Entretien avec Pierre Maillet
Après plusieurs créations autour de la Factory d’Andy Warhol, tu as monté en 2018 un cabaret, One Night with Holly Woodlawn, l’une de ses égéries. En tant qu’homme de théâtre, en quoi cette forme a modifié ton appréhension du plateau ?
J’évoquerai en premier lieu le projet sur Pierre Molinier, Mes jambes si vous saviez, quelle fumée, créé en 2004, car il y a un avant et un après ce spectacle. J’y ai fait l’apprentissage d’une adresse au public, directe, très singulière pour moi, d’autant que Molinier maîtrisait une vraie dramaturgie de la conversation. Avec Bruno Geslin, nous avons établi le texte à partir d’enregistrements d’entretiens informels qu’il avait donnés, et je dois dire que, depuis vingt ans que Molinier m’habite, je fais l’expérience de sa capacité de sympathie et de sa malice à doser ce qu’il livre. J’aime de plus en plus me fondre dans les circonvolutions de sa pensée, sa manière de composer ses phrases, de tousser, de rire. Plus je reprends ce spectacle, plus cette sensation unique de jeu au présent prend le dessus sur la dimension esthétique.
Pour ce qui est de One Night with Holly Woodlawn, c’est un cabaret qui repose sur un texte, mais avec des pans d’improvisation. L’absence de quatrième mur donne l’impression de se jeter dans une arène, cela place l’interprète dans une réelle fragilité. La mise à nu est amplifiée, car on y incarne plus une figure qu’un personnage de facture classique. Ce n’est pas le même filtre.
Tu es reconnu pour ton jeu très spontané. Mes jambes si vous saviez… se clôt sur la voix off de Molinier : entendre son accent, son rire, opère un bouleversement dans l’écoute d’un public qui ne te connaîtrait pas et qui saisit alors ton travail de composition. Tu ouvres, presque à l’inverse, Holly par ta transformation en live.
J’aime que le public puisse penser que je ne réalise pas un travail d’acteur à proprement parler. Bruno Geslin m’a proposé ce projet sur Molinier sur une intuition, ma ressemblance physique avec lui, nos origines du Sud, notre prénom commun jusqu’à nos initiales, P. M. Je dirais qu’Holly m’a poussé à mettre plus d’intime au plateau. J’ai découvert que nous étions partis de chez nous au même âge ; il est devenu femme en cours de route, moi acteur. Nous nous rejoignons sur ce rapport à la transformation. Je voulais en effet une ouverture sans rideau ni entrée en scène. J’accueille le public avec un verre, puis m’installe à ma coiffeuse ; je suis Pierre Maillet acteur, mais déjà vers Holly dans le travestissement. J’aime ces frottements. Plus tard, moi Pierre Maillet, je réapparais. Faire dans mon jeu écho à ma vie personnelle est très fort. Je passe d’Holly à ma sœur, décédée très jeune, qui m’emmenait quand j’avais une dizaine d’années voir son copain dans des spectacles transformistes. C’était loin du Palace ! Je garde une tendresse particulière pour ces lieux jouissifs et généreux. Holly rend hommage à ces types de cabarets avec lesquels j’ai grandi. J’étais admiratif de ce qu’osaient ces drag- queens de l’époque dans une petite ville comme Narbonne ; je sentais l’importance de cet endroit pour eux. D’où mon choix d’un cabaret, qui peut passer des théâtres à des lieux alternatifs dans des soirées clubbing.
Tu as décidé de reprendre tous les dix ans le Molinier, et tu avais déjà interprété Holly dans Little Joe : New York 68 et Hollywood 72, une adaptation des films de Paul Morrissey tournés à la Factory. Tu entretiens de longues relations avec ces personnalités.