À LA SURPRISE de ses proches, un villageois décida de renoncer aux haricots pour semer des lions. La risée fur générale… Au début, ses champs restèrent stériles, mais, obstiné, le provocateur n’abandonna pas ec ainsi, quelques années plus tard, il finie par récolter des lapins. Toujours pas de lions ! Rien . n’y fic… et notre homme n’entendit pas raison. Des lapins, plus beaux, plus laids, mais point de lions ! Une fois le père more, son fils, dans l’indifférence générale, poursuivie les semailles qui jadis faisaient glousser roue le pays jusqu’au jour où, las, découragé, il décida de capituler. Alors il replanta des haricots et il eut des haricots. Mais, autour de lui, chacun disait : Quel déclin ! Son père semait des lions et, lui, il se contente de haricots ».
C’est avec cette parabole qu’Eugenio Barba accueillit les invités pour l’anniversaire des trente ans de l’Odin. Il s’identifie, nul douce, au père rêveur de lions et obligé de se résigner aux lapins, tout en rappelant que, par l’abandon de la gageure démesurée, le fils rentre dans le rang. Il y a des défaites partielles qui valent plus que l’accord dépourvu de révolte. Le fils sacrifie le demi-rêve accompli au profit d’une lucidité qui restaure la norme. Barba, lui, déterminé, annonce que cane que ses pieds pourront le maintenir debout, l’Odin ne disparaîtra pas. Mais, désormais, pour le groupe, le pari consiste à résister à l’esprit du temps et non plus à l’incarner comme lors des utopiques années 60. Bref, comment ne pas cesser de « semer des lions » quand tout invite au réalisme bien tempéré !
De l’Odin je connaissais tout, sauf le lieu. Les livres et les spectacles, mais nullement Holscebro qu’aujourd’hui le guide du pays désigne comme « la ville d’Eugenio Barba et son groupe ». Ici, sur une place pas plus grande qu’un mouchoir de poche, se dresse la silhouette fragile de cerce femme de Giacometti que la mairie acheta au prix d’efforts difficilement consentis par les contribuables, candis que sur les bords se dessine le territoire de l’Odin. Juste à côté des pompiers, voisinage symbolique pour ces incendiaires inassouvis.
Au cœur du portail orné de fleurs ec de fruits est implanté le ’ chiffre anniversaire. La décoration renvoie aux coutumes nordiques cout en faisane ressurgir discrètement les souvenirs des années hippies. À l’intérieur du jardin, ici et là, des traces de voyages, des affiches et photos… ailleurs, bibliothèque, cuisine et salles de répétition. Le lieu témoigne de l’identité de !‘Odin forgée dans le labeur ec la discipline, lieu de travail de même que lieu de retour pour le groupe le plus nomade du siècle. Si Holscebro ne fut à l’origine qu’un refuge, elle a fini par être le foyer « où nos enfants sont nés » die Barba. Ici, sur cerce marge de l’Europe s’enracine l’Odin… D’emblée Barba, comme Grotowski, chercha une ville à l’écart et ce que la Norvège lui refusa, le Danemark le lui accorda. Aujourd’hui, les gens d’Holstebro aiment dire que l’Odin les empêche de s’endormir. Insomniaque, il veille à côté des pompiers aux petites voitures rouges.
L’Odin a fait du local sa terre d’appui et de l’international sa raison d’être. Il a voyagé, tissé des liens, constitué une galaxie d’amis donc la présence ici s’inscrit dans un véritable « portrait de groupe ». Tandis que Barba parle du « fil des noms » sur lequel lui et ses acteurs one souvent avancé, le regard se promène dans la salle où il reconnaît les intellectuels italiens profondément impliqués dans la réflexion esthétique de l’Odin, les gens de théâtre d’Amérique du Sud, le continent de choix, les maîtres orientaux, des scientifiques et des programmeurs… il y a aussi des taches blanches et l’on s’interroge alors sur la place qu’occupe l’inconnu sur la carre de l’Odin. Cette carre ne définit pas seulement un territoire avec son centre et ses points périphériques, mais aussi. une durée, car des collaborateurs de jadis sont là de même que des amis très jeunes. Barba égrène des noms comme les perles d’une fidélité jamais démentie… Plus tard, Iben Nagel Rasmunsen, son actrice fétiche, va allumer une poutre et dans le noir de cette chapelle ardente improvisée, les mores seront évoqués, les amis autant que les grands disparus du théâtre : Barrault et Decroux, Cieslak et Cruciani. Les morts de l’Odin. Nos mores.