Avec Hubert Gignoux, Lucien et Micheline Attoun furent parmi les premiers à contribuer à la découverte des textes de Bernard-Marie Koltès.
Serge Saada : Comment avez-vous découvert le théâtre dr Bernard-Marie Koltès ?
Lucien Attoun : La première personne qui m’ait parlé de Bernard-Marite Koltès c’est Hubert Gignoux qui était directeur du Théâtre National de Strasbourg. Il m’a dit qu’il connaissait un jeune auteur dont les textes lui semblaient intéressants mais pas encore aboutis. Il voulait avoir mon avis sur ces textes et c’est ainsi que j’ai reçu deux pièces de Bernard-Marie Koltès dont LES AMERTUMES qui est en fait le premier texte qu’il a écrit et mis en scène à Strasbourg (dans un lieu non institutionnalisé).
En ce qui me concerne, j’ai présenté pour la première fois dans mon émission sur le nouveau répertoire dramatique de France Culture, une pièce qui s’appelle L’HÉRITAGE et qui a été réalisée en 1972 1. Elle a été présentée par Hubert Gignoux. Deux ans après, DES VOIX SOURDES2 fut proposée à France Culture et c’est en 1979 que nous nous sommes retrouvés autour de COMBAT DE NÈGRE ET DE CHIENS. Cette pièce nous a beaucoup touchés et nous lui avons proposé (en tant que « Théâtre ouvert ») deux actions. Dans un premier temps nous avons organisé au Centre culturel de la Communauté française de Belgique un certain nombre de mises en voix dont celle de COMBAT DE NÉCRE ET DE CHIENS qui fut présentée par Gabriel Monnet avec en particulier Hélène Vincent, Mare Betton et Gérard Essomba dans le rôle d’Alboury. Puis, comme cette mise en voix était très intéressante, nous l’avons diffusée sur France Culture en 1980. Ensuite, pour accélérer la rencontre avec les professionnels, nous avons fait un tapuscrit (le n° 7). Comme à l’époque je dirigeais une collection chez Stock qui s’appelait « Théâtre Ouvert — Stock », j’ai proposé à Koltés de publier COMBAT DE NÈGRE ET DE CHIENS avec un autre texte, LA NUIT JUSTE AVANT LES FORÊTS.
Ainsi, il y a eu cette rencontre suscitée par Hubert Gignoux en 1971, deux textes présentés à la radio, ensuite le silence (une période pendant laquelle il avait des doutes sur son écriture), puis le tapuscrit et l’édition de deux textes.
Dès lors, on réalise aisément que le parcours ne s’est pas fait miraculeusement et qu’il y a eu des tentatives qui ont précédé. Lorsque Chéreau monte COMBAT DE NÈGRE ET DE CHIENS en 1983, ça faisait une douzaine d’années que Bernard-Marie Koltès rôdait dans le théâtre français, entre autres dans les couloirs du TNS où il était rentré comme élève régisseur. C’est pour cela qu’il ne faut pas idéaliser son parcours.
S.Sa. : Quand vous avez reçu ses textes, qu’est-ce qui vous a semblé singulier dans son théâtre ?
L.A. : Je vais d’abord vous répondre d’une façon un peu anecdotique. Lorsque j’ai publié LA NUIT JUSTE AVANT LES FORÊTS et COMBAT DE NÈGRE ET DE CHIENS, on m’a téléphoné pour me dire que Koltès était un auteur important, qui allait bientôt naître et qui représentait déjà l’avenir de l’écriture dramatique. Ce coup de téléphone était de Jean-Claude Grumberg. Il avait perçu qu’on était en présence d’un auteur qui allait compter et prendre un certain relais.
Lorsque nous avons lu LA NUIT JUSTE AVANT LES FORÊTS, on a trouvé que c’était un texte magnifique. Pourtant, à l’époque, la pièce me posait des problèmes dans la mesure où c’est un monologue dont la théâtralité repose plutôt sur la force du comédien et sur ce qu’il pourrait faire pour transcender un type de littérature. Assez curieusement, si on lit LES AMERTUMES qui est la première pièce de Koltès qui fut• représentée, on s’aperçoit qu’il y a aussi de longs pans de ce type d’écriture qui, pour certains, pouvait s’apparenter plutôt à de la littérature qu’à la littérature dramatique telle qu’on la concevait à l’époque.