Imiter est naturel aux hommes et se manifeste dès leur enfance (l’homme diffère des autres animaux en ce qu’il est très apte à l’imitation et c’est au moyen de celle-ci qu’il acquiert ses premières connaissances) et, en second lieu, tous les hommes prennent plaisir aux imitations.
Aristote, La poétique
On admirera la simplicité avec laquelle Aristote définit, au IVe siècle avant J.C., le plaisir simultané de l’acteur et du spectateur, ainsi que l’utilité didactique de leur plaisir réciproque. Ce qu’il ne dit pas, c’est que les hommes sont diversement doués pour l’imitation. Du moins, de l’histrionisme spontané, qui peut faire la joie des tables de famille, à l’art de plaire et d’instruire par la représentation sensible et critique des relations humaines, il y a toute la distance qui sépare le jeu au sens d’activité d’évasion et de défoulement et le jeu que guident des règles précises, dont la transformation ou même la transgression imposera, a son tour, de nouvelles règles. Pour distinguer ces deux types de jeu, l’anglais dispose de deux termes : play désigne la créativité désordonnée ; et game, ces exercices qui délassent tout en mobilisant les ressources de intuition, de l’intelligence et du calcul : le jeu des échecs, les jeux de cartes, les jeux du stade.
C’est évidemment à ce deuxième type qu’il faut rattacher le jeu de l’acteur de métier, et l’apprentissage de ce métier consiste souvent à passer du play au game ; à asseoir des dons naturels sur la connaissance des forces qui règlent la vie des hommes et sur les techniques nécessaires à leur représentation. C’est pourquoi, les théâtres professionnels et subventionnés s’étant développés en Suisse romande depuis 19471, les anciennes classes de déclamation incluses dans les Conservatoires de musique ont vu la nécessité de se renforcer et de se restructurer pour se convertir, l’une en l’Ecole romande d’art dramatique (ERAD, Lausanne, 1960); l’autre, en l’Ecole supérieure d’art dramatique (ESAD, Genève, 1971). Les Conservatoires continuent de les abriter2.
Vu de haut, le cursus actuel des deux écoles offre des ressemblances : après une propédeutique, l’apprentissage est de trois ans. Au programme, des cours techniques le matin ! techniques respiratoires, vocales et corporelles ; un cours théorique aussi ; l’après-midi et le soir, des stages ou ateliers, assurés par des maîtres affiliés à l’école ou appelés de l’étranger ; d’une durée variable de 2 à 10 semaines, les stages aboutissent d’ordinaire à ta présentation d’un spectacle ou d’un exercice, soumis à l’évaluation des professeurs.
Vues de près, en revanche, les deux Doyens, d’abord : l’école genevoise est dirigée par Mme Leyla Aubert, formée au cours parisien de Tania Balachova et à Londres ; celle de Lausanne, par André Steiger ; metteur en scène et comédien, il a paye son pédagogiques qui ont fait la vie du théâtre francophone depuis trente ans. La ou la première insiste sur grossièrement esquissées, deux orientations complémentaires qui remontent aux deux maitres de l’art théâtral moderne : Stanislavski et Brecht. Deux orientations qui peuvent influer sur le choix des professeurs, et auxquelles ce choix, d’ailleurs, professeurs sont engagés de part et d’autre.
Ecoles qui résolvent aussi chacune à leur façon les questions auxquelles quelques-unes de ces questions que le présent article voudrait exposer.
Niveau propédeutique et niveau professionnel
Comment s’articulent ces deux niveaux ? A Lausanne, le lien se fait organiquement. Le cursus total étant de quatre ans, la première année accueille un grand nombre d’élèves : en 1984, vingt-quatre, sur une quarantaine de demandes. Les élèves travaillent surtout en ateliers libres, le rôle des professeurs étant de donner des conseils, de répondre aux questions, de fournir au travail qui Stagnerait des impulsions nouvelles. Et c’est à la fin de cette année que le corps professoral désigne ceux qui lui paraissent avoir les dons, mais aussi l’énergie et l’engagement nécessaires pour envisager la profession. En 1984, neuf personnes ont été retenues pour la deuxième année.
Le Conservatoire de Genève, lui, abrite, outre l’ESAD, une école dite élémentaire, d’une durée de trois ans, qui, conçue comme un service public, va jusqu’à accueillir en début d’année cent ou cent-vingt inscriptions. Là se côtoient, quelques heures par semaine, les motivations, les besoins et les ambitions les plus disparates : les amateurs du play, ceux qui visent la maitrise du game, et toutes sortes de gens dont les activités futures exigeront aisance orale et tenue corporelle — enseignants, avocats, etc. — A la fin de la troisième année, ceux des élèves qui ont tenu bon, alors au nombre de vingt ou trente, soit obtiennent une simple attestation d’études, soit présentent scènes et poèmes — il s’agit alors d’un concours — en vue de leur admission à l’ESAD. Le jury de l’ESAD, composé de professeurs autres que ceux de l’école élémentaire, en admet un maximum de dix par année.
Sur quels critères admettre un élève dans l’école ?
Il existe dans le monde, sur ce point, deux traditions différentes. La première assimile l’école d’art dramatique à une haute école, à une Université ; elle exige donc de ses candidats le baccalauréat ou son équivalent. Certaines universités anglo-saxonnes, par exemple, disposent de Départements of drama munis d’une scène et dispensant un enseignement à la fois théorique et pratique. Le licencié qui en sort a des cordes à son arc : il sera, selon ses aptitudes et ses visées, comédien, dramaturge, metteur en scène, critique, pédagogue ; il dirigera une revue, une maison d’édition, il fera de la recherche. Selon cette belle tradition, pratique de l’art et réflexion sur l’art sont indissociables.

