Une brève histoire du cabaret, principalement à Paris et à Bruxelles

Réflexion
Cabaret

Une brève histoire du cabaret, principalement à Paris et à Bruxelles

Le 30 Nov 2023
Affiche de René Magritte pour le cabaret du Gaity. Archives de la Ville de Bruxelles
Affiche de René Magritte pour le cabaret du Gaity. Archives de la Ville de Bruxelles
Affiche de René Magritte pour le cabaret du Gaity. Archives de la Ville de Bruxelles
Affiche de René Magritte pour le cabaret du Gaity. Archives de la Ville de Bruxelles
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 143 Cabaret - Althernatives Théâtrales
150 – 151

Le cabaret col­porte une mytholo­gie com­pos­ite où voisi­nent Le Chat noir, Mont­martre, le Moulin-Rouge, le cham­pagne, les plumes et les escaliers, Mar­lène Diet­rich et Liza Minel­li, Ray­mond Devos et les revues poli­tiques berli­nois­es et sovié­tiques ; on y croise des trav­es­tis et des femmes dénudées, un maître de céré­monie qui vous accueille en plusieurs langues et règne sur une troupe de girls, quelques attrac­tions, du strip-tease et une déri­sion bohème ; la friv­o­lité des Folies-Bergère y est heureuse­ment com­pen­sée, pour les ama­teurs de théâtre d’art, par l’ombre portée de Pis­ca­tor, Karl Valentin et Brecht. Cette mytholo­gie, que le film éponyme de Bob Fos­se (1972) a cer­taine­ment con­tribué à entretenir sinon à fonder, mêle des espaces, des types de spec­ta­cles, des aires cul­turelles et des épo­ques dis­tincts, mais qui n’ont jamais cessé de dia­loguer. Le café-con­cert et le music-hall s’y con­fondent avec le cabaret pro­pre­ment dit, le lieu avec la caté­gorie spec­tac­u­laire. Les étab­lisse­ments eux-mêmes ont par­fois ali­men­té ce brouil­lage, qui est désor­mais insti­tu­tion­nal­isé. Le Moulin-Rouge se présente comme un des plus célèbres cabarets du monde ; le plus grand serait une émis­sion de télévi­sion… Cabarets et music-halls appar­ti­en­nent aujourd’hui à la même branche pro­fes­sion­nelle, liée à la fois au spec­ta­cle, à la restau­ra­tion et au débit de bois­sons.

La con­som­ma­tion d’alcool est bien à l’origine du cabaret : le mot, on le sait, désigne un lieu de réu­nion où l’on boit. À Paris, dans les années 1880, dans le Mont­martre bohème, appa­raît, avec Le Chat noir, une vari­ante spec­tac­u­laire qui fait florès, le cabaret artis­tique. Espaces de petite dimen­sion, ini­tiale­ment dépourvus de toute sorte de scène, les cabarets mont­martrois se dis­tinguent des cafés-con­certs. Ces derniers, eux aus­si très liés à la con­som­ma­tion de bois­sons, ont sou­vent de vastes salles et con­stituent, au tour­nant du siè­cle, les lieux de diver­tisse­ment les plus répan­dus. On y pra­tique le tour de chant, générale­ment suivi de spec­ta­cles prin­ci­pale­ment musi­caux, comme la revue satirique d’actualité chan­tée et accom­pa­g­née de « petites femmes » séduisantes. D’autres étab­lisse­ments, les bals – Moulin de la Galette, Moulin-Rouge à ses débuts – sont davan­tage liés à la danse, tan­dis que les pre­miers music-halls, Olympia, Folies-Bergère, Casi­no de Paris, pra­tiquent le spec­ta­cle d’attractions var­iées et de bal­lets. Dans les années 1900 – 1914, notam­ment grâce aux revues à grand spec­ta­cle, le music-hall empiète de plus en plus sur les cafés-con­certs. Ceux-ci ten­dent à dis­paraître après 1918 lorsque tri­om­phent les grands music-halls, vastes salles où les espaces de spec­ta­cle et de con­som­ma­tion sont générale­ment dis­tincts. Mais les cabarets, eux, con­tin­u­ent d’exister de manière autonome, à Mont­martre et dans d’autres quartiers. Certes, les formes musi­cales et spec­tac­u­laires ne cessent de dia­loguer, de s’hybrider entre les deux types de lieux, et les artistes passent sou­vent de l’un à l’autre. Le cabaret main­tient, mal­gré tout, sa spé­ci­ficité, trou­vant, à Paris ou à Brux­elles, un sec­ond âge d’or pen­dant et après la Sec­onde Guerre mon­di­ale.

Entre-temps, il a gag­né toute l’Europe et au-delà1, à la faveur de la notoriété du Chat noir ; s’inspirant sou­vent des tra­di­tions locales de lieux de socia­bil­ité chan­tants et de var­iétés, il revêt fréquem­ment une dimen­sion artis­tique et d’avant-garde. Max Rein­hardt fonde ain­si, en 1901, le cabaret Bruit et Fumée (Schall und Rasch) à Berlin, où, comme dans d’autres villes d’Allemagne, le Kabarett se dévelop­pera de façon remar­quable des années 1910 au début des années 19302. En 1911, à Munich, ouvre Les Onze Bour­reaux, auquel col­la­bore Wedekind et dont Brecht est un spec­ta­teur assidu ; à Vienne, en 1907, La Chauve-Souris, décorée notam­ment par Klimt et Kokosch­ka, com­mençait ses six ans d’existence. Une autre Chauve-Souris est fondée en 1908 à Saint-Péters­bourg, par des acteurs du Théâtre d’art de Stanislavs­ki… Futur­istes, expres­sion­nistes, dadaïstes investis­sent le cabaret dans plusieurs villes d’Europe, comme Zurich avec le fameux et éphémère Cabaret Voltaire de 1916. Les spec­ta­cles y pren­nent par­fois une dimen­sion poli­tique, à l’instar des revues de cabaret de Friedrich Hol­laen­der ou Mar­cel­lus Schif­fer à Berlin, ou des spec­ta­cles de var­iétés satiriques sovié­tiques. L’agit-prop com­mu­niste, de la Blouse Bleue à Pis­ca­tor, s’inspire fréquem­ment des petites formes dévelop­pées dans les cabarets.

Par­mi ces échanges et ces cir­cu­la­tions, ceux qui relient Paris à Brux­elles revê­tent une dimen­sion par­ti­c­ulière, due à la con­nex­ion naturelle entre les deux cap­i­tales. Ce sont eux que nous allons dévelop­per dans un bref par­cours chronologique. Nous insis­terons par­ti­c­ulière­ment sur la diver­sité des formes pris­es par les petits cabarets, sans doute les plus inven­tifs, et ceux où se pro­duisent des per­son­nal­ités dont cer­taines devien­dront des vedettes de la scène et de l’écran.

Le cabaret à Paris

Jusqu’à la fin du xixe siè­cle, les cabarets ne sont générale­ment que de petits débits de bois­sons plus ou moins mal famés, par­fois dotés, dans l’imaginaire roman­tique, d’une aura bohème. Cer­tains accueil­lent par inter­mit­tence des « goguettes » ou des sociétés chan­tantes comme le Caveau, mais la présence de la chan­son n’y est qu’occasionnelle. À l’inverse, les cafés-con­certs, qui ont suc­cédé aux cafés chan­tants des années 1840, accueil­lent une clien­tèle de plus en plus large et pop­u­laire ; ils se sont dévelop­pés, et cer­tains, comme la Scala ou l’Eldorado, ont la taille de grands théâtres. La socia­bil­ité lit­téraire a depuis longtemps, en revanche, élu domi­cile dans les cafés. Dans les années 1880, à Mont­martre, cer­tains cabarets vont devenir le lieu de rassem­ble­ment de poètes, de musi­ciens et de pein­tres, don­nant nais­sance à un phénomène social et artis­tique d’ampleur, au reten­tisse­ment inter­na­tion­al. Un étab­lisse­ment est à l’origine de cette vogue et s’impose très vite comme un mod­èle dont découlera le principe du « cabaret artis­tique » : Le Chat noir3.

Ouvert fin 1881, Le Chat noir est la pro­priété d’un entre­pre­neur artiste, Rodolphe Salis, qui ouvre son petit cabaret de la rue Roche­chouart – la salle prin­ci­pale fait quinze mètres car­rés – aux réu­nions des Hydropathes, un groupe de jeunes lit­téra­teurs et artistes rassem­blés depuis 1878 autour du poète Émile Goudeau, lors de séances heb­do­madaires, dans des cafés du Quarti­er latin ; les Hydropathes y dis­aient et chan­taient leurs vers, que l’on retrou­vait pub­liés dans L’Hydropathe, petite revue éditée par Goudeau. Le Chat noir va don­ner libre cours à l’esprit fumiste, qui règne égale­ment dans le groupe des Inco­hérents, fondé en 1882, et dont les par­tic­i­pants y inter­vi­en­nent. Mont­martre, quarti­er d’artistes depuis déjà des années, devient ain­si un foy­er d’esprit fron­deur, d’esthétique ironique et déca­dente – cer­taines œuvres des Inco­hérents ont un aspect pré­dadaïste –, sur fond de sym­pa­thies anar­chistes. À ces réu­nions de poètes, de pein­tres et de dessi­na­teurs, Salis apporte des inno­va­tions déci­sives. Il reprend l’idée, déjà mise en œuvre au cabaret La Grande Pinte, avenue Tru­daine, d’une déco­ra­tion spé­ci­fique du lieu, en style Louis xiii ; Le Chat noir – qu’on recon­naît à son enseigne en tôle dess­inée par Adolphe Wil­lette – expose aus­si, comme déjà le Cabaret des Assas­sins – bien­tôt nom­mé Lapin Agile –, des œuvres d’artistes, à com­mencer par Wil­lette. Il com­pose égale­ment de véri­ta­bles pro­grammes, en pré­parant l’ordre de pas­sage des auteurs qu’il invite à réciter ou à chanter leur œuvre (avec accom­pa­g­ne­ment au piano), et qu’il présente avec une faconde imagée et irré­sistible. Salis, bon­i­menteur et harangueur hors pair, se pose en hôte du pub­lic qu’il n’hésite pas à malmen­er ; il joue remar­quable­ment de la pub­lic­ité, à tra­vers notam­ment la revue Le Chat noir, lancée début 1882 et qui con­naît 682 livraisons jusqu’à son extinc­tion en 1895. Il organ­ise égale­ment des événe­ments, dans la veine par­o­dique des car­navals, à l’occasion par exem­ple du démé­nage­ment du cabaret, devenu trop étroit : der­rière Salis, en cos­tume de préfet, précédé d’un orchestre con­duit par le garde suisse qui veil­lait à la porte du cabaret, les garçons, vêtus en académi­ciens, por­tent en pro­ces­sion le grand tableau Parce domine de Wil­lette4. Le nou­veau Chat noir, ouvert en 1885 rue Vic­tor-Massé, est instal­lé dans un hôtel par­ti­c­uli­er de trois étages. La salle prin­ci­pale, où sont accrochées de nom­breuses toiles et où trône le vit­rail du Veau d’or signé Wil­lette, com­porte un castelet qui va devenir l’écran d’un théâtre d’ombres. Le pein­tre Hen­ri Riv­ière y manip­ule des fig­ures en zinc dont il a conçu la tech­nique et qu’il des­sine à côté d’autres artistes comme Caran d’Ache. Elles se découpent par un savant jeu de lumière sur des fonds col­orés très sug­ges­tifs. Les spec­ta­cles d’ombres du Chat noir, en phase avec l’esthétique sym­bol­iste5, con­nais­sent un immense suc­cès et fig­ureront désor­mais au cœur des pro­grammes des séances, qui devi­en­nent de véri­ta­bles spec­ta­cles. Le cabaret promeut ain­si une généra­tion d’artistes, auteurs de poèmes et de chan­sons, musi­ciens, par­mi lesquels Alphonse Allais, Charles Cros, Théophile Stein­lein, Léan­dre, Paul Del­met, Vic­tor Meusy, Mac-Nab…

Dans la foulée et à l’imitation du Chat noir, de très nom­breux « cabarets artis­tiques » voient le jour à Mont­martre, puis en province. On a pu compter cent dix-huit cabarets en bas de la butte pour la seule péri­ode 1880 – 1905 ; ils par­ticipent d’un écosys­tème social, spec­tac­u­laire et médi­a­tique qui met en jeu la presse dite « mont­martroise » (à l’exemple du péri­odique satirique Le Rire), la presse boule­vardière main­stream, mais aus­si les petites revues d’avant-garde qui restent majori­taire­ment située au Quarti­er latin6. Aris­tide Bru­ant, qui avait large­ment par­ticipé à la renom­mée de l’établissement de Salis, ouvre en 1885, dans le local du pre­mier Chat noir, Le Mir­li­ton, et lance à son tour une revue. Jules Jouy, un des auteurs les plus féconds du cabaret de Salis, ouvre à son tour Le Chien noir en 1890, tan­dis que Gabriel Salis, le frère de Rodolphe, accueille le pub­lic à L’Âne rouge en 1891. Un peu plus tard, en 1897, François Trombert prof­ite de la renom­mée du bal des Quat-z-Arts pour ouvrir un cabaret éponyme, qui pro­longera vail­lam­ment le flam­beau de la chan­son chat­noiresque ; comme les précé­dents, l’établissement est fréquen­té par les artistes de Salis. D’autres lieux décli­nent davan­tage la dimen­sion scéno­graphiée du Chat noir, en pro­posant des expéri­ences qu’on qual­i­fierait sans doute aujourd’hui d’immersives : à la Tav­erne du Bagne, créée par l’ancien com­mu­nard Maxime Lis­bonne en 1885, les serveurs sont habil­lés en forçats ; le Cabaret du Néant arbore des squelettes et mul­ti­plie les attrac­tions dites foraines autour de la mort ; en face, Le Ciel voi­sine avec L’Enfer – dont la porte fig­ure un démon gueule ouverte. D’autres cabarets choisiront une veine plus théâ­trale, comme le Divan Japon­ais où débute Yvette Guil­bert, et qui est muni d’une scène, ou le Tréteau de Tabarin, sur le petit plateau duquel Fursy débite ses « chan­sons ross­es ». Led­it Fursy ouvre, en 1900, sa « boîte », dédiée à la satire poli­tique, et qui aura la vie longue, jusqu’en 1928.

Tabarin Les Tréteaux de Tabarin, cliché Mairet, Figaro illustré, n°75, juin 1896, p. 115.
Tabarin Les Tréteaux de Tabarin, cliché Mairet, Figaro illus­tré, n°75, juin 1896, p. 115.

Au début du xxe siè­cle, les « cabarets artis­tiques », tou­jours nom­breux, sont désor­mais bien bal­isés dans le paysage des spec­ta­cles parisiens, mais ils se con­tentent générale­ment de dérouler les for­mules de leurs prédécesseurs. La Lune Rousse (1904 – 1964), par exem­ple, se spé­cialise dans les spec­ta­cles d’ombres ; elle pro­pose, comme nom­bre de ses con­cur­rents – à com­mencer par Fursy –, de petites revues d’actualité, où les chan­son­niers inter­vi­en­nent sou­vent en leur nom pro­pre. Le terme de « chan­son­nier » prend du reste un sens plus restreint et s’attache désor­mais prin­ci­pale­ment à la satire poli­tique, par­lée et chan­tée, dont Fursy, Dominique Bon­naud, Lucien Boy­er sont les spé­cial­istes. Après-guerre, ils con­tin­ueront leur car­rière, tout en col­lab­o­rant avec le music-hall, comme les chan­son­niers des généra­tions suiv­antes, Jean Bas­tia ou Saint-Granier ; le cabaret de satire poli­tique a ses salles, le Moulin de la Chan­son, les Noc­tam­bules ou les Deux-Ânes – de petits théâtres, en réal­ité. Il voi­sine désor­mais avec d’autres étab­lisse­ments, les cabarets-danc­ings, russ­es puis améri­cains – vogue du jazz oblige –, rive droite ou près de Mont­par­nasse, où les chanteurs et les musi­ciens se mêlent aux clients et peu­vent danser, et où se pro­duisent des vedettes du music-hall. Joséphine Bak­er chante et danse à L’Abbaye de Thélème, elle accueille aus­si le pub­lic, en 1927, dans son cabaret Chez Joséphine, rue Fontaine. De nom­breux cabarets pro­posent aus­si des revues, à mi-chemin entre chan­son­niers et music-halls.

Au lende­main de la Sec­onde Guerre mon­di­ale, le cabaret parisien retrou­ve une intense vital­ité créa­trice, qu’avaient seuls con­servés, au début des années 1920, un Bœuf sur le toit ou le Lapin Agile tou­jours con­sacrés aux chan­son­niers-poètes7. Gilles Sch­less­er dénom­bre, entre 1945 et 1974, plus de deux cents créa­tions ou réou­ver­tures de cabarets8. La rive gauche voit notam­ment se mul­ti­pli­er les petits lieux, en par­ti­c­uli­er des caves, où s’inventent de nou­velles formes. Une bonne part d’entre eux pra­tiquent des spec­ta­cles théâ­traux var­iés, au point que l’appellation « cabaret-théâtre9 » con­cur­rence celle de « cabaret rive gauche » pour syn­thé­tis­er ce mou­ve­ment, qui con­cerne, tou­jours selon Sch­less­er, une trentaine d’établissements majeurs, dont un tiers se trou­ve sur la rive droite. La pre­mière vague de créa­tions con­cerne prin­ci­pale­ment des cabarets-théâtres – une for­mule inven­tée par Agnès Capri en 1938 –, à com­mencer par la Rose Rouge, dirigée, rue de la Harpe puis rue de Rennes, par Féral Ben­ga. Vite très renom­mée inter­na­tionale­ment, la salle pro­pose des soirées en deux par­ties, la pre­mière de var­iétés, avec les mar­i­on­nettes d’Yves Joly, un illu­sion­niste, des chanteurs et chanteuses (Juli­ette Gré­co, Charles Trénet, les Frères Jacques), la sec­onde con­sis­tant dans la représen­ta­tion de pièces mon­tées par la com­pag­nie Gre­nier-Hussenot puis par Yves Robert et Jean-Denis Maclès (Ciné-Mas­sacre ou Fan­tô­mas, par exem­ple). Chez Gilles et La Fontaine des Qua­tre Saisons adoptent un fonc­tion­nement sim­i­laire.

Amédée Lynen, Théâtre du Diable au corps, 1896, lithographie couleur sur papier, 65 x 48, n° inventaire B 333, Don J. Botte 1906, Musée d’Ixelles.
Amédée Lynen, Théâtre du Dia­ble au corps, 1896, lith­o­gra­phie couleur sur papi­er, 65 x 48, n° inven­taire B 333, Don J. Botte 1906, Musée d’Ixelles.

À par­tir de 1952, les nou­veaux cabarets renon­cent à la soirée en deux par­ties et pro­posent des séances indis­tinctes, où se suc­cè­dent des types de per­for­mances var­iées. Les revues satiriques, les sketch­es et l’humour ont tou­jours droit de cité ; s’illustrent aus­si bien dans ce reg­istre le chan­son­nier Robert Roc­ca que le duo Roger Pierre et Jean-Marc Thibault. Ces lieux ser­vent sou­vent de rampe de lance­ment pour des artistes de la chan­son qui devien­dront des vedettes du music-hall : Brassens, Bar­bara, Jean Fer­rat, Nana Mousk­ouri… L’Écluse (1951 – 1974) s’impose comme un des hauts lieux de cette pro­mo­tion de la chan­son, à côté de pro­grammes var­iés où la poésie d’Éluard ou d’Aragon voi­sine avec les sketch­es comiques et toutes sortes de numéros visuels. Dans les années 1970, la vogue des cabarets s’étiole, avec l’essor des var­iétés télévi­suelles et la con­cur­rence des cafés-théâtres.

Éros au cabaret

Si les cabarets artis­tiques affectent de dédaign­er l’érotisme facile du music-hall, ces « usines du plaisir » où règ­nent « les femmes nues10 », cer­tains étab­lisse­ments n’entretiennent pas moins volon­tiers un rap­port affiché à la sex­u­al­ité. Les années 1950 con­nais­sent par exem­ple une vogue du strip-tease, qui affectera même des boîtes qui ont pignon sur rue : la Tomate, rue Notre-Dame-de-Lorette, que fréquente entre autres de Funès, devient à par­tir de 1957 une salle de strip-tease con­tinu de trois heures de l’après-midi à minu­it ; le Tabou lance un strip-tease exis­ten­tial­iste11. D’autres salles affichent car­ré­ment la couleur, tel le Cabaret des Natur­istes, act­if dans les années 1950 et sis place Pigalle, à l’emplacement de l’ancienne Abbaye de Thélème, un des cafés mont­martrois où, selon un guide touris­tique à l’usage des messieurs de 1906, « les cocottes se rassem­blent12 ». À la fin du xixe siè­cle, cer­tains étab­lisse­ments mont­martrois pra­tiquent un éro­tisme qui se veut raf­finé, celui par exem­ple des Chan­sons sen­suelles de Gas­ton Habreko­rn, au Divan Japon­ais – un des lieux où l’on peut voir les pre­miers « désha­bil­lés » avec le Couch­er d’Yvette, en 1894 – que le poète-directeur déclame devant d’évocateurs tableaux vivants appelés « pos­es sen­suelles13 ». Quant aux bals d’artistes, ils peu­vent être l’occasion de mon­tr­er des mod­èles féminins inté­grale­ment nus, comme celui des Quat’z’arts de 1893 qui fait scan­dale à l’Élysée-Montmartre. C’est encore un pré­texte artis­tique que bran­dit, dans les années 1960, Alain Bernardin au Crazy Horse, habil­lant les danseuses nues de motifs lumineux inspirés par l’op art et le pop art14. Les cabarets de l’entre-deux-guerres n’ont pas for­cé­ment ces enjo­live­ments, et quelques-uns agré­mentent leurs revues minia­tures de diver­tisse­ments qui n’ont rien à envi­er au music-hall : ain­si, le Théâtre de l’Abri – un caveau de chan­son­niers mont­martrois – pro­pose au spec­ta­teur de recon­naître les seins nus d’inter-prètes de L’Art… vu… nu15, et l’on peut voir des « beautés nues » au Cabaret des nud­istes – autre­fois Cabaret des déca­dents – dès 1932. L’affichage artiste n’est par­fois qu’un mince ali­bi bohème.

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Paul Aron
Paul Aron est enseignant-chercheur de littérature belge et française. Docteur en philosophie et lettres de...Plus d'info
Romain Piana
Romain Piana est maître de conférences habilité à l’université Sorbonne Nouvelle (Institut d’études théâtrales). Dernier...Plus d'info
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