Patachou, chtouille, potache, ouille ! Patachtouille, c’est tout cela à la fois. Un pseudonyme, polisson et grave qui sied à merveille à ce chanteur-performer iconoclaste, qui après avoir contribué à la renaissance de Madame Arthur crée, avec humour et panache, un genre nouveau : le cabaret écolo-queer.
Patachtouille nous a donné rendez-vous dans un hôtel de luxe, en plein cœur du Marais, où il se produira le soir même. Il y arrive avec une énorme valise. L’artisanat du cabaret coule dans les veines de cet artiste, éclectique et excentrique, qui nous raconte avoir créé son premier spectacle, Le Goujon Folichon, en hommage à son arrière- grand-mère qui tenait un bordel à Paris. Mais c’est à Alfortville que le baryton et ancien chanteur d’opéra, que l’on a notamment pu entendre à l’opéra Bastille, a grandi, avant que ses parents ne quittent la banlieue, parce qu’il y avait « de mauvaises fréquentations », glousse-t-il en sirotant son verre. On veut bien le croire. On devine une tentation pour les voyous chez ce lecteur de Jean Genet qui devient, la nuit, une « créature chimérique », fantaisiste et extravagante, dans des lieux et cabarets éclectiques, et notamment chez Madame Arthur, mythique cabaret des nuits montmartroises qu’il a contribué à faire renaître.
Le cabaret, il l’a découvert à la télévision, avec le divertissement populaire et la chanson de variété. Ensuite, à la salle polyvalente et dans des conversations entre adultes. Puis vient la culture qu’il se forge jeune homme : Kurt Weil, Aristide Bruant, Le Chat noir, les dessins de Lautrec. Toute une mémoire d’un passé qu’il n’a pas connu.
Mais d’où vient sa fascination pour le monde de la nuit ? « Le cabaret, ce n’est pas la nuit, c’est l’entre-jour », nuance Patachtouille. Le grand mélange des classes sociales, l’absence de rapport frontal du spectateur à l’artiste de scène ont toujours captivé le transformiste. « Des gens qui, à table, créent un entre-soi, pendant qu’un artiste exécute, ça m’a toujours troublé. Moi qui étais habitué à l’opéra, au silence de la salle et au chef d’orchestre, ce qui me perturbait le plus, c’était la non-écoute d’une partie de l’auditoire. Elle me faisait du mal, mais je ne la sentais pas illégitime. » Sa première incursion s’y fait en 2014, lorsque Caroline Loeb met en scène Le Goujon Folichon.
La folle naissance de Patachtouille
Mais le déclic, qui donne naissance à Patachtouille, surgit d’un drame collectif : les attentats du Bataclan, le 13 novembre 2015. « J’étais chanteur lyrique, je me considérais comme un exécutant. Je respectais le répertoire d’une façon très rigoureuse, etc. Surviennent les événements du Bataclan, deux semaines de vide. Je profitais de la nuit à titre personnel, je suis allée chez Madame Arthur, parce que c’était l’un des rares lieux qui étaient ouverts à ce moment-là, Monsieur K. m’a proposé de m’y produire, j’ai tout de suite dit oui. Je me suis dit : « Je dois ça à la jeunesse ! » » Sa décision est aussi politique, le chanteur est conscient que son public guindé, à l’opéra, détient le capital et le pouvoir.
C’est aussi une libération personnelle. Son pseudonyme lui permet de lever le voile sur sa séropositivité. « Ça fait vingt-trois ans que je suis séropositif, ne pas en parler devenait un poison. Ce patronyme psychomagique à la Jodorowsky m’a permis de partager cela dans la joie. » Fille d’une perruque et du fantôme de l’opéra, née un soir d’orage, Patachtouille a grandi seule « comme Mowgli et Kaspar Hauser, dans les failles spatio- temporelles de l’opéra ». Une fiction qui plaît beaucoup à celui qui tient à la distance qu’elle instaure sur scène.
Premier soir en Patachtouille : l’abolition du quatrième mur et le « sens ultime de la fête » se révèlent. La fusion qui en découle est une révélation : il a trouvé sa place et va révolutionner l’endroit. Le cabaret reprend ses lettres de noblesse. Le piano-bar est là, et l’énergie est électrique, politique, décalée et brûlante. Le matrimoine y est très fort. L’aventure dure plusieurs années. « Madame Arthur est un phénix. Aujourd’hui, ce n’est plus un lieu où naissent les choses. C’est un très bon endroit qui donne du travail à beaucoup d’artistes, mais c’est devenu les Galeries Lafayette du cabaret », explique-t-il.
Au Secret, chez Poussière ou chez Madame Arthur, Patachtouille réalise des propositions différentes, pour retrouver l’énergie du travail de laboratoire. Et aussi pour se détourner des problématiques de genre. « J’ai tendance à les trouver un peu binaires, parce que moi je peux me prendre aussi bien pour une licorne que pour un ver de terre ! Cela a été et reste très utile. J’essaie de faire de l’art et je suis pédé. Alors certes, j’ai des responsabilités politiques mais mes angoisses écologiques sont puissantes et m’activent beaucoup plus artistiquement. »
Le Cabaret Patach’ ou La Métamorphose des pédoncules
En témoigne son nouveau spectacle Le Cabaret Patach’ ou La Métamorphose des pédoncules, créé pour la première fois en mars 2023 au Manège de Reims, à la demande de son directeur Bruno Lobé. « On échappe à la logique des limonadiers, du bar qui permet de payer l’artiste. L’argent vient du ministère de la Culture, c’est de l’argent public pour le cabaret, c’est très important », souligne Patachtouille.
La cause qui l’anime est écologique sans être mortifère. « L’idée, c’est de garder un contact avec la joie face à la transition écologique qui s’impose à nous », explique celui qui y organise notamment un concours pour faire rire Greta Thunberg et des danses de graines. Patachtouille considère que le cabaret est une révolte, que ses artistes en sont « le ver dans la pomme » et s’inspire, en partie, du No Future punk pour enchanter le présent. « J’ignore quelles sont les perspectives mais au présent, se faire de beaux souvenirs, c’est déjà ça. » Par ailleurs, la notion de « germination » lui importe beaucoup – tout comme le rhizome, qui captive politiquement celui qui porte sur scène une perruque en lentille germée. « J’essaie de rendre sexy l’écologie, d’imaginer ce que c’est que de se branler dans un lambri-compost ou des conneries comme ça » (il explose de rire). L’inventif Patachtouille rayonne, le cabaret connaît d’après lui une magnifique période, mais il est prudent : « Lorsque le cabaret va très bien, ce n’est jamais bon signe. » Et Patachtouille attend – avec impatience – qu’on lui écrive une chanson sur des lendemains qui chantent.