Un lieu de résistance, de plaisir et d’imaginaire…

Un lieu de résistance, de plaisir et d’imaginaire…

Le 23 Juin 1991
SI L'ÉTÉ REVENAIT. Photo Christiane Robin
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SI L'ÉTÉ REVENAIT. Photo Christiane Robin
SI L'ÉTÉ REVENAIT. Photo Christiane Robin
Article publié pour le numéro
Mettre en scène aujourd'hui-Couverture du Numéro 38 d'Alternatives ThéâtralesMettre en scène aujourd'hui-Couverture du Numéro 38 d'Alternatives Théâtrales
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Isabelle Pousseur livre ici un texte écrit pen­dant les répéti­tions du SONGE de Strind­berg, pre­mier volet du dyp­tique UN JEU DE RÊVES qui sera créé au Fes­ti­val d’Av­i­gnon 1991.
À ces lignes écrites — à la hâte — dans un moment entière­ment con­sacré à la créa­tion, nous avons ajouré un bref extrait d’un entre­tien qu’Is­abelle Pousseur avait accordé à Sab­ri­na Weld­man pour la revue Mo(u)vements quelques semaines aupar­a­vant. Cet entre­tien sera inté­grale­ment pub­lié dans Mo(u)vements n°5, juil­let 1991.

Marianne Pousseur. PIERROT LUNAIRE.
Photo Danièle Pierre
Mar­i­anne Pousseur. PIERROT LUNAIRE.
Pho­to Danièle Pierre

Aujour­d’hui, qu’est-ce qui vous manque ? À quoi avez-vous renon­cé ? Qu’est-ce qui est irrémédiable­ment fini dans votre activ­ité ?
Ce qui me mangue aujour­d’hui : du recul pour par­ler, expli­quer, théoris­er. En pleine créa­tion, le mot même de démarche me ter­rorise. J’ai tou­jours eu l’im­pres­sion de n’en avoir aucune. Seule­ment un mou­ve­ment in­térieur qui se fait néces­sité et que je ne suis pas sûre de tou­jours très bien con­trôler.
Il y a tout ce à quoi je ne veux bien sûr pas renon­cer : la ques­tion très impor­tante de la con­sti­tu­tion d’une équipe de tra­vail : partage de la créa­tion et « rassem­ble­ment des forces » et tout ce gui tourne autour du phéno­ mène du risque, de la gageure, de l’ex­pédi­tion aven­tureuse…
J’ai déjà « pressen­ti » ce que pou­vait être la perte de l’un ou l’autre de ces enjeux (en tra­vail­lant dans cer­taines insti­tu­tions, à l’opéra par exem­ple) et je ne souhaite pas recom­mencer.
Main­tenant, ai-je renon­cé à quelque chose ? Oui, à la pau­vreté, à la mar­gin­al­ité, à la lib­erté absolue donc. Mais rien ne peut être irrémé­diablement fini.

Qu’est-ce qui vous échappe le plus dans vos spec­ta­cles ?
Le spec­ta­teur.

Quels sont vos grands sou­venirs de répéti­tion ? Les grands moments de théâtre qui furent décisifs dans votre par­cours ? Ain­si, y a‑t-il dans votre itinéraire des instants de révéla­tion qui ont été détermi­nants pour tout le reste de votre tra­vail ?
Des instants de révéla­tion non, ou alors ponctuels, immé­di­ats et né­cessaires au moment même, oui, com­me des points de chute dans un voya­ge : obsta­cles, car­refours, ren­con­tres, choix oblig­a­toires, instants de lumière… Je n’ai aucune con­nais­sance inti­me de ce que pour­rait bien être la ré­vélation.
Des grands sou­venirs de répéti­tion, oui bien sûr, des mil­liers. Par­mi les plus beaux : d’ex­tra­or­di­naires impro­vi­sa­tions, jamais réu­til­isées dans les spec­ta­cles, partagées dans l’in­stant même.

Qu’est-ce qui est le plus impor­tant dans une répéti­tion ?
La con­cen­tra­tion et l’é­coute.

Com­ment mesurez-vous le plaisir au théâtre ? En tenez-vous compte dans votre tra­vail ?
Je tiens absol­u­ment à ce que tout le monde autour de moi en ait et énor­mé­ment. Je souf­fre ter­ri­ble­ment du non-plaisir des autres (acteurs, spec­ta­teurs, autres col­lab­o­ra­teurs… ). J’y attache une impor­tance énorme. Peut-être trop. Ça peur m’empêcher de dormir ou de manger. Mais bien sûr, le plaisir ne peut être le seul mo­ teur du tra­vail. Je déteste qu’on oc­ culte les prob­lèmes, je trou­ve très im­portant de pou­voir cass­er les choses qui plai­saient, qu’on croy­ait défini­ tives. Il est bon que l’ac­teur ou le met­teur en scène puisse met­tre les pieds dans le plat, désta­bilis­er.

Cherchez-vous à déranger ?
Non, absol­u­ment pas. Pour être pré­cise : je ne tra­vaille pas « pour » dé­ranger parce que je ne tra­vaille pas « pour » quelque chose. Ni pour rem­plir une salle, ni pour la vider. Je dé­teste toutes les formes de stratégie au théâtre.

Qui est-ce qui a comp­té pour vous au théâtre dans les dix dernières années ? Qu’est-ce qui a comp­té pour votre théâtre ?
Le retour aux valeurs plus com­merciales du théâtre de ces dernières années. D’une cer­taine façon, c’est l’événe­ment le plus impor­tant, il oblige à se repo­si­tion­ner, la notion de résis­tance retrou­ve un sens qu’elle avait per­du.

Vous posi­tion­nez-vous par rap­port à la mémoire du théâtre ? S’ag­it-il, par exem­ple ; de pro­longer des expéri­ences déjà ébauchées, de rompre avec des tra­di­tions, de les ques­tion­ner?…
Quand on fait par­tie de ma gé­nération, on a l’im­pres­sion que tout a été dit et ten­té. Je semais déjà cela à vingt ans et ça n’a pas beau­coup chan­gé depuis.
Restent deux com­porte­ments : voy­ager à tra­vers ce que vous n’avez pas vrai­ment inven­té ou espér­er un peu naïve­ment qu’un jour quelque chose sor­ti­ra de votre tra­vail et appor­ tera sa petite con­tri­bu­tion à l’his­toire du théâtre. Je ne sais pas. J’y ai beau­coup pen­sé et plus sérieuse­ment que cela, mais quand je tra­vaille, ça ne me préoc­cupe plus.

Selon vous, par quoi et par où pas­ sent les renou­velle­ments de la créa­tion ?

Le doute, la résis­tance, le cou­rage.

Qu’est-ce que vous détestez au théâtre ?
La stratégie, la séduc­tion facile, grossière, vis­i­ble, les effets en rous gen­res, la com­plai­sance, l’ap­pli­ca­tion, la paresse.

Pourquoi ne faites-vous pas de ci­néma ?
Je n’en sais rien. Pas plus que je ne sais pourquoi je ne fais pas de la musique, de la danse, de la recherche sci­en­ri­fique ou un quel­conque tra­vail utile dans un pays du Tiers-Monde. Toutes sortes de choses qui m’au­raient sans doute pas­sion­née.

Vous sen­tez-vous investie d’une mis­sion cul­turelle ?
Je ne me sens pas « investie » d’une mis­sion. Mais je ne fais pas du théâtre pour moi-même. Je crois à la valeur du théâtre dans nos sociétés comme lieu de résis­tance, de plaisir et d’imag­i­naire. Et je pense que nos actes ne sont pas totale­ment gra­tu­its.

LE GÉOMÈTRE ET LE MESSAGER. Photo Danièle Pierre
LE GÉOMÈTRE ET LE MESSAGER. Pho­to Danièle Pierre

Depuis le début, j’es­saie de pré­ serv­er une ligne prin­ci­pale con­sti­tuée à mes yeux par trois spec­ta­cles essen­tiels : JE VOULAIS ENCORE DIRE QUELQUE CHOSE, MAIS QUOI?, LE GÉOMÈTRE ET LE MES­SAGER et, main­tenant, LE SONGE de Strind­berg et SI L’ÉTÉ REVENAIT d’Ada­mov. D’autre part, l’en­vie d’ap­ pren­dre et de m’af­fron­ter à des uni­ vers neufs m’amène à répon­dre à des sol­lic­i­ta­tions extérieures. C’est ain­si que j’ai été invitée à réalis­er des mis­es en scène d’opéra, .des travaux d’é­cole liés à une activ­ité péd­a­gogique que je mène avec plaisir depuis dix ans et des pièces du réper­toire comme LE PRINCE TRAVESTI.
Les spec­ta­cles de la trilo­gie ont ceci de par­ti­c­uli­er qu’ils recè­lent des obses­sions cen­trales et procè­dent d’une même recherche sur l’écri­t­ure. Ils por­tent tous trois des ques­tions sur le sens du texte et sur sa réso­lu­tion formelle, inter­ro­ga­tions aux­quelles je suis extrême­ment sen­si­ble. Et un axe les relie l’un à l’autre, con­sti­tué par les fig­ures de Kaf­ka, d’Adamov et de Strind­berg. Ces spec­ta­cles me per­mettent égale­ment de man­i­fester mon goût per­son­nel pour la vari­a­tion puisque j’ai eu l’im­pres­sion de tra­vailler à chaque fois sur des obses­sions récur­rentes vécues dif­férem­ment. Les autres réal­i­sa­tions pour leur part ré­pondent plutôt à une néces­sité du moment. Comme si j’avais un désir cen­tral et que je resse­mais en même temps le besoin de m’en écarter, peut­ être afin d’y apporter de nou­veaux ali­ments.
Les créa­tions de la trilo­gie par­tent de textes qui ont un rap­port loin­tain à l’au­to­bi­ogra­phie et qui éveil­lent en moi des réseaux de mé­moire. Ils racon­tent cha­cun à leur ma­nière l’en­fance non résolue. Cepen­dant, il ne s’a­gir jamais, ni pour Kaf­ ka, ni pour Strind­berg, ni pour Ada­mov, de lever le voile sur leur vie pri­vée mais bien de faire pro­lifér­er un imag­i­naire per­son­nel, de dévelop­per des fig­ures com­plex­es et contradic­toires à par­tir d’élé­ments d’un vécu per­son­nel. Et c’est cela qui me pas­sionne. LESONGE est très représen­tatif de cette plu­ral­ité des sens, de la juxta­position des univers, des visions du monde, des onirismes, des subjectivi­tés, autrement dit d’un proces­sus qui n’aboutit jamais à la désig­na­tion d’une vérité mais fait au con­traire s’en­tre­cho­quer les pos­si­bil­ités hu­maines.

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