À la fin du xixe siècle, les ombres du cabaret du Chat noir, à Montmartre, atteignent une renommée internationale. Fruit des talents conjugués d’Henri Rivière, Caran d’Ache, Steinlen, Henri Somm et Rodolphe Salis – l’extravagant propriétaire des lieux –, ce théâtre d’ombres manifeste une rare inventivité technique. Quarante-cinq spectacles, dont l’Épopée ou La Marche à l’Étoile, ponctuent de 1887 à 1897 l’aventure d’une équipe autodidacte en matière d’animation, qui restera un modèle pour des générations d’artistes de l’ombre. Des traces – décors, silhouettes, textes, dessins – des représentations du Chat noir sont préservées aujourd’hui dans des musées, des collections privées ou sur Internet.
Après la Seconde Guerre mondiale, les cabarets parisiens offrent une scène étroite mais expérimentale à des artistes attirés par le champ ouvert des arts de la marionnette. Le contexte se révélera fructueux : avides de libertés formelles, ces créateurs issus d’horizons variés peuvent tester devant un public réactif, friand de nouveautés, de courtes performances pour adultes, essentiellement visuelles.
La Rose rouge puis L’Écluse présentent les numéros à mains nues ou gantées de la compagnie Yves Joly (Ivresses, Jeux de cartes, Les Mains seules), ses objets-personnages pionniers (Ombrelles et parapluies) et ses figures dont la matière est un élément dramaturgique (Bristol et La Tragédie de papier). La Fontaine des Quatre-Saisons de Pierre Prévert permet à Georges Lafaye d’inventer le castelet de lumière du théâtre noir avec la rencontre amoureuse d’un chapeau haut-de- forme et d’un boa en plume (John et Marsha). Peu à peu, les cabarets sont les ports d’attache de marionnettistes rarement programmés sur les scènes des théâtres français, mais en tournées cycliques à l’étranger : André Tahon et ses marottes ; Jean-Paul Hubert dans son castelet chinois ; Philippe Genty et ses autruches, entre autres. Louis Valdès, manipulateur à vue virtuose de marionnettes à fils, est attaché au cabaret transformiste Madame Arthur dans les années 1950, puis au Crazy Horse. Son célèbre Pierrot, désespéré de découvrir qu’il dépend d’une volonté extérieure, a inspiré celui de Philippe Genty. La numérisation des émissions télévisées conserve le talent de cet artiste disparu prématurément en 1965.
Au cabaret de l’Écluse passent aussi Alain Recoing avec la compagnie des Trois, les Tournaire, les Dougnac. Beaucoup de ceux qui ont marqué les arts de la marionnette en France ont travaillé dans les cabarets.
Lorsque, dans les décennies suivantes, les marionnettistes ont intégré les programmations institutionnelles, agrandi leurs scénographies ou acquis des espaces dédiés, seuls les ventriloques, au dispositif succinct, ont convoité le cabaret. Parmi eux, Jacques Courtois, Michel Dejeneffe, Philippe Bossard, Christian Gabriel, Jeff Panacloc.
Et demain ? Le mouvement semble s’inverser, le cabaret entre sur la scène marionnettique. Pour aborder les sujets sociétaux, les artistes savent que la marionnette peut être un medium insolent et parodique, mais, pour être à la fois subversifs et recevables par un large public, certains de leurs spectacles importent les codes du cabaret, reconnaissables et divertissants.