La distorsion, l’aliénation
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La distorsion, l’aliénation

Le 23 Nov 1989
Article publié pour le numéro
Thomas Bernhard-Couverture du Numéro 34 d'Alternatives ThéâtralesThomas Bernhard-Couverture du Numéro 34 d'Alternatives Théâtrales
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EN 1962, lorsque Thomas Bern­hard écrit « Kul­ter­er », ce texte qui plus tard sera réécrit sous forme de scé­nario, il ter­mine de met­tre en place un procédé qui rapi­de­ment devien­dra un élé­ment majeur de son écri­t­ure : la dis­tor­sion, le gauchisse­ment, allant jusqu’à la déréal­i­sa­tion totale des per­son­nages, des lieux, gon­flant l’événe­ment anodin, l’anecdote, le fait divers, les propul­sant au rang de sit­u­a­tion épique ou au con­traire grotesque. 

Pierre Cordier Chimigramme, 7/10/89, Thomas Bernhard
Pierre Cordier Chimi­gramme, 7/10/89, Thomas Bern­hard

Il détourne de la même manière que les ramolisse­ments de Pol Bury infléchissent ou dévoient des mon­u­ments ou des por­traits de per­son­nal­ités. 

Dans la prison où il est incar­céré, Kul­ter­er, s’obstine à jouer un rôle de per­son­nage anonyme, absol­u­ment soumis à la règle de la cen­trale qu’il s’ap­prête à quit­ter pour y avoir purgé sa peine. 

Non seule­ment, le per­son­nage qui donne son titre à ce court réc­it existe bel et bien mais il joue un rôle impor­tant en tant qu’animateur de la jeune lit­téra­ture d’a­vant-garde de l’époque. 

Ecrivain, Hubert Fabi­an Kul­ter­er s’oc­cupe égale­ment d’une revue lit­téraire « Erôff­nun­gen » au point qu’il pour­rait s’agir d’une dédi­cace s’il n’avait écrit ou tail­lé un texte sur mesure comme il en écrira à la mesure de Claus Pey­mann ou de Minet­ti.

A la mesure ou à la démesure puisque le procédé devient un procédé d’aliénation. Le per­son­nage qui l’inspire devient tout autre, entre dans le champ de l’écriture de Bern­hard. C’est l’altération totale, à moins qu’il ne s’agisse d’un procédé d’i­den­ti­fi­ca­tion, d’aliénation. 

Le côté épique de l’œuvre de Bern­hard a rarement été souligné ; cet art de gon­fler, de grossir un événe­ment, jusqu’à ce que cela devi­enne trop gros.

L’ac­teur Minet­ti, jouant dans la pièce qui porte son nom, c’est trop gros, le nar­cis­sisme et l’autosuffisance de l’apolo­gie s’ef­fon­drent. L’écri­t­ure de Bern­hard, c’est le procès du nar­cis­sisme, une réflex­ion sur soi, tou­jours remise en ques­tion et battue en brêche. 

Devant le miroir de l’écriture, c’est la clowner­ie ou le jeu avec la folie et la mort. 

La répéti­tion et le glisse­ment sub­til du trag­ique dans le comique jusqu’au grotesque, et inver­sé­ment. 

N’est-ce pas Marx qui dis­ait que : « toute chose se répète tou­jours par deux fois, une fois de manière trag­ique et une fois de manière comique ». 

Ici, les deux vont de pair : il n’y a en fait chez Bern­hard jamais aucune forme arrêtée. Seule la mort arrête, alors que la vie est mou­ve­ment et par­ti­c­ulière­ment mou­ve­ment de vrille, de tor­sion, de dis­tor­sion, d’épuisement. De la tor­sion à l’ex­em­ple des fruits que l’on presse ou des ser­pil­lères que l’on essore jusqu’à la dernière goutte.
Ecrire est tou­jours pour Bern­hard un proces­sus d’épuisement et de destruc­tion. La dis­tor­sion est le favori. Elle amène la gri­mace, le sourire dans la gri­mace, le ric­tus, le rire dans le cri.
C’est pourquoi la répéti­tion n’est jamais infinie, elle se déroule entre un point et un autre. La fig­ure emblé­ma­tique de l’écriture de Bern­hard ce n’est pas la spi­rale mais la tor­sade, l’expiation de la ligne droite. 

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Thomas Bernhard-Couverture du Numéro 34 d'Alternatives Théâtrales
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