De nos galaxies lointaines

Parole d’artiste
Cabaret

De nos galaxies lointaines

Le 16 Nov 2023
Baxter M. Halter au Crazy Circle soirée Monstrosity, Bruxelles 2023. Photo Samy Soussi.
Baxter M. Halter au Crazy Circle soirée Monstrosity, Bruxelles 2023. Photo Samy Soussi.

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Baxter M. Halter au Crazy Circle soirée Monstrosity, Bruxelles 2023. Photo Samy Soussi.
Baxter M. Halter au Crazy Circle soirée Monstrosity, Bruxelles 2023. Photo Samy Soussi.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 143 Cabaret - Althernatives Théâtrales
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La toute pre­mière fois que j’ai écrit quelque chose sur le cabaret, c’était en le liant avec l’ésotérisme et l’occultisme pour mon mémoire de fin d’études : « La tête dans l’occulte ». Pour ce dernier, au-delà de son titre qui soulig­nait une dou­ble lec­ture, j’avais – plus sérieuse­ment – regardé dans le par­cours de l’Histoire les mar­ques de l’éternel retour de l’ésotérisme et si celles-ci étaient sig­ni­fica­tives, annon­ci­atri­ces d’événements ou de péri­odes (par exem­ple, avant guerre, après guerre, crise économique…).

C’est dans cette recherche que le cabaret appa­raît comme un espace de diver­tisse­ment qui nous émeut, nous trans­porte et nous remet en ques­tion. Sans avoir besoin de grands dis­cours poli­tiques, puisqu’ici nous n’y adhérons plus : il suf­fit d’aller au cabaret pour être décon­nec­té de cet espace- temps com­mun autrement appelé la « réal­ité ».
Les numéros se suc­cè­dent et les spec­ta­teurices voy­a­gent, immo­biles, au fil de la con­duite. Le cabaret est comme une boîte mag­ique dans laque­lle le temps n’a plus sa con­stante habituelle.
Il s’étire et devient pro­fond, comme un paysage infi­ni de mon­tagnes vol­caniques qui tan­tôt entrent en érup­tion pour mieux nous révéler son cœur à vif.
Être per­formeureuse, c’est être alchimiste. Lae per­formeureuse tra­vaille avec son corps l’espace et le temps, pièces maîtress­es de la nar­ra- tion, qui à leur tour lae trans­for­ment sans cesse. Créer des formes à l’intérieur d’une boîte noire, c’est être un atome en fusion, le trou de la cam­era obscu­ra qui laisse pass­er la lumière. C’est être là, main­tenant, devant.
Per­former dans un cabaret, c’est revêtir le cos­tume du magi­cien. Tou­stes sont prêt·e·x·s à croire, depuis l’entrée en scène jusqu’à la sor­tie, que chaque geste, chaque parole con­stitue une his­toire écrite pour ellui, elle, lui, per­son­nelle­ment. Il y a quelque chose de très enfan­tin à croire absol­u­ment à tout, certain·e·x·s pensent que les numéros sont des pre­mières fois, omet­tant les heures de tra­vail qu’ils néces­si­tent. Omet­tant égale­ment que les per­for- meureuses sur scène sont des sortes de comé­di-ma- gi-sœurs, des artistes qui fab­riquent des formes non pal­pa­bles. C’est quand les spec­ta­teurices sont émerveillé·e·x·s que tout prend place en la magie.

En créant des cabarets, en étant sur scène, on doit être conscient·e·x de ce que l’on sym­bol­ise
et dans quels proces­sus his­toriques on est impliqué, car l’engouement des spec­ta­teurices pour le cabaret révèle son enjeu poli­tique. Être conscient.e.x, aus­si, que les diver­tisse­ments insuf­flés par les canaux prin­ci­paux comme la télévi­sion ne sont plus suff­isants, voire ne sont plus appré­ciés du tout – et l’ont-ils vrai­ment été un jour ? Être conscient·e·x que créer par soi-même du diver­tisse­ment est une action libéra­trice pour soi et pour celleux qui se dépla­cent pour venir voir ce qu’il s’y passe. L’endroit de la scène offre la pos­si­bil­ité de ne pas repro­duire ce que l’on tente de fuir, pour se présen­ter dif­férem­ment et pro­pos­er des actions nova­tri­ces et intel­li­gentes émo­tion­nelle­ment.
L’endroit de la scène offre la pos­si­bil­ité de la trans­for­ma­tion, et si la trans­for­ma­tion s’opère, il y a mod­i­fi­ca­tion d’un état ini­tial. Nous nous ren­dons alchim­iques, nous rede­venons matière. Bien sûr, cela nous paraît insen­sé. Nous sommes des corps con­sti­tués d’organes, con­sti­tués de cel­lules, con­sti­tuées de molécules qui elles-mêmes sont con­sti­tuées d’atomes. C’est en théorie ce que la sci­ence nous dit, mais dans la pra­tique il est qua­si­ment impos­si­ble de s’en ren­dre compte.
Je pense même que chercher à se rap­pel­er chaque sec­onde que nous sommes composé·e·x·s d’atomes reviendrait à nous dématéri­alis­er, à nous ren­dre transparent·e·x·s en quelque sorte. D’ailleurs, nous com­prenons très bien qu’il n’est pas néces­saire de tout com­pren­dre pour pou­voir accepter les faits. Nous exis­tons. Nous sommes inca­pables d’en avoir con­science de manière intrin­sèque, pour­tant nous pou­vons nous trans­former.
Puisque la réal­ité est déce­vante, que la société n’est plus en phase avec les besoins de ses citoyen. nes majori­taire­ment minorisés, les gou­verne­ments sont démasqués.
Le besoin de créer sa pro­pre réal­ité devient vital. Créer ses pro­pres représen­ta­tions, c’est une manière sen­si­ble de repren­dre le pou­voir. Certain·e·x·s pren­nent ce pou­voir pour sat­is­faire leur ego seule­ment, mais nous les ver­rons tourn­er en rond, ren­tr­er dans une ryth­mique d’autosatisfaction et per­dre le peu de couleurs qu’ielles avaient au départ. S’exprimer est d’une impor­tance vitale, trop le font déjà sans même s’en ren­dre compte et rem­plis­sent le vide qui les con­stitue sans pren­dre le temps d’y réfléchir.

D’autres n’ont ni le temps ni la pos­si­bil­ité de le faire. Le cabaret est un endroit de ressource­ment, car il per­met l’évasion. Nous nous évadons ensem­ble, artistes et spec­ta­teurices, des car­cans com­muns. Cer­tains soirs, quand le rit­uel est bien mené, il devient évi­dent qu’il est néces­saire de per­former pour s’assurer de respir­er les jours d’après.
Je par­le de rit­uel parce qu’il me tient à cœur de croire que le spec­ta­cle vivant est une des formes de magie qu’il nous reste du pagan­isme héré­tique. Rit­uel col­lec­tif et pop­u­laire con­duit par un·e ou des per­formeureuses en chef·fes de file suiv­ant les éner­gies. L’hôte·sse de ce rit­uel est cel­lui qui donne la note et le ton à la soirée. Cel­lui qui reçoit, récep­tionne et trans­forme les éner­gies émanant de l’audience pour que tout le monde soit en capac­ité de recevoir ce qui suiv­ra sur scène. Cel­lui qui pose le cadre de lec­ture, qui trafique l’axe de per­cep­tion et change le fil­tre de la com­préhen­sion. Nous com­prenons en cours de chemin que la per­for­mance se retrou­ve partout en dehors de la scène, nous per­for­mons à chaque inter­ac­tion sociale, qu’on le veuille ou non. Alors, qu’est-ce qui fait la dif­férence au fond ? À l’inverse de la per­for­mance quo­ti­di­enne, sociale et socié­tale, lorsque nous mon­tons sur scène pour per­former, nous l’avons nous- mêmes décidé. Nous en avons conçu le cadre, sa pro­fondeur, sa tem­po­ral­ité et ses lim­ites.

Quand je monte sur scène, King Bax­ter mène la danse et nous vous dis­ons : il était une fois sous l’arbre à pal­abre d’Alkebulan1 une réu­nion excep­tion­nelle eut lieu. Tou­stes avaient voy­agé pour venir jusqu’ici, même les druides du Nord étaient là. Tou­stes étaient prêt·e·x·s à recevoir des infor­ma­tions immatérielles et dev­enues rares de partage. Chacun·e avait emporté avec soi quelque savoir à partager à l’oral, du moins sans trace écrite. Chacun·e venait dis­pers­er sa mémoire et la mélanger à celle des autres pour com­pléter le vide insen­sé. Celui qui n’a pas de nom autre que le Vide. Celui que per­son­ne ne sait, ne peut ou ne veut nom­mer, car tout pour­rait bas­culer tant l’équilibre est frag­ile. Le Vide, c’est 99 % de la com­po­si­tion d’un atome. La sci­ence ne con­naît que la moitié des atom­es qui com­posent nos corps, le reste viendrait d’autres galax­ies loin­taines. Et si, lorsque nous nous trans­for­mons lors de per­for­mances scéniques, nous fai­sions émerg­er ces émo­tions de nos galax­ies loin­taines sans même en avoir totale­ment con­science ?

Les per­formeureuses seraient des sortes de vecteurs par­tielle­ment en maîtrise de ce qu’ielles trans­met­tent. Le cabaret est un lieu où la magie de nos 50 % d’atomes incon­nus nous pos­sède et prend place en nous comme des entités anci­ennes depuis l’ombre de l’arbre. Alors, au moment où l’espoir sem­ble être per­du, rap­pelons-nous que les cabarets sont comme des Voies lac­tées con­sti­tuées de mil­liards de planètes toutes dif­férentes, mais tou­stes nos con­tem­po­raines. Dans la boîte noire, la magie opère pour laiss­er pass­er les rayons de lumière, à tra­vers les fis­sures d’un temps, à présent brisé, nous apercevons l’obscur avec clair­voy­ance.

  1. Alke­bu­lan est une appel­la­tion, sans douted’origine arabe, pour appel­er le con­ti­nent africain avant la coloni­sa­tion. ↩︎

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