La tragédie : une fonction retrouvée

La tragédie : une fonction retrouvée

Le 27 Oct 1989

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LA DRAMATURGIE

Elles touchaient la fin et le savaient, mais la demeure du savoir était dévastée par ce qu’elles savaient, Leur Savoir logeait dans leur chair, qui les tor­tu­rait d’une façon intolérable — les hurlements ! — dans leurs cheveux, leurs dents, leurs ongles, dans leur moelle et leurs os.

Christa Wolf, extrait de « Cas­san­dre » (tra­duc­tion d’Alain Lance, éd. Alinéa) 1985 

En juil­let 1986, Thier­ry Salmon pré­parait dans une car­rière non loin de Santar­can­ge­lo (Rim­i­ni) les Pre­messe alle Troiane. Le fil con­duc­teur du tra­vail était Cas­san­dre de Christa Wolf, et l’hy­pothèse sug­gérée celle d’un univers féminin capa­ble d’a­viv­er et de nour­rir les grands thèmes d’une altérité men­acée et vio­len­tée par l’his­toire. J’avais été fascinée dans ce tra­vail d’une part par l’am­pleur de l’e­space nar­ratif, qui emprun­tait plus de l’épique que du trag­ique, et d’autre part par l’at­ten­tion qua­si min­i­mal­iste accordée aux gestes quo­ti­di­ens de la com­plic­ité, tan­tôt joyeuse, tan­tôt douloureuse entre ces femmes. Dans cette car­rière com­plète­ment nue jail­lis­saient les images d’une nou­velle explo­ration de la tragédie, éclairées par une extra­or­di­naire atten­tion portée à l’u­nivers féminin au théâtre. Les travaux suc­ces­sifs de Salmon m’ont con­fir­mé sa capac­ité très per­son­nelle de peu­pler la scène théâ­trale d’ac­tions qui comme des images de veil­lée, con­stru­isent un pont entre mémoire et inter­pré­ta­tion, entre l’u­nivers de l’ac­teur et l’his­toire du per­son­nage. Cer­taine­ment nous sommes là face à un style, mais avec en plus la sug­ges­tion d’une méth­ode.
La même année, en sep­tem­bre, j’ai décou­vert grâce à Fran­co Quadri, la réal­ité artis­tique des Ores­tia­di di Gibel­li­na : une entre­prise qui dépasse de loin le seul cadre des fes­ti­vals d’été. Le drame représen­té à cette occa­sion : La tragédie de Didon reine de Carthage de Mar­lowe, réu­nis­sait dans la réal­i­sa­tion de Chérif les traits bar­bares d’un archaïsme arché­typ­ique avec le mythe de la con­ti­nu­ité his­torique qui se réal­i­sait par l’im­placa­ble voy­age d’Enée depuis Troie jusqu’aux rivages du Latium. Devant les murs d’une Carthage que le sable du désert préser­vait de toute ten­ta­tion clas­sique, les pas­sions des hommes don­naient corps à la tragédie des peu­ples. Les habi­tants de Gibel­li­na guidaient notre vision de la tragédie par­mi les ruines comme ils avaient guidé aupar­a­vant avec une juste fierté notre par­cours dans les quartiers en recon­struc­tion.
Quand à Gibel­li­na on a com­mencé à par­ler du pro­jet Les Troyennes et que Salmon m’en a pro­posé la respon­s­abil­ité dra­maturgique, à mesure que les étapes de son développe­ment à tra­vers l’Eu­rope se définis­saient, s’est éveil­lée en moi, en même temps qu’un Sen­ti­ment d’in­cré­dulité, la con­science d’une néces­sité.

Chaque élé­ment du pro­jet était fasci­nant, et appa­rais­sait comme la véri­fi­ca­tion défini­tive d’hy­pothès­es et de pra­tiques sug­gérées par ailleurs. Il me sem­blait que nous sor­tions du domaine des inter­pré­ta­tions habituelles et des exé­cu­tions con­v­enues pour entr­er dans le vif d’un proces­sus de tra­vail où jour après jour la fatigue quo­ti­di­enne libère la matière même des désirs mis en jeu. Cha­cun des mail­lons du pro­jet dépas­sait le seul plaisir de sa pro­pre exis­tence pour pour­suiv­re un idéal d’u­nité. C’est peut-être là une manière de vivre aujour­d’hui la fonc­tion du trag­ique. Cha­cune des artic­u­la­tions de cette fonc­tion éclairait et enrichis­sait l’u­nité de l’ensem­ble.

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Les Troyennes d'Euripide
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Écrit par Renata Molinari
Diplômée d’his­toire du théâtre, elle enseigne à Milan. Dans les années 70, elle s’est partagée entre la recherche...Plus d'info
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