Le zéro et l’infini
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Le zéro et l’infini

Le 22 Nov 1989
Article publié pour le numéro
Thomas Bernhard-Couverture du Numéro 34 d'Alternatives ThéâtralesThomas Bernhard-Couverture du Numéro 34 d'Alternatives Théâtrales
34
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FREUD avait remar­qué que les enfants en âge de pos­er le pourquoi des choses précè­dent selon une stratégie où la réponse importe moins que la ques­tion qu’elle engen­dre, non pas qu’ils veu­lent faire le tour de cette ques­tion, mais parce qu’il en est une qu’ils ne veu­lent absol­u­ment pas pos­er : la ques­tion de l’origine, la leur, d’où est-ce que je viens, mais aus­si à tra­vers celle-là celle de l’hu­man­ité toute entière. Quelle est l’origine de l’homme ? 

En rela­tion avec cette sourde insis­tance à pos­er des ques­tions, Thomas Bern­hard ne ménage aucune pose, aucun blanc dans ses textes, comme s’il procé­dait d’un flux inces­sant et sans repos, d’une hor­reur du vide. 

Tel un état de siège, une ville encer­clée, investie, soumise sans répit aux vagues, aux assauts répétés. L’acharnement à l’œuvre, la pres­sion de toute part. 

Pas de rêve, pas de trêve.
Pas de repos, mais l’insistance obses­sion­nelle. 

La répéti­tion comme requête, redou­ble­ment de la demande. 

Dans le théâtre, la répéti­tion comme préam­bule à la représen­ta­tion, comme mise au point de l’in­ter­pré­ta­tion ; prémice chez Bern­hard d’une pièce qui ne sera jamais finie. 

Tout ce qui ani­me le théâtre se joue en couliss­es, en marge. 

Théâtre du théâtre décalé, de l’in­trigue légère­ment déplacée, hors du cadre de la représen­ta­tion tra­di­tion­nelle clas­sique, tel un pho­tographe qui vis­erait à côté de l’image prin­ci­pale s’acharnant sur des détails apparem­ment sans impor­tance ; des détails qu’il prend comme point d’appui dans le but de dis­tiller, de ren­vers­er le sys­tème de la représen­ta­tion. 

Pour en revenir au cer­cle, métaphore de la cav­ité, du creux, de l’ouverture sur le monde invis­i­ble, souter­rain. 

D’une cer­taine façon, tout com­mence en Hol­lande, lit­térale­ment le pays creux, cav­erneux ; se pour­suit avec la tuber­cu­lose dite à cav­erne.
Le monde de la cave engen­dre aus­si celui de la tour (cylin­dre) où deux frères se retrou­vent mis en quar­an­taine suite à une cat­a­stro­phe.
Le cer­cle après la cat­a­stro­phe, le zéro ou le manque du néant dont elle frappe les êtres. 

Plutôt le signe ou l’empreinte de la cat­a­stro­phe à laque­lle ils ne peu­vent échap­per. 

L’attente lourde, chargée à laque­lle elle don­nait lieu. 

Le dérisoire dis­cours à la lim­ite de la dérai­son que cette attente provoque et qui accule les êtres à dire le con­traire de ce qu’ils dis­ent ini­tiale­ment.

Dans cette sit­u­a­tion, le dis­cours n’est que le rem­plis­sage d’un silence obligé où par­lant, les êtres se con­damnent eux-mêmes au silence. La parole ne peut rien sinon pré­cip­iter les événe­ments. 

Sou­vent dans le théâtre plus un être par­le, plus il pré­cip­ite sa fin. L’être con­damné à mort par­le le plus. 

Peu de dia­logue dans ce théâtre, mais un mono­logue à haute voix qui empiète sur l’existence des autres comme s’il s’agis­sait d’un jeu d’échecs où le mou­ve­ment d’une pièce entraîne avec elle toutes les autres pièces jusqu’au match final. 

Dans le théâtre, la parole emplit la scène, non pas le jeu des acteurs mais cet emballe­ment de la parole qui se met en échéc, qui se piège, cette parole qui con­damne, dévas­ta­trice. Si les acteurs en sont les inter­prètes, ils en sont surtout les jou­ets, des mar­i­on­nettes, des pan­tins, non pas des ombres chi­nois­es mais des êtres habités par une mul­ti­tude d’êtres qui n’ont que le vide pour âme. 

Toute l’écriture de Bern­hard vise bien à épuis­er dans tous les sens du terme le sujet, à camper la lim­ite, à l’asseoir, à la fix­er d’abord dans le but de la démolir, de la crev­er ensuite. 

La ques­tion finale­ment n’est-elle pas la ques­tion de toute poésie : com­ment sor­tir du lan­gage sans per­dre pied, sor­tir de la représen­ta­tion sans pré­cip­iter sa chute ? 

Et tou­jours, cette impres­sion que laisse chaque livre, celle que Bern­hard à joué un bon tour. 

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