Sous Hosni Moubarak (1981 – 2011), le paysage théâtral égyptien est encadré par des institutions et une bureaucratie bien installées depuis les années 1950 et les transformations de l’époque nassérienne. Il existe donc bien en Égypte un théâtre public, mais vieillissant et étroitement lié au fonctionnement de l’État. Ce théâtre public a progressivement adopté les standards esthétiques et économiques du théâtre commercial apparu avec l’ouverture au libéralisme sous Anouar el-Sadate (1970 – 1981). En marge de ces secteurs, le théâtre indépendant, né à la fin des années 1980, apparaît comme le plus prometteur. Cependant, il demeure contraint par le manque de moyens, une surveillance étroite et une menace de censure opérant comme une « épée de Damoclès1 » au-dessus de la tête des artistes cherchant à s’émanciper de l’État et à développer des initiatives esthétiques et politiques à la scène.
La révolution de 2011 et l’épisode politique révolutionnaire s’étendant jusqu’au mois de juin 2013, ainsi que la reprise en main du pays par l’armée transforment cet équilibre et permettent aux artistes de déployer leur travail en lien étroit avec le contexte politique, reconfigurant le champ théâtral égyptien tout au long de la décennie suivante.
Théâtre(s) en révolution(s)
À la suite des mobilisations du 25 janvier 2011 et de la chute du président Moubarak le 11 février suivant, les institutions sont mises en suspens. Ainsi, les théâtres nationaux ferment momentanément leurs portes, et les praticien·ne·s y officiant choisissent, pour certain·e·s, de rejoindre la rue. Pour les artistes du mouvement indépendant, la suppression de toutes les instances de censures étatiques permet un développement exceptionnel de la production. Mais ce sont aussi des amateur·ice·s qui se convertissent à l’art du théâtre et de la performance à la faveur du mouvement révolutionnaire. Pour tous et toutes, et alors que les précédentes décennies ont été marquées par des difficultés financières, une surveillance étroite et un manque de lieux de création, l’ouverture de la rue, devenue espace de jeu, de performance, de propositions politiques et artistiques permet alors d’aller à la rencontre d’un nouveau public, présent, de fait, dans la rue.