À L’ÉPOQUE COLONIALE ou encore dans l’histoire récente, la création théâtrale au Shaba1 s’est toujours affirmée comme jalouse de ses spécificités. Celles-ci s’expliquent notamment par Le rôle de premier plan joué par les grandes entreprises minières dans la vie sociale et économique de la région. Le théâtre shabien s’est, en effet, développé grâce à des initiatives émanant de l’Union minière du Haut Katanga et d’autres entreprises, soucieuses, dans une vision coloniale, d’offrir « de saines distractions » à leurs ouvriers. Ces entreprises ont érigé des infrastructures remarquables, bien souvent sans équivalent dans les autres régions du pays, en ce y comprise la capitale, Kinshasa.2
Après l’indépendance, l’aspect institutionnel du théâtre shabien est resté marqué par le sponsoring industriel, et en particulier par celui de la Gécamines, héritière de l’Union Minière.3 De ce contexte découle un théâtre à prédominance didactique, à visée moralisatrice et sociale, mais marqué heureusement par la diversité des sensibilités des créateurs.
Non moins remarquable est la coexistence d’un théâtre en langue française et de créations en langues nationales, diffusées notamment par la radio et la télévision.4 Des formes traditionnelles de théâtre se sont également perpétuées tels les jeux de masques de l’ethnie Tshokwe, tandis que le Ballet du Shaba inscrira à son répertoire chants et danses tirés des folklores ethniques de la région. Synthèses de ces traditions ancestrales, les créations du Mwondo théâtre connaîtront un succès largement mérité sur les scènes internationales.5 Dans une vision novatrice, ce groupe puisera son inspiration dans les contes et les légendes de jadis.
En somme, la richesse des productions culturelles du Shaba, et du théâtre en particulier, plaide pour que des études monographiques soient consacrées à cette région. Pour ma part, je tâcherai, à partir de deux textes de deux dramaturges particulièrement exemplaires, de dégager les traits spécifiques du théâtre shabien6.
Katende et Kiluba : deux dramaturges exemplaires du théâtre du Shaba
J’ai retenu ces deux dramaturges, d’abord pour la richesse de leur répertoire qui, par son contenu sémantique et littéraire, est essentiellement destiné aux publics urbains de Lubumbashi, Likasi et Kolwezi. Ces trois villes résument, à bien des égards, le creuset minier et industriel du Shaba et en constituent les centres névralgiques. Il faut également souligner l’impact qu’’exerce incontestablement l’écriture dramaturgique de Katende et de Kiluba sur un public de scolarisés et de lettrés. La stratification même de ces populations urbaines, qui sont les destinataires attitrés sinon naturels des œuvres de ces auteurs, constitue un aspect dont on ne saurait faire l’économie. Car le pluriethnisme, inimaginable dans un contexte pré-colonial, entraîne des confrontations et des symbioses qui marquent de leur sceau indélébile des contenus dramaturgiques imbriqués dans le phénomène plus général des « cultures utbaines ».
L’Afrique dont témoignent Katende ou Kiluba, et bien d’autres encore, est donc l’héritière des traditions tout en étant en rupture avec celles-ci. Elle est marquée pat la colonisation, autrement dit soumise à l’acculturation et à ses affres, et guettée par l’anomie. Dès lors, ses productions culturelles et théâtrales recèlent les signes de la quête d’un moi oublié, et la volonté de revitaliser le corps social atteint dans sa chair.
Le conflit manichéen entre passé et présent se constitue en démarche didactique et pédagogique visant à la négation d’une culture urbaine vouée aux gémonies, et à la réhabilitation, sinon à la survalorisation, des valeurs du passé, ce dont témoigne la mythification de la tradition présente dans L’ARBRE TOMBE… de Katende Katsh (CEDPT, Likasi, 1985) ou dans LA CHUTE DU PREMIER EMPIRE LUBA de Kiluba (Éditions Écho des écrivains zaïrois, Likasi, 1991).
Natif de Likasi, maillon essentiel de l’industrie shabienne, Katende Katsh voit Le jour en 1950. Il accomplit son cycle primaire et secondaire dans sa ville natale avant de rejoindre l’Université Lovanium de Kinshasa, où il s’inscrit en faculté polytechnique. Ses ambitions académiques ayant tourné court, Le dramaturge en herbe retourne au bercail et se met au service de la société Afridex qui le compte bientôt parmi ses cadres. Pendant une vingtaine d’années, Katende ménage au mieux sa carrière professionnelle et sa passion pour les planches. C’est à Likasi, cependant, que l’œuvre de Katende s’étoffe au fil d’incontestables succès de planches, préludes à leur heureuse fortune éditoriale. Déjà auteur, acteur, metteur en scène et directeur de troupe, Katende crée à Likasi sa propre maison d’édition7 qui devient rapidement le fer de lance de l’édition théâtrale, quasiment sans équivalent dans l’espace littéraire extérieur au Shaba.
Egalement natif de Likasi, Kiluba voit lui aussi le jour en 1950. Ses humanités achevées, il poursuit une formation de sociologue à l’ISES de Lubumbashi, dont il sort gradué. Embauché par la Gécamines, il s’occupe de la gestion du personñel pendant une douzaine d’années. Rédacteur à Mwana Shaba, il prend congé de son poste après son élection comme député de la ville de Likasi.8 Poète également, Kiluba a réuni et publié trois recueils de poèmes. Son œuvre éditée à l’enseigne de sa maison d’édition, a été largement diffusée dans le Shaba et même ailleurs.9 Si le parcours de Kïluba s’avère comparable à celui de Katende, s’y ajoute la dimension politique, que l’on repère aisément au niveau des thèmes abordés.
« L’arbre tombe… » de Katende Katsh

