Depuis dix ans, Alternatives théâtrales fait régulièrement écho aux expériences, réflexions et spectacles du Groupov. Cependant, ce numéro est différent, il est l’occasion pour le Groupov de franchir une nouvelle étape.
Le Groupov n’appartient plus (peut-être ne serait-il pas d’accord avec pareille affirmation) à l’avant-garde ou au « laboratoire » , il s’affirme comme une réalité majeure du théâtre contemporain dont la confidentialité ne peut plus s’excuser de la géographie : belge.
Si le Groupov ne s’évertue guère au marketting, à la co-production tapageuse, il est paradoxal de constater qu’en Belgique, il est difficile de penser le théâtre à venir sans se confronter à sa pensée et aux innovations dont il a été le générateur.
Sans doute le Groupov occupe-t-il une place importante dans la pensée théâtrale moderne parce qu’il a su persister en lui-même sans cesser de s’élargir à d’autres horizons artistiques : parmi la vingtaine de membres que compte le collectif Groupov, on trouve des peintres, des musiciens, des poètes, des acteurs, des philosophes, des dramaturges de tous âges, de 20 à 50 ans.
Les invitations qui, désormais, lui sont faites, en France, devraient ouvrir une nouvelle piste à son aventure. Les textes et images ici publiés en prendraient un nouveau sens : celui de signaler fortement que le Groupov ne se réduit pas à ses spectacles, mais que son histoire même, ses débats, ses convulsions, son enseignement constituent une superbe et provocante singularité.
Dans le théâtre de cette fin de siècle qui réitère les inventions des années 50 et 60, mais refuse les certitudes et les questions dont elles procédaient, on ne trouve plus guère de « collectifs » , le théâtre (et l’art en général) ne se pose plus comme vecteur du changement du monde, le marché a remplacé la recherche, le répertoire supplanté l’expérience, etc. Or, voici un groupe authentique, pleinement inscrit dans les années 90, qui a tout ingurgité depuis 15 ans, des Sex Pistols à Talking Heads, du Squat Theater au premier David Lynch, et qui, pourtant, résiste à l’individualisme, au narcissisme, à la dépolitisation, à la dévitalisation, au grand « centrisme » généralisé.
Le Groupov tient du miracle, de la science-fiction tant ses contradictions internes semblent porter les mille et une bonnes raisons qui devraient le conduire à l’échec. Ces contradictions se sont, à l’inverse, révélées salvatrices.
De même que le couple Artaud-Brecht nous paraît aporique et pourtant fondateur même de la modernité du théâtre, les accouplements étranges et les pratiques apparemment contradictoires du Groupov en font la richesse et nous le rendent indispensable.
Citons pour exemples la juxtaposition de travaux fragmentaires et expérimentaux comme KONIEC (GENRETHÉÂTRE) et la mise en scène de L’ANNONCE FAITE À MARIE, citons également la farouche individualisation de chacun des membres du Groupov et la solide fratrie que celui-ci forme, citons le refus quasi-total du texte en scène (durant les trois premières années) alors que les membres du Groupov écrivaient tous, citons enfin le fait que le groupe persiste dans sa radicalité, alors que ses acteurs jouent pour d’autres compagnies, enseignent, et signent des mises en scène à l’Opéra National.
Le Groupov n’est pas primordial par delà ses apories, mais grâce à elles, par la modernité de son hétérogénéité, et c’est ainsi qu’il nous oblige à repenser sans cesse le théâtre et l’art en général, qu’il interdit la somnolence, la complaisance et la facilité.
Il va de soi que le Groupov irrite. Je n’en saurais parler objectivement. À ceux qui n’eurent pas encore le privilège du choc que le Groupov réserve à ses « invités » , la lecture de cette lettre, ce qu’elle dit et ce qu’elle sous-entend d’une pratique et d’une qualité de relations créatrices, charrie déjà toutes les émotions et les perplexités que suscite sa démarche.
Jean-Christophe Lanwers
Les membres du Groupov :
Marie-France Collard
Johan Daenen
Jacques Delcuvellerie
Thierry Devillers
Eric Duyckaerts
Stéphane Fauville
Christine Grégoire
Lou Hérion
Sofie Kokaj
Francine Landrain
Jean-Christophe Lauwers
Sofia Leboutte
Nathalie Mauger
Frédéric Neige
Délia Pagliarello
Denis Pousseur
Giovanna Ruggieri
François Sikivie
Benoit Vreux

