Réflexions sur la revue dite de music-hall ou de cabaret

Entretien
Parole d’artiste
Cabaret

Réflexions sur la revue dite de music-hall ou de cabaret

Entretiens avec Julie Chevalier, Maxime Joret, Sarah Adjou, Theresia Lessmann, Brian Scott Bagley, Marianne Orlowski, Olivia Caprini

Le 22 Nov 2023
Julie Chevalier, cabaret Le Bambino à Bergerac. Photo Julien Gauthier.
Julie Chevalier, cabaret Le Bambino à Bergerac. Photo Julien Gauthier.

A

rticle réservé aux abonné.es
Julie Chevalier, cabaret Le Bambino à Bergerac. Photo Julien Gauthier.
Julie Chevalier, cabaret Le Bambino à Bergerac. Photo Julien Gauthier.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 143 Cabaret - Althernatives Théâtrales
150 – 151

Qu’est-ce que la « revue » ? Ce terme désigne un genre théâ­tral alliant danse, comédie et musique : la revue dite de music-hall ou de cabaret est un spec­ta­cle com­plet faisant la satire de per­son­nages réels ou fic­tion­nels. Sa dra­maturgie ne repose pas sur une nar­ra­tion ou une intrigue suiv­ie, mais davan­tage sur un thème général à par­tir duquel se déploie une série de numéros.
En France, la fig­ure fémi­nine se trou­ve au cœur du con­cept de « revue » depuis la fin du XIXe siè­cle sous l’impulsion d’Édouard Marc­hand, alors directeur artis­tique des Folies- Bergère. La nudité fémi­nine devient alors un motif récur­rent de la revue, soit davan­tage une forme esthé­tique qu’un sujet dont les numéros trait­eraient. Nous nous sommes ain­si entretenues avec plusieurs artistes de revue ou de dis­ci­plines asso­ciées à la revue afin d’offrir un regard sur les couliss­es d’un genre ample­ment fan­tas­mé. Ces entre­tiens répon­dent à trois axes de réflex­ion majeurs : ce qui a amené ces artistes vers la revue, la manière dont leur créa­tiv­ité s’exprime dans un univers aus­si cod­i­fié, et enfin le rap­port au corps et/ou à la nudité forgé par leur art.

Com­ment êtes-vous tombé·e dans l’univers de la revue de cabaret ?

JC Enfant, j’ai fait du théâtre sans penser à la danse. Étu­di­ante, je me suis for­mée pour devenir ingénieure en génie civ­il à Jussieu et j’ai pra­tiqué la capoeira. Lors d’un voy­age au Brésil, je me suis acci­den­telle­ment retrou­vée à tra­vailler pour une boîte de strip-tease et j’ai réal­isé que j’appréciais à la fois de danser sur scène pour un pub­lic et de me dénud­er, autant que regarder le corps féminin que je trou­ve très beau et esthé­tique. Ain­si est née ma pas­sion pour la danse : j’ai décou­vert et pra­tiqué la sam­ba, les dans­es latines, les défilés de rue… De retour à Paris, j’ai repris des études en eth­nolo­gie tout en tra­vail­lant en tant qu’effeuilleuse pour gag­n­er ma vie. L’effeuillage fut une révéla­tion : j’aime cap­tiv­er le regard du pub­lic par le corps et le mou­ve­ment, même celui des plus réfrac­taires, afin de les faire entr­er dans le spec­ta­cle. Je me suis alors for­mée en danse clas­sique pour acquérir la tech­nique et les ressources qui per­me­t­tent de com­pren­dre et réalis­er les mou­ve­ments sans forcer sur la sou­p­lesse.

MJ Je ne suis pas artiste de cabaret et n’ai pas pra­tiqué la pole dance dans le con­texte du strip-tease : sans appartenir à cette cul­ture, je m’inspire de cer­tains de ses codes pour explor­er et ques­tion­ner les normes cor­porelles. J’ai décou­vert la pole à 15 ans sur Youtube en regar­dant les vidéos de cham­pi­onnes aus­trali­ennes et j’ai été mar­qué par la tech­nique de Felix Cane : l’impression d’être en lévi­ta­tion et la dimen­sion sculp­turale du corps sont des choses qui m’ont fasciné, car le regard ne com­prend pas bien ce qui se passe physique­ment, il y a quelque chose d’énigmatique. Les per­for­mances de femmes me touchaient par leur dou­ble puis­sance ath­lé­tique et sub­ver­sive, car elles subis­saient davan­tage de juge­ment que les hommes, alors peu nom­breux. À 18 ans je suis venu à Paris pour pour­suiv­re des études de théâtre et pren­dre des cours de pole : je n’ai con­tin­ué que la pole. Après avoir vu une vidéo inspi­rante de ma pro­fesseure, j’ai décidé de me for­mer afin de devenir pro­fesseur de pole. Au-delà de l’enseignement, j’ai surtout voulu me pro­fes­sion­nalis­er.


SA J’ai reçu ma for­ma­tion de danseuse dans une école qui ne se préoc­cu­pait pas de notre ori­en­ta­tion pro­fes­sion­nelle, unique­ment cen­trée sur la danse con­tem­po­raine. La revue y était dén­i­grée et je la perce­vais comme un échec. Après l’école, l’urgence était de trou­ver du tra­vail et cela s’est avéré impos­si­ble dans la danse con­tem­po­raine. J’ai donc obtenu un con­trat de cirque au Palais des Sports de Nan­cy pour la revue À la folie revue créée par Nathalie Tour­naire. J’étais pétri­fiée, car c’était ma toute pre­mière expéri­ence pro­fes­sion­nelle et je ne con­nais­sais rien à ce monde très cod­i­fié. Tout rel­e­vait d’un savoir- faire qui m’était étranger : le port du string, les résilles, les faux-cils, le maquil­lage, la coif­fure… Mais aus­si le fait de danser en talons dans le sable, le fonc­tion­nement choré­graphique qua­si mil­i­taire par sys­tèmes et for­ma­tions pour lequel il faut déclencher des automa­tismes… Puis j’ai eu un con­trat au Cirque d’Hiver à Liège et un autre pour la revue Crazy Chic en Slovénie où j’ai dan­sé mon pre­mier numéro top­less. En tra­vail­lant, j’ai réal­isé que cet univers me plai­sait, que j’adorais danser sur une scène de cabaret.

TL Je suis danseuse de for­ma­tion clas­sique et con­tem­po­raine, mais je n’ai pas la bonne mor­pholo­gie pour tra­vailler dans le monde du bal­let. Les options sont lim­itées pour les danseuses de grande taille comme moi. J’ai décou­vert le cabaret et surtout la cul­ture française du cabaret, car mon com­pagnon de l’époque était danseur au Moulin-Rouge. J’ai réal­isé que les danseuses de revue venaient presque toutes de la danse clas­sique, mais avec une mor­pholo­gie dif­férente des stan­dards du bal­let. Pour être une bonne danseuse de cabaret, il faut être entraînée à la tech­nique clas­sique car, au-delà de la sou­p­lesse, on demande au corps des ressources sim­i­laires.
Après avoir tra­vail­lé pour un con­trat com­mer­cial à Dubaï, une amie danseuse au Par­adis latin m’a dit qu’ils recher­chaient une danseuse de grande taille avec une solide for­ma­tion clas­sique : exacte­ment moi. J’ai donc été recrutée pour être show­girl et je me suis sen­tie à l’aise dans l’univers de la revue, car il y a une véri­ta­ble cul­ture, une his­toire, le corps y est sub­limé et non sex­u­al­isé.

BSB J’ai gran­di dans une paroisse noire améri­caine, très charis­ma­tique où la musique et le chant ont une impor­tance pri­mor­diale. J’ai aus­si une famille musi­ci­enne : mon père était meneur d’un groupe de chanteurs, mon oncle était meneur d’une chorale de musique clas­sique et sacrée, mon oncle par alliance était musi­cien jazz. J’ai donc été inspiré par la musique et l’art dès mon plus jeune âge. Je me suis for­mé au théâtre à la Bal­ti­more School for the Arts, mais j’étais curieux de toutes les autres dis­ci­plines que l’on y enseignait : la musique, la danse… Suite à cela, j’ai passé mes pre­mières audi­tions à Broad­way et j’ai été repéré par Jérôme Savary, directeur de l’Opéra-Comique, pour tra­vailler dans le spec­ta­cle À la recherche de Joséphine Bak­er en 2006. C’est ain­si que je suis venu à Paris. J’y ai fait la ren­con­tre de Gen­try de Paris, une artiste pio­nnière du bur­lesque et je suis devenu choré­graphe pour sa revue au Casi­no de Paris. Grâce à elle, j’ai décou­vert la magie du cabaret, et j’ai tra­vail­lé avec des per­son­nal­ités comme Dita Von Teese et Ali Mah­davi. Par la suite, je suis devenu le pre­mier MC (maître de céré­monie) noir du Crazy Horse.

OC Je me suis for­mée en chant et en danse, et c’est par hasard que j’ai décou­vert la revue : pen­dant des vacances, j’ai ren­con­tré la chanteuse meneuse de À la folie revue créée par Nathalie Tour­naire, tra­vail­lant au cabaret le K à Reims. Elle m’a don­né envie, mais je ne con­nais­sais pas ce monde et ses codes. J’ai accep­té un pre­mier con­trat à Nan­cy pour une revue dans le cadre du fes­ti­val Sedu’ cirque. C’était la pre­mière fois que je dan­sais en talons dans du sable, que j’ai porté une gabrielle à plumes… J’ai alors décou­vert le music-hall, dont les codes, la ter­mi­nolo­gie et les tech­niques se trans­met­tent selon une tra­di­tion orale, des anci­ennes vers les nou­velles. Il n’y avait pas de for­ma­tion : on appre­nait en tra­vail­lant sous l’aile des plus expéri­men­tées, ce que j’ai adoré. Puis, j’ai tra­vail­lé une semaine en Roumanie pour un spec­ta­cle de music-hall de nou­veau avec À la folie revue où j’ai fait mon pre­mier can­can. Sous l’impulsion de Nathalie Tour­naire, je suis dev­enue meneuse au cabaret de Reims, donc chanteuse soliste. J’ai appris à chanter en dansant ain­si, en tra­vail­lant dans le music-hall et j’ai dévelop­pé mes pro­pres tech­niques.

A

rticle réservé aux abonné.es
Envie de poursuivre la lecture?

Les articles d’Alternatives Théâtrales en intégralité à partir de 5 € par mois. Abonnez-vous pour soutenir notre exigence et notre engagement.

S'abonner
Déjà abonné.e ?
Identifiez-vous pour accéder aux articles en intégralité.
Se connecter
Accès découverte. Accès à tout le site pendant 24 heures
Essayez 24h
Entretien
Parole d’artiste
Cabaret
Julie Chevalier
Maxime Joret
Sarah Adjou
Theresia Lessmann
Brian Scott Bagley
Marianne Orlowski
Olivia Caprini
71
Partager
Partagez vos réflexions...
La rédaction vous propose
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total

 
Artistes
Institutions

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements