UN homme, le narrateur, s’installe dans la mansarde Häller. Son but : mettre de l’ordre dans les papiers d’un suicidé : Roithamer, 42 ans, biologiste, professeur à Cambridge, architecte, qui construit pour sa sœur un cône parfait, matérialisation de l’édifice idéal.
Qui est ici le narrateur ? Quelle est sa formation ? Quelle profession exerce-t-il ?
Souvent, les récits de Thomas Bernhard mettent en scène des couples complémentaires, des figures gémellaires. Dans « Arras », l’un des frères penche pour ce que l’allemand appelle les « sciences de l’esprit », les sciences humaines. L’autre, pour les « sciences de la nature » ou les sciences exactes.
Qui évoque ce couple, pense au mythe de l’amour jumeau dans le banquet de Platon et aussitôt se voit suggérer que Bernhard essaie de mettre la science en scène, tels deux frères irréconciliables, malgré leur caractère gémellaire.
L’opposition dans la complémentarité, les couples antagonistes se retrouvent à d’autres niveaux : classe sociale différente. Mais il y a aussi dans les récits le haut et le bas, le clair et l’obscur, la ville et la campagne, etc…ou la singularité de Roithamer par rapport à la famille, la marginalité et la ‘normalité, l’être et l’avoir.
Roithamer et sa sœur refusent tous deux l’héritage dans tous les sens du terme. D’une certaine manière, ils prétendent vivre sans acquis, sans histoire avant eux. Ce seront donc des déracinés parce qu’ils prétendent que le monde commence avec eux et dans ce monde, ils refuseront l’avoir au profit de l’être, et se condamnent par là à l’exil parce qu’ils veulent un monde à leur mesure et non à la mesure du passé oppressant.
Ce que Roithamer construit, c’est un édifice questionnant, un édifice d’inquiétude et d’interrogations qui finira par se retourner contre lui pour le tuer. Le cône, la construction est l’axe autour duquel tournent toutes les questions. Et ce lieu, ce bâtiment est interrogé depuis une mansarde sous le faîte d’un autre toit.
Cette mansarde Hôller n’est pas sans évoquer Hélderlin (ses amis l’appellaient Hôlderle) qui dans sa démence trouva refuge chez un menuisier du nom de Zimmer.
Là il arrive à Hôlderlin de jouer de la musique à tue-tête des heures durant.
Le lieu, les lieux, la question de l’identité, la phrase banale : qui sommes-nous, d’où venons-nous, où allons-nous. Avoir le courage d’affronter cette banalité dans ses préoccupations.
Les Wittgenstein, Ludwig, Paul mais aussi toute la famille ne cessent de marquer l’œuvre de Bernhard.
Richissime famille dont la fortune se construit en moins de 50 ans, dans la reprise des fermes en faillite d’abord, des forges ensuite, devenue l’égale des Krupp, Skoda, Carnegie parce qu’ils sont habités par un esprit éclairé, qui comprend que l’époque placée sous le signe d’une mutation profonde entre dans une révolution permanente, marquée par une accélération du temps et une nécessité d’innover sans cesse.
Cependant, l’immobilisme d’une aristocratie conservatrice au pouvoir domine l’Empire autrichien de l’époque. La nouvelle haute bourgeoisie qui détient les rênes de la vie économique est pourtant écartée de la vie politique. Désireuse de témoigner de son dynamisme et de son esprit d’entreprise, cette classe sociale investit dans l’art d’avant-garde de l’époque.
Tout ce que Vienne compte alors de créateurs défile chez les Wittgenstein. Ils aident Brahms, Clara Schumann, Pablo Casals, Mahler mais aussi Klimt pour lesquels ils construisent le Palais de la Sécession.
Néanmoins, dans cette famille où la fortune semble ne pas cesser de sourire, des drames se préparent. Les 5 fils de la famille parmi lesquels Paul et Ludwig avouent tour à tour leur homosexualité et, se désintéressant des affaires, marquent leur penchant pour l’art. Résultat : 3 des enfants mâles se suicident.
Le plus célèbre des 2 survivants, c’est sans doute Ludwig, le philosophe, celui qui refuse l’héritage.
Enfant surdoué, il rêvait à l’image de Bernhard, de devenir chef d’orchestre ou médecin. Sa vie sera beaucoup plus sinueuse, beaucoup plus tourmentée.
Après des études d’ingénieur à Berlin et Manchester, il se consacre d’abord à des travaux d’aéronautique, anticipe en 1907 le turboréacteur. Ayant touché aux limites de ce domaine de la recherche, il se penche sur les fondements de la mathématique, discute avec le logicien Frege, lequel avoue que Ludwig a mis le doigt sur les véritables problèmes de l’époque. Il rencontre alors Russel, dont il suit les cours Cambridge et se lie d’amitié avec lui. Russel le présente Virginia Woolf, Katherine Mansfield, Keynes, etc…

