain Tiriakan.
Laurent Seron-Keller dans Vu d’ici, mise en scène Alexis Armengol, Château de Saint Chamand (Avignon), 2021. Photo Romain Tiriakan.

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Laurent Seron-Keller dans Vu d’ici, mise en scène Alexis Armengol, Château de Saint Chamand (Avignon), 2021. Photo Romain Tiriakan.
Laurent Seron-Keller dans Vu d’ici, mise en scène Alexis Armengol, Château de Saint Chamand (Avignon), 2021. Photo Romain Tiriakan.
Article publié pour le numéro
146

For­mé à l’Ensatt après une Licence d’Arts du spec­ta­cle à Paris Nan­terre, Quentin Dumay est réal­isa­teur sonore. C’est un spec­ta­cle dont il a assuré la créa­tion sonore qui ouvre ici la dis­cus­sion : Vu d’ici, écrit et mis en scène par Alex­is Armen­gol en 2020. Sur le plateau, quelques élé­ments d’un intérieur d’appartement et deux frères : l’un est dit schiz­o­phrène, l’autre le prenant-soin, comme si le diag­nos­tic médi­cal avait mod­i­fié jusqu’aux ter­mes de la rela­tion frater­nelle. Nour­ri d’anti-psychiatrie et de psy­ch­analyse, le met­teur en scène ques­tionne avec justesse l’articulation pos­si­ble entre fra­ter­nité et schiz­o­phrénie et pense cette rela­tion au tra­vers du sonore en don­nant à ces deux frères un objet : la créa­tion d’un pod­cast radio­phonique. Dans les gradins, chaque spec­ta­teur dis­pose d’un casque, qu’il peut choisir de porter ou d’ôter selon les moments. Au-delà des vari­a­tions de dis­tance que ce dis­posi­tif crée – on se retrou­ve soudain au beau milieu de la cui­sine ou au con­traire à des kilo­mètres de l’appartement –, son intérêt tient surtout à l’expérience qu’il rend pos­si­ble : celle de l’entente de voix. Une expéri­ence qui plonge le spec­ta­teur dans un univers sonore par­fois inquié­tant où la rela­tion à l’autre est soudain libérée du poids du diag­nos­tic et s’affirme libre­ment dans une même action : celle de créer.

Le spec­ta­cle Vu d’ici pro­pose un dis­posi­tif sonore plutôt sin­guli­er : des casques pour les spec­ta­teurs et une tête bin­au­rale sur le plateau. Peux-tu nous racon­ter com­ment est venue cette idée et quel est son lien avec la dra­maturgie du spec­ta­cle ?

Ces deux propo­si­tions, la tête bin­au­rale et l’écoute au casque, sont dépen­dantes l’une de l’autre et liées au point de départ du pro­jet d’écriture et de spec­ta­cle d’Alexis [Armen­gol]. Deux frères, dont l’un est schiz­o­phrène et enten­deur de voix, se retrou­vent pour par­ler de leur his­toire frater­nelle et ils vont le faire autour de la créa­tion d’un pod­cast radio­phonique. Ce sont
ces élé­ments qui m’ont directe­ment ori­en­té vers ce par­ti-pris ; d’abord la tête bin­au­rale comme dou­ble du frère enten­deur de voix, ce qui impli­quait for­cé­ment un dis­posi­tif d’écoute au casque pour le spec­ta­teur. Il a fal­lu valid­er ce dis­posi­tif auprès de tout le monde, même moi. Pen­dant un pre­mier temps de répéti­tion, on nous a prêté des casques et un man­nequin sur lequel j’ai placé deux micros au niveau des oreilles. Alex­is s’est inspiré de ce dis­posi­tif pour faire ses pre­mières propo­si­tions de canevas, d’improvisations pour les comé­di­ens en prenant en compte cet objet de la tête bin­au­rale, ce qu’il impli­quait scénique- ment en ter­mes de jeu, de son.

Peux-tu nous expli­quer ce qu’est une tête bin­au­rale ?

Le principe du bin­au­r­al est, basique­ment, de restituer l’écoute naturelle humaine qui nous per­met de localis­er les sons non seule­ment sur l’axe gauche-droite mais aus­si en hau­teur et en pro­fondeur. Con­crète­ment, on recon­stitue une tête humaine et on place des micros au niveau des oreilles. La resti­tu­tion de ce dis­posi­tif de prise de son n’est pos­si­ble qu’avec un casque pour avoir cette sen­sa­tion de son à 360° : le casque per­met de coller les deux haut-par­leurs au niveau des oreilles et d’isoler au max­i­mum l’auditeur de l’environnement sonore extérieur. Ain­si, les mem­branes des micros de la tête bin­au­rale, celles des haut-par­leurs du casque et les tym­pa­ns de l’auditeur ne font presque plus qu’un. Il est alors pos­si­ble de restituer tous les phénomènes acous­tiques cap­tés par les micros : non seule­ment le dif­féren­tiel de temps d’arrivée du son entre l’oreille gauche et l’oreille droite (comme c’est déjà le cas avec un cou­ple de micros stéréo AB par exem­ple), mais aus­si toutes les réflex­ions qui se passent au niveau du nez, du vis­age, du pavil­lon de l’oreille. Cela per­met de restituer les deux autres axes avant-arrière et haut-bas et donc d’obtenir une écoute tridi­men­sion­nelle. C’est pour cette rai­son que la tête bin­au­rale doit vrai­ment avoir l’aspect d’une tête : pour retrou­ver l’incidence du vis­age sur les sons. Cer­tains dis­posi­tifs s’affranchissent de cette recon­sti­tu­tion en se con­tentant d’avoir le même espace­ment entre les oreilles mais plus on est fidèle au vis­age humain, plus on sera pré­cis en matière de local­i­sa­tion, de spa­tial­i­sa­tion des sons et dans les paysages sonores qui sont don­nés à enten­dre. Des lab­o­ra­toires vont jusqu’à pos­tuler que chaque per­son­ne ayant sa mor­pholo­gie pro­pre, il faudrait que chaque audi­teur puisse avoir un fil­trage bin­au­r­al qui lui soit pro­pre. Ils dévelop­pent des out­ils per­me­t­tant de « scan­ner » le vis­age et la forme des oreilles afin de génér­er un fil­tre à par­tir de l’empreinte obtenue. Ce fil­tre s’applique alors au sig­nal écouté par l’auditeur pour lui offrir une resti­tu­tion bin­au­rale la plus fidèle pos­si­ble.

Tu par­lais des con­séquences de ce dis­posi­tif sur le jeu des comé­di­ens et sur l’espace scénique, quelles sont-elles ?

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Création sonore
Quentin Dumay
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Chloe Larmet
Docteure en Arts du spectacle, Chloé Larmet mène une recherche sur les esthétiques scéniques contemporaines...Plus d'info
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