Une prise de risque balisée, à propos de Hen

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Une prise de risque balisée, à propos de Hen

Entretien avec Johanny Bert, metteur en scène et interprète du spectacle.

Le 15 Nov 2023
Lucile Beaune et Johanny Bert (manipulation et voix) dans HEN – cabaret dégenré, création de Johanny Bert, Clermont-Ferrand, 2019. Photo Christophe Raynaud-Delage.
Lucile Beaune et Johanny Bert (manipulation et voix) dans HEN – cabaret dégenré, création de Johanny Bert, Clermont-Ferrand, 2019. Photo Christophe Raynaud-Delage.
Lucile Beaune et Johanny Bert (manipulation et voix) dans HEN – cabaret dégenré, création de Johanny Bert, Clermont-Ferrand, 2019. Photo Christophe Raynaud-Delage.
Lucile Beaune et Johanny Bert (manipulation et voix) dans HEN – cabaret dégenré, création de Johanny Bert, Clermont-Ferrand, 2019. Photo Christophe Raynaud-Delage.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 143 Cabaret - Althernatives Théâtrales
150 – 151

Depuis 2019 et son suc­cès au fes­ti­val d’Avignon, l’équipe du Théâtre de Romette, implan­té à Cler­mont-Fer­rand, provoque un peu partout la ren­con­tre joyeuse­ment déli­rante de Hen, créa­ture hybride unis­sant fan­tasmes mas­culins et féminins, avec un vaste pub­lic intrigué par la créa­tion récente de ce pronom sué­dois non gen­ré, et attiré par l’invitation à un cabaret annon­cé.

Voilà vingt ans que vos mis­es en scène adoptent des formes mou­vantes, irrégulières, sans présence sys­té­ma­tique de mar­i­on­nettes ou d’objets. Est-ce la thé­ma­tique de l’identité sex­uelle et du genre qui vous a entraîné cette fois à met­tre essen­tielle­ment en lumière un per­son­nage mar­i­on­net­tique ?

Le point de départ a été une recherche sur ce qu’est devenu, en France ou dans d’autres pays, le car­ac­tère sub­ver­sif de la mar­i­on­nette. Plusieurs pub­li­ca­tions appor­tent main­tenant des infor­ma­tions sur le sujet, notam­ment Mar­i­on­nettes et pou­voir1. J’avais envie de faire ressur­gir la force de la mar­i­on­nette inso­lente et trash, peut-être un peu oubliée en scène ces dernières années. J’ai un passé de mil­i­tant dans des asso­ci­a­tions lgbtqia+. Depuis longtemps, je désir­ais abor­der le sujet de l’identité, de la sex­u­al­ité, des dis­crim­i­na­tions, et je souhaitais surtout trou­ver une façon de créer un per­son­nage libre, qui assume com­plète­ment qui il ou elle est en évi­tant l’introspection douloureuse, quitte à ce qu’on me le reproche. Sans mise en évi­dence du mil­i­tan­tisme, un per­son­nage en dehors de la vie ordi­naire, pour qui tout va bien tant qu’il est dans l’enceinte d’un théâtre, dans le cocon de l’imaginaire du pub­lic, mais qui pose la ques­tion aux spec­ta­teurs : « Est-ce que vous accepteriez mon iden­tité de la même façon si j’étais dans la rue ? »
La ques­tion de l’objet mar­i­on­net­tique est arrivée immé­di­ate­ment. Je ne me sen­tais pas légitime pour inter­préter un per­son­nage qui change de genre, je ne suis pas drag-queen. La mar­i­on­nette est exacte­ment au bon endroit pour représen­ter un per­son­nage chimérique, un puz­zle de gen­res, d’identités sex­uelles, d’attributs mas­culins et féminins. Depuis une quin­zaine d’années, j’assure prin­ci­pale­ment la mise en scène de textes con­tem­po­rains, avec ou sans mar­i­on­nette, et j’avais envie cette fois d’interpréter, de manip­uler et – une pre­mière – de chanter sur scène. Nous avons donc com­mencé par un lab­o­ra­toire pour tester deux choses : le car­ac­tère inso­lent de la mar­i­on­nette et la pos­si­bil­ité que ce soit moi qui chante. Après les essais, l’équipe m’a vive­ment encour­agé à pour­suiv­re et je me suis retrou­vé met­teur en scène et inter­prète vocal du per­son­nage que je manip­ule en duo avec Lucile Beaune. Je con­nais­sais Lucile depuis l’école du Théâtre aux Mains Nues, à Paris.

Qu’est-ce qui a motivé le choix d’un dis­posi­tif de type cabaret musi­cal berli­nois ?

Une fois que j’ai créé le per­son­nage, je me suis posé assez vite la ques­tion du pub­lic auquel je le des­ti­nais. J’avais envie de m’adresser à ceux qui sont un peu per­dus en face des ques­tions de genre ou d’identité. Nous avons com­mencé le tra­vail en 2018 et créé le spec­ta­cle en 2019. Les dates sont impor­tantes, la société a beau­coup évolué en quelques années sur ces ques­tions. Tout n’est pas résolu, les dis­crim­i­na­tions sont tou­jours présentes à cer­tains endroits et les rad­i­cal­ités d’opinion aus­si, mais il y a eu de grands change­ments depuis, grâce à tout un tas de per­son­nes et de mil­i­tants. Donc, je voulais m’adresser en pri­or­ité à des indi­vidus extérieurs à la com­mu­nauté lgbtqia+, qui, elle, sait déjà de quoi il s’agit, et je tenais à ce que le per­son­nage ne soit pas dans l’invective, dans la vio­lence de l’accusation, mais au con­traire dise : « Ça va très bien se pass­er, je vais vous guider. » Dans cette per­spec­tive, il fal­lait que je mette en place une sorte de con­trat recon­nu entre le per­son­nage et les spec­ta­teurices.

L’annonce d’un cabaret pou­vait con­stituer ce con­trat heureux. Cabaret est un mot-valise qui rassem­ble des formes très dif­férentes mais, d’un point de vue dra­maturgique, c’est le lieu de la séquence. D’habitude, je tra­vaille sur des pièces linéaires, avec une his­toire, des réso­lu­tions, etc. Là, je tra­vail­lais sur du séquençage, ce que per­met le cabaret en évi­tant l’autofiction. Ensuite, c’est une con­ven­tion avec les spec­ta­teurices, don­née dès le départ : « Ce que vous allez voir peut être un peu sul­fureux, un peu inso­lent et provo­cant, mais c’est fait avec humour. » Le cabaret est une pro­tec­tion, un cocon.

Hen a beau­coup tourné, vous avez été pro­gram­mé dans des grandes salles. Est-ce que vous avez tou­jours pu recon­stituer l’espace de prox­im­ité du cabaret et la con­fig­u­ra­tion spé­ci­fique des­on pub­lic ?

Nous avons joué dans des lieux très dif­férents, y com­pris à jauge élevée. La prox­im­ité du pub­lic est tou­jours appré­cia­ble pour la mar­i­on­nette et je l’aime au plateau, mais je ne suis pas cer­tain qu’on ait besoin du code des tables pour qu’on soit dans l’ambiance cabaret. Ce qui crée le lien, c’est l’improvisation. Entre les chan­sons, le texte n’est qu’une grille sur laque­lle je me per­me­ts d’improviser en fonc­tion de ce qu’il se passe avec les musi­ciens, l’interprète lsf qui est par­fois à côté du castelet, et surtout avec la salle. C’est ce grand plon­geon qui place le per­son­nage au présent et donne la notion du cabaret. C’est très exci­tant de se jeter devant une salle et de sen­tir immé­di­ate­ment si ce qu’on dit provoque un fris­son, un rire gêné, un rire com­plice, ou plante com­plète­ment. De plus, dans la manip­u­la­tion avec ma parte­naire, nous sommes dans ces moments-là égale­ment en impro­vi­sa­tion com­plète, à l’écoute extrême des impul­sions à don­ner à la mar­i­on­nette. Le spec­ta­cle demande une énergie gigan­tesque et j’en sors viv­i­fié par ce shoot d’adrénaline.

Pour prolonger l’approche de Hen du côté des chansons et de leur écriture, voir le texte de Prunella Rivière pages 68 et 70.
  1. “Raphaèle Fleury et Julie Ser­mon (sous la dir. de), Mar­i­on­nettes et pou­voir. Cen­sures, pro­pa­gan­des, résis­tances, Édi­tions Deux­ième Époque/Institut inter­na­tion­al de la mar­i­on­nette, 2019.” ↩︎

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Évelyne Lecucq
Évelyne Lecucq est journaliste et dirige Mû, publication consacrée à l’art de la marionnette.Plus d'info
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