LETTRE A CELLE QUI ÉCRIT LULU LOVE/LIFE CINQ CONDITIONS POUR TRAVAILLER DANS LA VÉRITÉ, Jacques Delcuvellerie à Francine Landrain, Bruxelles Liège, décembre 1988-décembre 1989 .

LETTRE A CELLE QUI ÉCRIT LULU LOVE/LIFE CINQ CONDITIONS POUR TRAVAILLER DANS LA VÉRITÉ, Jacques Delcuvellerie à Francine Landrain, Bruxelles Liège, décembre 1988-décembre 1989 .

Le 15 Juin 1991
Thierry Devillers, Francine Landrain. COMMENT ÇA SE PASSE. Photo Lou Hérion
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Depuis la fon­da­tion du Groupeov, il y a juste neuf ans ce mois-ci, et jusqu’à KONIEC, j’ai tou­jours situé mon tra­vail dans la prob­lé­ma­tique des Restes. Éric a décrit en son temps quelques aspects d’une machiner­ie du Reste, comme hypothèse de tra­vail. Plus tard, pour moi-même, j’ai don­né des bribes de jus­ti­fi­ca­tions his­toriques (j’en ai tou­jours besoin !) à cette posi­tion. Il y aurait un “âge d’or” de la cul­ture occi­den­tale coïn­ci­dant avec l’aboutisse­ment de la for­ma­tion impéri­al­iste et ses pre­mières grandes sec­ouss­es autode­struc­tri­ces (± 1870 – 1930). De Marx à Freud, de Kaf­ka à Eisen­stein, de Joyce à Stanislavs­ki, d’Arm­strong à Duchamp, etc., toutes les aven­tures fon­da­tri­ces du siè­cle émer­gent dans cet inter­valle, qui con­naît en même temps, en dépit de ses odieuses rares, la meilleure artic­u­la­tion entre l’é­d­u­ca­tion pop­u­laire (pri­maire et sec­ondaire) et l’é­tat réel des con­nais­sances. Ensuite, il n’y aurait plus d’œu­vres inau­gu­rales mais seule­ment des décli­naisons, plus ou moins habiles ou sen­si­bles, en même temps que le savoir s’é­parpillerait défini­tive­ment en spé­cial­ités, que les pra­tiques artis­tiques con­tem­po­raines se coupaient de 95 % de la pop­u­la­tion, que l’en­seigne­ment se rédui­sait à un erra­tum incom­plet des médias, et que la grande espérance d’une sci­ence de l’his­toire chavi­rait.

Dans cet état, de sur­croît, nous nous exprim­ions dans la forme artis­tique la plus archaïque, celle du “hic et nunc” irré­ductible, de la minori­sa­tion sans faille, quel que soit le genre (le théâtre n’a même pas, comme la musique, ses départe­ments ‘pop’, le pub­lic du théâtre de boule­vard n’at­teint pas 0,5 % de celui de Michael Jack­son), et enfin la forme qui vit le plus net­te­ment cette mar­gin­al­ité sociale comme une perche de cen­tral­ité – puisqu’il fut, avec l’opéra, le seul arc de la représen­ta­tion que les sociétés se don­nèrent d’elles-mêmes, de façon vivante, pen­dant des mil­lé­naires.

Au début des années 80, con­scients de vivre dans cet amon­celle­ment d’héritages désac­cordés, nous avons d’abord refusé de “fonc­tion­ner” comme s’il n’en était pas ain­si.

La plu­part de nos jeunes con­tem­po­rains, plus ou moins ‘de gauche’ ou ‘de droite’, brico­laient gen­ti­ment les trou­vailles de leurs prédécesseurs sans souci aucun des ques­tions qui les induisirent. Nous avons main­tenu l’ex­i­gence – au moins pour le théâtre – d’une vision du monde et d’une atti­tude fondée sur la pra­tique. Et comme cela sem­blait, juste­ment, impos­si­ble, il nous fal­lait bien vivre sur la perte, sur l’hétérogénéité des restes, et sur ce qui en résulte : le sen­ti­ment du trag­ique et de l’ur­gence, puisque dans un pareil con­texte la ‘fin’ sem­ble néces­saire­ment proche, inéluctable. No future. Voilà le cre­do ini­tial, et nous con­nais­sons les pra­tiques où le Groupov l’a inscrit. Comme il nous parais­sait que nous étions bien peu à situer ain­si les exi­gences actuelles, nous accep­tions encore d’être la mar­gin­al­ité de la mar­gin­al­ité, d’où ce mélange enivrant de dérélic­tion et de méga­lo­manie dés­espérée des pre­mières années. D’où aus­si la ten­ta­tion d’en sor­tir, régulière­ment… Aujour­d’hui, mes con­vic­tions n’ont pas fon­da­men­tale­ment changé, mais je ne les vis pas de la même manière. Après coup, nous sur­vivons. Com­ment être au plus juste ? Com­ment situer à nou­veau une pra­tique ‘hic et nunc’ avec cette vio­lence d’év­i­dence que nous soyons jetés dans la bru­tal­ité de l’ex­péri­ence, comme en 1980 ? En par­tant de ce qui s’échange actuelle­ment autour des deux pro­jets en cours, TRASH et Luw/LovEILIFE, des craintes que j’ai pour eux, j’ai essayé de définir plus pré­cisé­ment ma posi­tion. Brecht a écrit en son temps ce texte admirable : CINQ DIFFICULTÉS POUR ÉCRIRE LA VÉRITÉ (1934), on ne saurait aujour­d’hui entre­pren­dre pareille provo­ca­tion mais je puis ten­ter d’énon­cer, à l’usage du Groupov : CINQ CONDITIONS POUR TRAVAILLER DANS LA VÉRITÉ. Ces con­di­tions (ou ces ‘ver­tus’) ne sont pas vrai­ment nou­velles, je les rat­tache même – ci-dessous – à des intu­itions anci­ennes, mais le sens que je leur assigne désor­mais mod­i­fie l’ex­i­gence que nous leur accor­dions jadis.

Fin de la LETTRE À CELLE QUI ÉCRIT LULU/LOVE/LIFE CINQ CONDITIONS POUR TRAVAILLER DANS LA VÉRITÉ

« Au moment de con­clure cette let­tre, ô Bien-Aimée, moi qui dois écrire à d’autres, moi qui ne suis peut-être que celui qui garde cer­taines paroles, je voudrais dépos­er dans ton cœur trois présents pré­cieux, trois dia­mants qui blessent à s’enchâss­er dans leurs blessures :

Rim­baud :
« La vraie vie est ailleurs. »

Fil­liou :
« L’art est ce qui rend la vie plus intéres­sante que l’art. »

Müller (citant Genet) :
« L’u­nique chose qu’une œuvre d’art puisse accom­plir, c’est d’éveiller la nos­tal­gie d’un autre état du monde. Et cette nos­tal­gie est révo­lu­tion­naire. »

Dans leur éloigne­ment et leur recou­vre­ment, elles s’é­clairent l’une l’autre, ces paroles qui sig­na­lent que, par instants, on peut être juste, être jus­ti­fié, tra­vailler dans la vérité. Quelques instants seule­ment – et c’est déjà mir­a­cle dans ce monde écrasé par l’in­dif­férence de la matière, ce que nous appelons le Mal – et donc la vérité n’est qu’un éclair­cisse­ment fugi­tif.

À Liège.
Jacques Del­cu­vel­lerie (dit Jack)

L’in­té­gral­ité de cette let­tre (60 pages) est disponible au Groupov, 16, rue du Mail, 1050 Brux­elles ou en télépho­nant au 02/5 38. 81. 72

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Jacques Delcuvellerie
Jacques Delcuvellerie a fondé le Groupov en 1980. Metteur en scène et théoricien, il enseigne...Plus d'info
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