Interroger Claude Régy

Interroger Claude Régy

Séance animée par Jean-Pierre Thibaudat

Le 28 Avr 1993
Axel Bogousslavsky, Marc François,Christine Fersen. CHUTES de G.Motton Photo B. Enguerand,
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Article publié pour le numéro
Claude Regy-Couverture du Numéro 43 d'Alternatives ThéâtralesClaude Regy-Couverture du Numéro 43 d'Alternatives Théâtrales
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JEAN-PIERRE THIBAUDAT : Après le temps des témoignages et des analy­ses, voici venu le moment des ques­tions. Cer­tains d’en­tre vous ont tra­vail­lé avec Claude Régy, d’autres ont été ses élèves, cha­cun de vous a une pra­tique du théâtre et donc c’est de l’in­térieur même de cette pra­tique que nous allons inter­roger Claude Régy.

Stanis­las Nordey : Une des ques­tions qui me préoc­cupe un peu ‘est le rap­port à l’in­sti­tu­tion parce que je suis con­fron­té à cela tout le temps, en ce moment, comme je suis au départ d’une aven­ture théâ­trale. Vous n’avez jamais pris en charge un lieu, vous ne vous êtes jamais arrêté durable­ment dans une insti­tu­tion. Aujour­d’hui je me pose des ques­tions autour de cela. Est- ce que c’est pos­si­ble de tra­vailler durable­ment dans un lieu sans réper­cus­sion sur la créa­tion ?

Claude Régy : Si j’ai un con­seil à te don­ner c’est de ne jamais pren­dre aucune mai­son. C’est un con­seil que je me suis don­né et que j’ai suivi, et je m’en trou­ve extrême­ment bien. Il est évi­dent que si on fait un tra­vail qui con­cerne des écri­t­ures neuves qui sont au début rejetées (pour être accep­tées trois ans ou six ans plus tard), on ne peur pas avoir la charge d’une mai­son On ne peut pas s’en­gager à rem­plir des salles. Si on dirige une salle, on ne peut pas décou­vrir des écri­t­ures et essay­er de faire du théâtre hors des sché­mas habituels, hors de ces recettes de suc­cès qui sont si utiles juste­ment aux directeurs de salles. Je pense qu’il n’y a d’ac­tion libre que si on reste un homme libre. Si l’on excepte ces douze ans où je suis resté enfer­mé au Théâtre de l’Ate­lier comme assis­tant, cela fait à peu près trente ans que je fais du théâtre libre­ment et pen­dant très longtemps je l’ai fait sans l’aide d’au­cune sub­ven­tion. J’ai reçu ma pre­mière sub­ven­tion en 1976, elle était de deux cent mille francs. Je fai­sais déjà du théâtre depuis plus de quinze ans.

Je pense aus­si que l’air du temps, les leçons de ges­tion que nous donne un min­istère si mal géré — puisqu’on reçoit les sub­ven­tions avec six mois de retard ce qui nous place dans des sit­u­a­tions rout à fait ingérables — nous con­duisent à penser qu’il ne faudrait pas for­cé­ment don­ner les maisons à ceux qui savent se débrouiller, qui savent où on ren­con­tre les gens, com­ment on par­le dans les min­istères, com­ment on obtient de l’argent, com­ment on trou­ve des spon­sors, com­ment on rem­plit les salles. Je ne pense pas que ce sont ces gens-là qu’il faut le plus aider, car ce ne sont pas ceux qui inven­tent. Le sys­tème de l’in­sti­tu­tion com­porte sa pro­pre mort comme toute insti­tu­tion surtout avec ce vent de « normes de rentabil­ité ». On ne sait pas pourquoi tout à coup le théâtre devrait être rentable. Je ne pense pas que l’opéra le soit, les com­pag­nies de danse ne le sont pas, la pein­ture met longtemps à l’être. Pour obtenir des sous il faut avoir une mai­son. On asso­cie à tort les deux idées, on donne de l’argent à ceux qui ont des maisons. Dès qu’on a une mai­son on est ter­ri­fié de la voir vide, sans pub­lic, et d’être viré au bout de son man­dat. Donc on monte Molière, on monte Corneille, Mus­set, Fey­deau, on peut aller jusqu’à Breche et Claudel à la lim­ite, et c’est déjà la mort. Le lieu « marche » ; il tourne, on s’échange des spec­ta­cles entre maisons, on à beau­coup de spec­ta­teurs. Je pense que c’est la mort totale du théâtre. Alors ne prends pas de mai­son je t’en sup­plie et en même temps con­serve une lib­erté très impor­tante parce que je crois que l’ar­chi­tec­ture a une influ­ence énorme sur I’homme, que le lieu où on se trou­ve n’est pas indif­férent au tra­vail qu’on y fait et que c’est très béné­fique d’avoir le choix de plac­er un spec­ta­cle dans un lieu ou dans un autre. Jouer à Nan­terre, jouer à Gérard Philipe Saint-Denis, jouer à l’Odéon ou à la Bastille, c’est très dif­férent. C’est très intéres­sant de choisir son lieu et de ne pas être tenu de tra­vailler tout le temps dans le même endroit. À ce sujet je peux dire que je suis très en colère con­tre la poli­tique de con­struc­tion des salles, je suis éton­né que per­son­ne ne fasse rien, Il y à à Paris quar­ante-cinq théâtres à l’italienne. Quand on a con­stru­it ces théâtres, soit au dix- huitième, soit au dix-neu­vième siè­cle, on ne pen­sait pas du tour à I’im­age comme on y pense main­tenant après la pho­togra­phie, le ciné­ma, la sophis­ti­ca­tion de la lumière, du son, du spec­ta­cle. Tout cela a con­duit les gens de théâtre à suiv­re les décou­vertes du ciné­ma et l’image est dev­enue pri­mor­diale. Alors on tra­vaille des images, on tra­vaille des lumières, des tons, de la vie qui en dépend, mais com­ment accep­tériez-vous d’as­sis­ter à un film où le quart ou la moitié de I’écran serait occulté ? C’est ce qui se passe dans le théâtre à l’italienne. Quand on est en bas on voit les acteurs à par­tir du genou, dès qu’on est sur le côté on ne voit que la moitié opposée de la scène. Dès qu’on est en haut on ne voit pas la moitié haute de I’im­age. Seule­ment évidem­ment quand les cri­tiques ou les gens du min­istère vont au théâtre, ils sont tou­jours au six­ième rang, au milieu de l’orchestre, ils voient à peu près. De route façon ils ne regar­dent pas beau­coup. Le théâtre nation­al de la Comédie Française à une des salles les plus inadap­tées qui soient. Le plateau est petit, les dégage­ments inex­is­tants. L’a­cous­tique n’y est pas très priv­ilégiée, quant à la vis­i­bil­ité elle est lam­en­ta­ble, il y à à peu près la moitié des spec­ta­teurs qui voit à peine la moitié des images.

On ne con­stru­it rien. On à con­stru­it en ban­lieue, dans les ban­lieues com­mu­nistes en général, des grandes maisons : Nan­terre étant la mieux réussie, Bobigny n’est pas mal, Créteil pèche par vasti­tude, et c’est déjà loin. Dans ces ban­lieues on est tombé dans la méga­lo­manie. Au nom de la grande idée des maisons de la cul­ture on à con­stru­it des cadavres de béton géants qui épuisent les sub­ven­tions en femmes de ménage et en secré­tari­at. On y change les vit­res, les ampoules, les moquettes. On net­toie de la sur­face. Ce serait quand même plus utile de faire du théâtre avec cet argent-là.

Donc, il n’y a pas de lieu qui soit vrai­ment adap­té. Ou c’est du béton géant à moitié mort ou ce sont ces fameux théâtres à l’italienne où l’on ne voit rien et qui annu­lent com­plète­ment toute recherche de créa­tion con­tem­po­raine. Par exem­ple, le théâtre à l’i­tal­i­enne de l’Athénée est con­sacré à présen­ter le tra­vail des jeunes com­pag­nies. On les force à faire du vieux théâtre, du dix-neu­vième siè­cle, et per­son­ne n’est choqué, per­son­ne ne réflé­chit. Alors on me dit : « atten­tion on à fait le Théâtre de la Colline » , c’est à dire qu’on a refait le TEP (Théâtre de l’Est Parisien). En quinze ans, ce n’est pas énorme. On à fait aus­si cette mai­son-ci (en mon­trant le Théâtre Renaud Bar­rault) qu’il est d’ailleurs urgent de refaire…

J.-P. T. : Est-ce qu’il vous est déjà arrivé de ren­tr­er dans un lieu et de vous dire « ici pour­rait être mon lieu, tout théâtre pour­rait se jouer ici » ?

C. R. : Oui, bien sûr, dès qu’on voit des ruines (rire général). C’est sûr que dès qu’on voit une usine avec des vit­res cassées on a envie de faire plein de choses. Il y a à côté de Saint-Denis un théâtre absol­u­ment en ruine accolé à une salle de bal égale­ment en ruine qui est au fond d’un petit bosquet der­rière le pié­ton­nier qui mène à la Basilique et où se tient le marché. C’est dif­fi­cile à vis­iter parce que d’une part le maraîch­ers vont chi­er dans les buis­sons et d’autre part les pigeons envahissent ce lieu soli­taire et vous jet­tent leur fiente sur la tête ou alors on marche dedans. À part ça c’est un lieu extra­or­di­naire, mais il est très dan­gereux parce qu’il y a des bouts de pla­fond qui tombent de temps en temps et c’est évi­dent qu’au­cune sécu­rité au monde ne per­me­t­trait de faire quoi que soit là-dedans. Mais si on remet­tait à neuf tout serait foutu. Dès qu’on recon­stru­it, dès qu’on repeint, c’est foutu et ça à été l’in­tel­li­gence de Brook, aux Bouffes du Nord, de ne pas finir le lieu, de ne pas finir les travaux, de laiss­er ce lieu éven­tré en état de travaux con­stant, un lieu qui donne l’im­pres­sion d’être en per­pétuelle attente.

Je n’ai pas non plus envie de me fix­er dans une sucrerie à Cam­brai ou à Vil­leneuve-Saint-Georges dans une gare désaf­fec­tée, ce serait aus­si se fix­er. Ce serait d’ailleurs très dif­fi­cile car ces lieux coû­tent extrême­ment cher à amé­nag­er. Je par­le d’ar­gent parce que je pense que nous sommes tout le temps con­fron­tés à cela. Les coûts ont telle­ment aug­men­té qu’il est très dif­fi­cile de faire du théâtre sans argent, très dif­fi­cile donc d’in­ve­stir un lieu qui n’est pas du tout équipé… (il faut met­tre le chauffage, les toi­lettes, les sor­ties de sec­ours, etc …) Aucune com­pag­nie ne peut faire face à ces dépens­es. On a déjà du mal à se faire co-pro­duire par des gens qui déti­en­nent quelques maisons de tolérance, s’il fal­lait inve­stir dans l’équipement d’un hangar on se ruin­erait pour qua­tre ans et en plus on n’a pas le droit. Nos sub­ven­tions sont unique­ment de fonc­tion­nement. Il y a bien sûr la grande expéri­ence de la Car­toucherie de Vin­cennes qui est très con­clu­ante, mais c’est déjà à l’ex­térieur de Paris. Tous les endroits où I’on pour­rait jouer sont en dehors de Paris. À Paris il n’y à rien. Il y à cette mai­son (en mon­trant le Théâtre Renaud Bar­rault) qui n’est pas idéale même si c’est un lieu intéres­sant juste­ment parce que ce n’est pas un théâtre à l’i­tal­i­enne. Il faudrait con­stru­ire des lieux sim­i­laires à celui-là mais plus ouverts, plus trans­formables, plus vastes. Quand les grandes mis­es en
scène étrangères vien­nent à Paris celles de Peter Stein par exem­ple — elles vont soit à Nan­terre soit à Bobigny ou à la rigueur on peut quelques fois en coupant un tiers du décor ren­tr­er dans l’Odéon qui est le moins cat­a­strophique des théâtres à l’italienne de Paris parce qu’il est assez ouvert, très beau et que l’a­cous­tique y est mirac­uleuse. C’est un très bel endroit à clien­tèle d’ailleurs très bour­geoise et si vous êtes à la cor­beille de côté ou au deux­ième bal­con de côté, vous perdez un tiers de l’image.

Comme beau­coup de gens main­tenant pensent ciné­mas­cope, les théâtres mod­ernes ont des ouver­tures très larges. Dans un théâtre à l’i­tal­i­enne il y a une ouver­ture de 7 à 9 mètres, c’est très très étroit et plus haut que large notre œil ce n’est plus du tout con­forme à notre oeil.

C’est quand même incroy­able que per­son­ne ne prenne con­science de Il n’y faire du théâtre con­tem­po­rain ou pour cela à aucun lieu à Paris pour recevoir le théâtre con­tem­po­rain étranger. Pas de lieu où on voit l’im­age dans son inté­gral­ité ! Rien dans la cap­i­tale de France à I’heure où l’on fait l’Eu­rope.

Eti­enne Pom­meret : Avec tout ce que vous avez déjà fait, qu’est-ce qui vous fascine chez les hommes, aus­si bien chez les auteurs que vous avez décou­verts, que vous avez mon­tés, que chez les acteurs que vous avez employés, et aus­si chez le pub­lic que vous avez ren­con­tré ? Je me dis qu’il y quelque chose qui vous tra­vaille, qui vous mène depuis longtemps.

C. R. : C’est dif­fi­cile à dire. Je pense qu’il s’ag­it avant tout de se laiss­er faire, de ne pas être volon­tariste, de se laiss­er faire par l’in­stinct. Dans les années cinquante, j’en avais un peu
assez du théâtre de l’ab­surde, je sen­tais que le théâtre dit social ou engagé était dans une fausse voie. (Vous savez il y a tou­jours des modes, quand on a com­mencé il y a trois ans à faire un suc­cès avec Thomas Bern­hard, on en a vu sor­tir vingt-cinq en deux ans alors que pen­dant dix ans per­son­ne n’y avait touché). À l’époque il m’a sem­blé qu’il fal­lait trou­ver des auteurs qui par­laient autrement que Beck­ett et Lonesco, autrement que Brecht, C’est vrai que pen­dant quinze ans j’ai été con­sid­éré comme réac­tion­naire parce que je ne mon­tais pas Brecht. C’é­tait un ter­ror­isme intel­lectuel, le ter­ror­isme du théâtre social. Pour trou­ver de l’ar­gent j’ai dû aller chez Cardin qui à un moment s’é­tait fait mécène. Le tout réu­ni m’a fait très mal voir de la gauche alors que pour la droite je suis un intel­lectuel de gauche. Donc je n’ai aucun ter­rain où m’ap­puy­er. Je me suis habitué à m’a­vancer seul.

Ce qui m’a attiré dans ces nou­velles écri­t­ures, c’est d’en­ten­dre des gens qui par­laient une langue neuve, qui ré-inven­taient une manière de par­ler d’eux et de leur rap­port avec le monde extérieur, qui se rendaient compte que le monde avait changé Quand j’ai ren­con­tré l’écri­t­ure de Gre­go­ry Mot­ton cela m’a vrai­ment con­fir­mé que ces textes ressem­blent par­faite­ment aux années qu’on vit en ce moment.

À part quelques repris­es dans cer­taines insti­tu­tions qui me l’ont demandé, je me suis attaché — ici et là à ne mon­ter que des écri­t­ures con­tem­po­raines. À chaque époque on écrit tou­jours la même chose depuis la Bible et je ne pré­tends pas qu’on invente quoi que ce soit. Mais à chaque temps, il y à une réso­nance par­ti­c­ulière Il faut que les gens qui enten­dent certe réso­nance et qui arrivent à la trans­met­tre en écrivant trou­vent audi­ence.

Quant aux acteurs c’est aus­si beau­coup de l’in­stinct et quelque­fois on se trompe, Il y à tout un sys­tème de jeu que je trou­ve intolérable, absol­u­ment faux, égo­cen­trique, fait pour briller et qui s’isole de l’ensemble de l’œu­vre. On con­tin­ue à enseign­er des tons qui sont ceux de la vieille décla­ma­tion, du sen­ti­ment, de la psy­cholo­gie. Des tons qui ne font qu’ac­com­pa­g­n­er les mots et qui provo­quent en moi une réelle souf­france. Ce qui est aus­si une souf­france, out­re ce pléonasme insup­port­able et super­fi­ciel, c’est de voir des acteurs par­ler et s’agiter en don­nant l’im­pres­sion qu’ils n’ont pas du tout trou­vé leur cen­tre de grav­ité, qu’ils n’ont pas crou­vé d’où part la parole, ce qu’elle veut dire et ne dit pas, et qu’ils n’ont pas sen­ti que la parole
c’est du corps et qu’on ne peut pas par­ler d’un côté et bouger d’un autre côté. La parole et le geste c’est évidem­ment totale­ment lié. Is ont la même orig­ine. On a l’im­pres­sion que les acteurs par­lent sans être à l’é­coute de ce qu’ils dis­ent.

Comme je viens d’élim­in­er tous les théâtres à l’italienne, c’est-à-dire un grand nom­bre de salles, j’élim­ine aus­si, en dis­ant ça, énor­mé­ment de comé­di­ens français. C’est pour cette rai­son que je fais sou­vent appel à des étrangers et que je tra­vaille beau­coup avec de jeunes acteurs. Il me sem­ble que mon­ter des écri­t­ures con­tem­po­raines et les faire jouer comme on joue Racine, Brecht, ou Vic­tor Hugo, c’est très grave. Comme pour une musique neuve il faut trou­ver les instru­ments et les instru­men­tistes pour les jouer, il faut chercher com­ment les jouer. Il faut
s’en­traîn­er. Et bien sûr, comme le dit Jean-Pierre Thibau­dat, ma bête noire c’est le réal­isme. Avec tout ce qu’on voit à la télévi­sion, ces dra­ma­tiques de très bas niveau où on ne demande aux gens que d’être « naturels » , on s’aperçoit que ce que les gens — pub­lic et cri­tiques — ont dans la tête, ce sont des tons du Boule­vard ; c’est inscrit dans les gènes et quand ça ne cause pa naturel ça ne va pas. Or si on l’é­coute, le naturel est cri­ant de faus­seté. Et c’est un men­songe par sim­pli­fi­ca­tion.

Il me sem­ble qu’il devrait exis­ter tout un tra­vail sur la nature du lan­gage, sur la manière de vivre le secret du texte et à la fois de le profér­er. Il y a une autre dimen­sion très impor­tante.
En visant ce réal­isme on lim­ite non seule­ment le texte mais aus­si les êtres. Il y à encore des pau­vres gens qu’on force à jouer Célimène « la coquette » ou Tartuffe « le dévot hyp­ocrite » ou on les force à incar­n­er le plom­bier ou le char­cuti­er, du coin. Ils font ça très bien, c’est très facile à faire, je peux vous le faire. Ça n’a aucun intérêt. C’est encore une mort qui est don­née. Pourquoi voit-on tant de morts don­nées autour de nous ?

Il est très impor­tant que les acteurs soient des gens trans­par­ents, des gens qui sont vrai­ment là en tant qu’eux-mêmes et pas cachés der­rière un rôle, un per­son­nage ou un cos­tume. Dès l’in­stant qu’il accepte de se mon­tr­er lui-même, cha­cun peur con­tenir l’u­nivers entier et l’ex­primer, cha­cun retrou­ve sa dimen­sion d’infini.

Il faut aus­si que le matéri­au de la total­ité de l’œu­vre passe à tout instant dans tous les acteurs à la fois. C’est un tra­vail d’é­coute, de sen­si­bil­ité à l’e­space et aux autres.

Sou­vent on ne tient pas compte de la den­sité de l’air, du cli­mat par­ti­c­uli­er, du sol — si on y pense — qui n’est pas for­cé­ment si solide. On ne sait pas exacte­ment de quoi nous sommes faits, par quoi nous sommes reliés aux gens et à l’e­space qui nous entoure. C’est pourquoi l’ar­chi­tec­ture a telle­ment d’im­por­tance. Si nous nous lais­sons être, nous sommes reliés à I’ensem­ble du cos­mos tout le temps. C’est peut-être pour attein­dre cet ordre de choses, cette com­plex­ité vivante que j’ai besoin d’une cer­taine lenteur et d’un cer­tain silence qui sont très mal ressen­tis par les activistes, mais qui seuls per­me­t­tent d’at­tein­dre ce qui con­stitue le tis­su vivant d’une œuvre.

On dit par­fois que je tue les acteurs, que j’en­lève la vie, alors que j’es­saye sim­ple­ment d’en­lever
l’ac­tivisme, le faux sem­blant, de retrou­ver un con­tact avec une vérité plus proche du réel, une autre vie. Donc je tra­vaille avec des gens qui sont en même temps des musi­ciens, qui sont des danseurs dans leur corps immo­bile Ils ne font pas de la danse mais, dans la voix qui naît du silence, dans la manière de bouger à par­tir de l’im­mo­bil­ité, ils se lais­sent cra­vers­er, inon­der par ce qui vient de l’écri­t­ure. Cette vie pro­fonde, con­tra­dic­toire, com­plexe, ils nous la trans­met­tent. On ne fait pas ce qu’on fait pour ce qu’on fait, on le fait pour ren­dre compte de tout ce qu’on ne fait pas ; pour ren­dre compte de toute la matière incréée, de toute forme infor­mulée.

Est-ce que j’ai répon­du à ta ques­tion ?

E. P. : Oui, mais il manque juste une petite chose. Com­ment cela fonc­tionne avec le pub­lic après ?

C. R. : Oui, je vois bien ce que tu veux dire… Les gens foutent le camp. D’ac­cord ? (rire général).

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