Le Théâtre de la comédie de Genève a été créé en 1913 par Ernest Fournier qui s’est efforcé pendant vingt-cinq ans de défendre et d’illustrer un répertoire mis à l’honneur par Copeau. Longtemps il l’a fait sans subventions publiques et, lorsque celles-ci ont fini par venir, elles furent extrêmement modestes.
Pour réussir à équilibrer son budget, Fournier a été obligé de présenter aussi des pièces dites « de boulevard » et de travailler à un rythme terrible : un nouveau spectacle chaque semaine et un classique par mois.
Après Ernest Fournier, ses successeurs (Maurice Jacquelin : jusqu’à la fin des années 50, puis André Talmès) ont donné une plus grande place au « boulevard » parisien et ont accueilli généreusement les tournées Herbert et Karsenty. Il faut noter pourtant que c’est à la Comédie qu’un jeune Italien inconnu exilé en Suisse, Giorgio Strehler, a monté en 1945 son premier spectacle, Meurtre dans la cathédrale, d’Eliot. Par la suite, Richard Vachoux, directeur jusqu’en juin 1982, a eu le courage de se libérer de l’emprise des galas parisiens, mais sa tâche en a été rendue singulièrement difficile.
Lorsqu’il a repris la direction de la Comédie, répondant à l’appel qui lui avait été adressé, Benno Besson — collaborateur pendant de nombreuses années du Berliner Ensemble et du Deutsches Theater, puis directeur de la Volksbühne, metteur en scène à la réputation internationale — s’est trouvé devant l’énorme tâche de mobiliser un large public autour d’un projet ambitieux : faire un théâtre accessible à tous mais répondant à des critères de qualité rigoureux. Sous son impulsion, la Comédie a pris en trois ans un essor considérable, tant en Suisse qu’en dehors des frontières.
Quelques questions à Emmanuel de Véricourt, collaborateur de Benno Besson à la Comédie de Genève, ancien directeur délégué du Théâtre national de l’Est parisien
Yvette Z’Graggen : Comment situez-vous la Comédie dans la vie théâtrale genevoise ?

Emmanuel de Véricourt : A Genève, il existe quatre institutions théâtrales. La première c’est le Grand-Théâtre, c’est-à-dire l’Opéra. Ensuite viennent la Comédie et le Théâtre de poche qui sont sous le contrôle de la Fondation d’art dramatique de la Ville de Genève. La quatrième institution, qui n’est pas à proprement parler en ville mais dans l’agglomération genevoise, c’est le Théâtre de Carouge. Pour une ville qui compte grosso modo, avec la périphérie, 300.000 habitants, c’est énorme, si l’on compare avec ce qui existe dans des villes equivalentes de l’ensemble des pays européens avoisinants. La Comédie de Genève est le plus important de ces théâtres institutionnels après le Grand-Théâtre (Opéra). Sa subvention est de l’ordre de FS 2.500.000 (c’était en tout cas celle de la saison 1984/1985). Quant à son budget, il fluctue en fonction des coproductions et des tournées qui peuvent se réaliser chaque saison, mais il est rarement en-dessous de 5 millions de francs, ce qui, par rapport à la subvention, représente une part de recettes de 50%.
Au regard de sa subvention, la Comédie de Genève est un théâtre plutôt modeste en comparaison des théâtres en France, en Allemagne et en Italie — je ne parle pas de la Belgique ou des subventions de ce type sont relativement rares. C’est un théâtre modeste aussi dans le sens que son personnel est très peu nombreux, puisqu’il n’y a que 18 à 20 permanents. Grâce à cette structure, la plus grande partie du budget peut être consacrée à l’artistique, c’est-à-dire à la création de spectacles, l’engagement de comédiens, metteurs en scène, musiciens, décorateurs, etc.
Il n’y a pas de troupe à la Comédie de Genève. Cela correspond à la fois à une habitude de ce théâtre et à la volonté de Benno Besson quand il en a pris la direction : venant de théâtres dans lesquels il trouvait des troupes permanentes, il a eu envie de pouvoir constituer ici, à l’occasion de chaque spectacle, des équipes artistiques indépendantes. D’ailleurs, une troupe ne peut exister dans un théâtre que s’il y a un nombre relativement important de comédiens, ce qui serait exclu a la Comédie de Genève puisque ses moyens ne lui permettraient pas d’avoir les 20 à 30 comédiens permanents nécessaires à la création de quatre à cinq spectacles par saison et à l’exploitation de ceux-ci en tournée. Cette saison 1985/1986, nous aurons même six créations à la Comédie de Genève grâce à nos bénéfices antérieurs et au concours de coproductions avec d’autres établissements suisses ou étrangers.
Y.Z’G.: Cette ouverture sur l’extérieur n’est-elle pas un élément nouveau dans l’histoire du Théâtre de la comédie ?




