Plutôt qu’une troupe de théâtre ordinaire, le Théâtre du loup est un groupe colore et divers, une sorte de tribu informelle comprenant enfants, adultes, musiciens, comédiens, amateurs ou professionnels, tous réunis par un enthousiasme constant et communicatif. Des saltimbanques modernes en Somme, transportant leurs malles de costumes de salles communales en entrepôts désaffectes et affichant clairement leur goût et leur parti-pris pour une culture accessible a tous, populaire — sans fioritures théoriques autour de ce mot -, qu’elle s’inspire des contes de Grimm, de textes de Gabriel Garcia Marquez ou de la bande dessinée.

A ne pas confondre cependant avec une bande de copains doues, un tantinet idéalistes et farfelus à leurs heures. Car, sous des dehors décontractés et un air de ne pas se prendre au sérieux, le groupe sait faire preuve d’une haute exigence de travail, et d’une remarquable capacité d’évolution et d’innovation dans sa démarche.
Avec sept années d’existence et une douzaine de créations de spectacles a son actif, sans compter les réalisations ponctuelles et autres animations de quartier, le Loup constitue aujourd’hui l’une des expériences les plus originales du théâtre indépendant en Suisse romande : performance exemplaire, étant donné l’état d’éclatement et de précarité dans lequel le théâtre non institutionnel est délibérément maintenu dans nos régions. Ce succès, — non exempt de difficultés et de zones d’ombre, du cote des conditions matérielles et financières notamment — le Théâtre du loup le doit sans doute autant a sa manière d’assumer pleinement son indépendance vis-a-vis du théâtre Institutionnel qu’à sa ténacité dans le travail.
A ses débuts, le groupe se consacre à la réalisation de spectacles encore proches de l’animation — d’ou il est issu — et utilisant des moyens scéniques élémentaires. Déjà, les masques et la musique font partie intégrante du jeu et un personnage de conteur assure la partie narrative du spectacle. Déjà, les distributions rassemblent adultes et enfants, et déjà le courant passe avec le public, séduit par la simplicité, l’ingéniosité et l’humour de ces réalisations.
Mais c’est en 1981 que le Loup franchit sa première étape décisive en présentant, sous le titre
Les curieux vinrent de loin,
l’adaptation scénique d’un conte de Gabriel Garcia Marquez. Deux ans de préparation, une salle de paroisse entièrement transformée en plage, avec sable, crabes et falaises imposantes, plus de trente interprètes et une grande rigueur dans le travail font de cette entreprise, titanesque au regard des conditions dans lesquelles elle a été menée a bien, une totale réussite, cent pour cent de fréquentation et un succès critique unanime. Loin des institutions et des théories sur le théâtre, le Loup, cet automne-la, sort véritablement de sa tanière.
Il ne cessera depuis lors d’affirmer son originalité et son indépendance, d’inventer des formes inédites de spectacles, privilégiant l’image plutôt que le texte, maniant l’humour avec légèreté et virtuosité et réunissant toujours es interprètes les plus divers sous le signe du plaisir et du jeu. Sous le signe de la rigueur et du risque aussi, car — et c’est sans doute là une des clés du succès et de la durabilité du Loup — chaque nouveau spectacle est un pas en avant, sur le plan de l’exploration de nouveaux territoires, de nouvelles possibilités, de nouveaux enjeux.
Ainsi, il y a trois ans, le Loup s’attaque-t-il a un projet dont la nouveauté et l’actualité ne sont pas forcement synonymes de réussite facile : porter a la scène des univers de bandes dessinées, recréer en trois dimensions cet espace visuel et imaginaire, ce monde de l’ellipse et du clin d’œil fugitif, ces personnages aux comportements imprévisibles et souvent absurdes. Gerald Poussin d’abord, jeune bédéiste genevois, puis Georges Herriman, dessinateur américain du début du siècle, surtout connu des initiés, seront donc les inspirateurs de deux spectacles récents du Loup : Buddy et Flappo brûlent les planches et Krazy Kat. Deux réalisations qui, quoique bien différentes l’une de l’autre, ont révélé le décorateur Eric Jeanmonod, qui est aussi le concepteur des spectacles et e principal animateur du Loup, autant qu’elles ont démontré la capacité du groupe a porter un travail de grande exigence artistique, tout en gardant sa fraicheur et son charme, propres.
Haut en couleurs, fourmillent de personnages insolites et drôlatiques, Buddy et Flappo nous entraine dans un univers proprement délirant que les deux héros traversent avec une bonhomie et une naïveté dignes des plus grands comiques. A l’opposé, Krazy Kat est un spectacle sobre, tout en noir et blanc, dont les trois personnages principaux — parmi lesquels un enfant, remarquable — sont lies par des rapports oscillant entre haine et tendresse : l’émotion contenue et l’humour tout en demi-teinte y sont comme une corde tendue au-dessus du néant et de l’absurdité des choses…
Avec ces deux réalisations, créées en alternance avec des spectacles réunissant toute sa meute, le Théâtre du loup saute la barrière de l’expérience locale et mérite largement une audience qui dépasse les frontières de la Romandie. Par le caractère unique de sa démarche autant que par sa maitrise du langage scénique qu’il s’est choisi.
Krazy Kat d’après George Herriman
par le Théâtre du loup
Avec : François Berthet, Christian Graf,
Eric Jeanmonod, Rossella
Riccaboni,Sandro Rossetti,
Simon Aeschimann, Aloys.
Adaptation scénique, masques, décors et
mise en scène : Eric Jeanmonod.

