Le mythe primordial du Japon comportait le néant en son centre1. Il n’y eut plus alors qu’ombre et chaos, et choses et gens faisant, dans cette confusion, de leur mieux pour restaurer la lumière du jour.
(…) À mi-parcours de ce dernier quart du siècle, il semble que nous ayons été sevrés (à nouveau) des significations individuelles et/ou collectives censées venir occuper, telle une chair habillant le squelette, les espaces interstitiels du mythe-structure. (…) Les humains n’ont plus de chair:à la place, ils n’ont que des corps, trop embarrassés et empruntés en eux-mêmes pour servir à la narration du mythe. La fête ne peut être vraie que si cette gène est transcendée, si la séparation entre les corps est comblée par la fonction de l’âme : le couple chair/esprit enfermé dans le sac de peau de l’individu sait, consciemment et scientifiquement, qu’il est né quelque part — et pourtant il ne sait pas comment y retourner. Le gène humain attend, rêvant à la stimulation qui lui donnera accès à la mémoire oubliée de notre voyage au fil des siècles. Car le mythe du futur est d’ores et déjà écrit : le manuscrit est là, tout proche, au cœur de notre mémoire oubliée et intemporelle. Qui le lira, ou nous aidera à le lire ? Si le médium est le message et si la fonction crée l’organe, il s’ensuit que les protagonistes du mythe sont en même temps ses instruments de lecture. Tanaka Min est de ceux-là, parce qu’il est un danseur et que, danseur, il a atteint à l’anonymat — même s’il nous faut encore l’appeler par un nom pour les besoins de cet article. Le protagoniste anonyme est un concept paradoxal mais, comme tous les paradoxes, il est vrai aussi. Et quand l’âme — ce lien fragile mais persistant qui nous relie à notre mémoire oubliée — est stimulée dans l’espace et le temps invoqués par le danseur, nous pouvons nous en réjouir, et cette fête à son tour fera se manifester clairement à nos yeux le mythe du futur.
Traduit de l’anglais par Daniel De Bruycker
- Kobata Kazue fait allusion à l’épisode de la mythologie japonaise où Amaterasu-omikami, la déesse du Soleil, s’était retirée au fond d’une caverne du ciel après avoir été offensée par un autre dieu. Ce n’est qu’en exécutant devant Sa caverne une danse comico-érotique —prototype des spectacles sacrés et archétype de la féte au Japon — qu’une autre déesse, excitant sa curiosité, parvint à l’en faire sortir. (Voir aussi l’interview de Suzuki Tadashi et celle de Don Kenny). (n.d.t) ↩︎