Pourquoi es-tu devenu fou, Roberto ?

Pourquoi es-tu devenu fou, Roberto ?

Entretien avec Peter Stein

Le 16 Sep 1995
Patrice Chéreau, Laurent Malet. DANS LA SOLITUDE DES CHAMPS DE COTON, mise en scène Patrice Chéreau, Théâtre des Amandiers-Nanterre. (Reprise).
Patrice Chéreau, Laurent Malet. DANS LA SOLITUDE DES CHAMPS DE COTON, mise en scène Patrice Chéreau, Théâtre des Amandiers-Nanterre. (Reprise).

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La dernière pièce de Koltès, ROBERTO ZUCCO, inspirée d’un fait divers réel, a été présen­tée en créa­tion mon­di­ale à la Schauhühne de Berlin, dans une mise en scène de Peter Stein et une tra­duc­tion en langue alle­mande de Simon Wer­le. Cet entre­tien a eu lieu pen­dant les répéti­tions de ZUCCO. en févri­er 1990.

ROBERTO ZUCCO a été créé à Berlin, Schaubühne am Lehnin­er Platz, le 12 avril 1990.

Mise en scène : Peter Stein
Scéno­gra­phie et cos­tumes : Jür­gen Rose
Dra­maturgie : Wolf­gang Wiens
Avec Max Tid­of dans le rôle-titre.

Anne Lau­rent : Depuis vingt ans, vous avez mon­té des textes clas­siques, des textes mod­ernes, mais à part Botho Strauss et Kroetz, bien peu de « con­tem­po­rains ». Com­ment Koltès vous a‑t-il séduit ?

Peter Stein : C’est vrai que j’aime tra­vailler sur des textes clas­siques. Ils sont déten­teurs d’une cer­taine valeur garantie.

Ils sont accom­pa­g­nés par une tra­di­tion de dis­cus­sions et de com­men­taires, des sous-textes recon­nus, des textes par­al­lèles…

Je me con­sid­ère comme un inter­prète. C’est-à-dire comme en musique, celui qui laisse se dévelop­per le texte, la struc­ture, qui tente de don­ner vie à une créa­tion préex­is­tante. Je ne pense pas que les hommes de théâtre « font des créa­tions », comme on dit en France. En France, on utilise ce mot-là pour tout, la musique, la cui­sine, la mode, etc. C’est à cause de cette idée que je me fais de mon méti­er que je me sens plus en sécu­rité avec un texte clas­sique dont la struc­ture est solide car en quelque sorte sta­bil­isée. Cela me per­met un tra­vail beau­coup plus com­plexe puisque je peux me servir des autres exégès­es.

Mais du coup, con­tre cette « facil­ité », cela devient une néces­sité de tra­vailler de temps en temps des dra­matur­gies d’au­jour­d’hui, de se con­fron­ter aux thèmes actuels et aux écri­t­ures con­tem­po­raines.

C’est une façon de véri­fi­er sa force. D’ailleurs cela doit être une par­tie inté­grante du tra­vail théâ­tral de se tester régulière­ment par rap­port au présent et au réel. Mais le théâtre, pour s’ex­al­ter, a besoin de thèmes, de pen­sées, de sen­ti­ments qui véhicu­lent de la mytholo­gie. Et c’est rare dans les textes con­tem­po­rains.

Ma ren­con­tre avec ce texte de Koltès est par­ti­c­ulière, elle dif­fère de toutes mes autres ren­con­tres. Ça a été un coup de foudre, alors même que les autres textes de Koltès ne m’avaient jamais intéressé, du moins pour les mon­ter.  

D’une façon générale, je crois qu’il faut tou­jours respecter sa pre­mière impres­sion, ne jamais l’ou­bli­er. Elle est par­fois un peu fausse, il faut sou­vent la cor­riger. Mais ce pre­mier con­tact con­stitue une sorte de mod­èle du pre­mier con­tact avec le pub­lic. Néan­moins, je m’en méfie et d’habi­tude je rechigne. J’ai des méth­odes de con­tra­dic­tion. Après une pre­mière lec­ture, je com­mence par dire non. C’est ce qui s’est pro­duit pour les pièces de Botho Strauss. Par exem­ple pour la LA TRILOGIE DU REVOIR, tout le monde con­sid­érait ce texte comme très intéres­sant et me pres­sait d’ac­cepter. Je voulais bien si j’avais la pos­si­bil­ité de chang­er le texte. Botho Strauss était d’ac­cord. Et pour­tant, il m’a fal­lu dis­cuter un an avant de trou­ver la cer­ti­tude. J’ai fait LA TRILOGIE ex neg­a­ti­vo. C’est pour ça que je n’ai pas fait la pre­mière mon­di­ale.

Pour ROBERTO ZUCCO, rien de tel ne s’est pro­duit. Le choc a été total et immé­di­at : c’é­tait une pièce fan­tas­tique. Com­ment était-ce pos­si­ble que Koltès ait écrit cette pièce-là ? Ma pre­mière réac­tion a été : oui !

A. L. : Com­ment s’est passé ce coup de foudre ? 

P. S. : Je l’ai lue en alle­mand, pas en français. C’é­tait en juil­let 1989. Il s’est passé une chose très bizarre. Dans les derniers mois, Koltès a fait de grands mou­ve­ments d’ap­proche indi­rects vers moi. Il avait vu LES TROIS SŒURS, il dis­ait partout avoir été très impres­sion­né, sans pour autant me le dire à moi. J’ai lu ROBERTO Zuc­co, ça m’a tout de suite intéressé. Et puis, trois mois après la mort de Koltès, j’ai reçu un texte orig­i­nal de la pièce avec un petit mot de lui : Cher Peter, je t’en­voie cette pièce. Elle est pour toi. Bernard-Marie. J’é­tais absorbé par d’autres choses, un peu dans la con­fu­sion, et je n’ai pas très bien com­pris. Quelqu’un avait dû oubli­er de le met­tre dans une enveloppe et le fai­sait à présent, mais sans aucun com­men­taire C’é­tait comme un cour­ri­er de l’au-delà. Nor­male­ment, je me con­cen­tre sur les textes et pas sur les per­son­nes. Mais, là, vrai­ment… C’est d’au­tant plus bizarre que je suis quelqu’un de totale­ment rationnel et ie m’in­surge touiours con­tre ce genre de choses. Mais là, tout a fonc­tion­né de façon posthume. Tout s’est passé aus­si avec une sorte d’év­i­dence, notam­ment avec les acteurs, tout allait de soi, était facile, linéaire.

Cela dit, la sit­u­a­tion est un peu absurde. Apparem­ment, per­son­ne ne veut mon­ter ce texte en France. Moi, j’ai lu le texte dans une tra­duc­tion. J’en ai fait une lec­ture aux acteurs qui ont accep­té1. On a demandé les droits à la mai­son d’édi­tion représen­tant Koltès en Alle­magne qui a accep­té, j’ai fixé mes dates. Bizarrement, c’est devenu la pre­mière mon­di­ale. Parce que, tout de même, ce serait mieux qu’elle ait lieu dans la langue orig­i­nale !

A. L. : Même si les coups de foudre relèvent du divin, il y a des raisons objec­tives à cette séduc­tion ?

P. S. : Il me sem­ble que cela tient au fait que c’est la pre­mière fois que Koltès pro­pose une dra­maturgie vrai­ment théâ­trale. DANS LA SOLITUDE DES CHAMPS DE COTON, c’est un dia­logue au mieux, en fait plutôt un mono­logue avec deux posi­tions diluées, et pas plus. QUAI OUEST aus­si, c’est com­plète­ment mono­corde. Je ne trou­ve aucun intérêt à trans­met­tre cela sur scène. Dans RETOUR AU DÉSERT on com­mence à voir les fer­ments d’une évo­lu­tion. Avec ROBERTO ZUCCO, je sens qu’il a changé. Je suis très bon en lec­ture ! C’est la seule chose que je sache bien faire. C’est impos­si­ble que je me trompe en sen­tant une dif­férence si caté­gorique de cette pièce avec les autres. Il développe un proces­sus théâ­tral, une vraie nar­ra­tion. Il serait exces­sif de dire que les autres textes ne sont que lit­téraires, bien sûr, mais leurs struc­tures sont encore com­mandées par des intérêts lit­téraires, « ver­baux » même, plus que poé­tiques. Dans ROBERTO ZUCCO, on trou­ve tou­jours des traces de son anci­enne manière, mais Koltès y invente des sit­u­a­tions très com­plex­es, très divers­es, très astu­cieuses. Ain­si, il met en scène un seul per­son­nage, qu’on peut qual­i­fi­er de schiz­o­phrénique. mais il lui crée des sit­u­a­tions, (une famille, une gamine, un autre voy­ou, etc.) où ce Zuc­co monologique, cata­tonique, trou­ve une con­ti­nu­ité.

La pièce est con­sti­tuée de 15 scènes très cour­tes, avec des moments pré­cis presque physiques, cor­porels. Et, ce qui est pas­sion­nant pour un homme de théâtre, on y trou­ve des leit­mo­tive. Des mots, des thèmes, des objets, des petits événe­ments. Ain­si, la mort est un motif présent dans presque chaque scène, et cela dès le début. Il y a aus­si un sys­tème des objets qui revi­en­nent, la fig­ure de la clé et de la porte. ou bien cette table avec une nappe qui tombe jusqu’à terre, dans la cui­sine — une véri­ta­ble boîte de pres­tidig­i­ta­teur. Il y a cette struc­ture récur­rente du cou­ple à la Lau­rel et Hardy, les deux gar­di­ens, les deux policiers à la fin, le cou­ple com­mis­saire-inspecteur, etc. Ce sont des con­struc­tions qui m’in­téressent beau­coup. A par­tir de là, on peut créer ten­sion et atten­tion, et aus­si diver­tisse­ment… C’est très sophis­tiqué et très bien fait. 

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