Il y a toujours eu des spectacles de marionnettes dans l’espace public, mais leur fonction dans la société et leurs objectifs se sont transformés vers la fin du xxe siècle. Au Tof Théâtre, les représentations hors salle semblent vous tenir à cœur autant comme créateurs que comme programmateurs.
My-Linh Buy Nous avons organisé un colloque intitulé « Marionnettes et arts associés en espace public », à Genappe, en novembre 2021. En tant que programmateurs, nous nous sommes rendu compte avec des collègues que nous avions du mal à trouver des formes innovantes de marionnette dans cet espace. Alors que la marionnette est née dans la rue, elle n’a pas suivi le même développement que les arts de la marionnette en salle qui ont bénéficié de créativité, de dynamisme, et de beaucoup d’hybridations. Ce colloque avait pour but de susciter l’envie de créer de nouvelles formes, de faire se rencontrer les artistes et d’initier des collaborations. Il s’agissait aussi de réfléchir aux enjeux de la création en espace public.
Alain Moreau Pourquoi joue-t-on dans la rue ? Si on n’y retrouve pas la même recherche formelle, c’est peut-être parce que certains y vont par pis-aller : une manière de faire son métier, alors que c’est de plus en plus difficile d’être engagé dans une compagnie puis programmé dans des théâtres.
Est-ce que l’espace public est forcément la rue ? Il y a bien d’autres lieux à investir pour des artistes, hors théâtre.
MLB Pendant le colloque, Pascal Le Brun-Cordier a défini la notion d’espace public comme un espace du quotidien. Ça peut être un espace privé, ouvert au public, pas nécessairement la rue. Ça peut être aussi la nature. Par exemple, le Tof Théâtre a créé un spectacle pour un festival au Portugal qui a la spécificité de programmer dans les espaces naturels. Il a ainsi joué Soleil couchant sur une plage du sud du Portugal1 ; ou d’autres spectacles dans des maisons de retraite avec des marionnettes de taille humaine, ou dans des magasins sous forme d’entre-sort.
Alain, qu’est-ce qui a motivé votre choix de l’espace public pour certaines de vos créations ?
AM C’est toujours en fonction de ce que j’ai envie de raconter. À partir du moment où je décide de traiter un sujet, je cherche la manière de l’aborder et là où c’est le mieux de le faire. Je ne me mets pas de barrière en pensant qu’il faut forcément que ce soit dans une salle ou dans la rue. Ce n’est pas le lieu qui est au départ d’une création, c’est l’idée, la forme qu’elle va prendre. Ensuite, il s’agit d’aller au plus près du public auquel on a envie de s’adresser.
Par exemple, le spectacle J’y pense et puis… a été créé au plus fort de la crise migratoire, au moment où tous les médias nous abreuvaient d’images de migrants perdus en mer sur des rafiots de fortune, ou noyés. En tant qu’humain, j’ai eu envie de parler de ça. Je ne pouvais plus vivre sans faire ma part. Ma manière d’agir, c’est par le théâtre, j’ai donc imaginé de faire un spectacle autour de ce sujet et de ne pas le montrer à un public habitué au théâtre, mais d’aller dans la rue avec un camion de déménagement pour y faire entrer les spectateurs. Je voulais parler des grands déménagements dans tous les sens du terme. Par une courte mise en scène qui se passait d’abord à l’extérieur, on donnait l’envie au public de pénétrer à l’intérieur. On faisait rentrer trente-cinq spectateurs à la fois.
Comment a réagi ce public ?
AM Le spectacle était prévu pour tous publics, mais on a fait beaucoup de scolaires. À l’issue de la représentation, les comédiennes prenaient un temps pour un bord de scène assez informel qui permettait de recevoir la parole des élèves. J’ai remarqué en y assistant que certains d’entre eux étaient déjà bien formatés par ce qu’ils entendaient à la maison : « On ne peut pas accueillir tout le monde », « Pourquoi ils ne restent pas chez eux ? ». On touchait quelque chose, c’était intéressant parce que, grâce au théâtre, il y avait du débat en direct dans ce camion.