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Le 12 Juin 1995
Article publié pour le numéro
Théâtre d'Afrique Noire-Couverture du Numéro 48 d'Alternatives ThéâtralesThéâtre d'Afrique Noire-Couverture du Numéro 48 d'Alternatives Théâtrales
48
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Ce texte d’Ebrahim Hus­sein et l’in­tro­duc­tion d’Alain Ricard (dont nous reprenons ici un extrait), ont été pub­liés en français, dans la tra­duc­tion de Kasoro Tumb­we, en 1991, dans un fas­ci­cule édité par le Cen­tre de recherch­es, d’échanges et de doc­u­men­ta­tion de Nairo­bi, Kenya. Nous remer­cions Alain Ricard, qui nous a aimable­ment don­né l’au­tori­sa­tion de les repren­dre ici. 

POURQUOI PUBLIER la tra­duc­tion d’un texte sur Aris­tote ? En quoi sommes-nous con­cernés par ce qui peut appa­raître comme un débat de spé­cial­istes, voire d’érudits, très éloigné de la pra­tique théâ­trale et sociale de l’Afrique de l’Est, de la Tan­zanie en l’oc­cur­rence. Notons tout d’abord que ce texte d’E. Hus­sein, pub­lié d’abord en kiswahili, est la retran­scrip­tion d’une com­mu­ni­ca­tion pronon­cée en 1980 lors d’un sémi­naire sut l’histoire de la lit­téra­ture en Tan­zanie. En fait, il s’agis­sait de rassem­bler des textes d’analyse his­torique et cri­tique, écrits en kiswahili, sur la théorie sociale et poli­tique, mais aus­si sur la théorie esthé­tique. En effet, les thès­es sur la lit­téra­ture swahili sont sou­vent faites ailleurs qu’en Tan­zanie et l’habi­tude n’est pas prise d’un débat théorique en kiswahili. Or les ques­tions d’aménagement lin­guis­tique ne se lim­i­tent pas à des Listes de néol­o­gismes plus ou moins habile­ment con­stru­its, elles sup­posent une appro­pri­a­tion des ter­mi­nolo­gies par les usagers et la pro­duc­tion d’un cor­pus de débats théoriques et cri­tiques. Tel était l’ob­jec­tif de la pub­li­ca­tion des trois vol­umes d’études dont nous avons extrait le tra­vail d’E. Hus­sein sur Aris­tote.
L’en­jeu du débat n’est autre que la déf­i­ni­tion même du théâtre : si le théâtre est d’abord une réal­ité anthro­pologique, il ne relève pas de l’élaboration poé­tique du dra­maturge ; or, cette dernière est le pro­pos d’E. Hus­sein. Pour Hus­sein le théâtre est une pra­tique artis­tique par­ti­c­ulière, et non une par­tie des grands rit­uels com­mu­nau­taires. Il s’op­pose à l’ab­sence de dis­tinc­tion entre théâtre et vie sociale, c’est-à-dire poli­tique ; entre théâtre et reli­gion. C’est au nom d’une con­cep­tion autonome de la pra­tique artis­tique qu’il analyse Aris­tote, réfléchissant sur les caté­gories poé­tiques que ce dernier pro­pose. C’est para­doxale­ment l’écrivain tan­zanien, venu d’un pays social­iste, qui refuse la con­fu­sion entre le théâtre et la poli­tique.
Le souci de dis­tinguer la pra­tique théâ­trale des autres pra­tiques sociales ne sig­ni­fie évidem­ment pas le dés­in­térêt à l’é­gard des formes mul­ti­ples de spec­ta­cle que nous offre l’Afrique, mais comme Hus­sein l’écrit dans sa thèse, « il faut dis­tinguer les élé­ments dra­ma­tiques présents dans les rit­uels et le théâtre en tant que tel qui s’est détaché de sa fonc­tion rit­uelle et qui est devenu un événe­ment esthé­tique spé­ci­fique ». Voici bien de la part d’un homme de théâtre recon­nu comme le pre­mier en kiswahili et qui a fait fonc­tion de dra­maturge qua­si offi­ciel de la Tan­zanie, une affir­ma­tion de poids qui par­ticipe du souci de déf­i­ni­tion d’un espace pro­pre au théâtre.
En fait, comme le mon­tre bien cet essai, si les caté­gories pro­posées par Aris­tote ne peu­vent ren­dre compte de l’ensemble des modal­ités pos­si­bles du spec­ta­cle, elles per­me­t­tent cepen­dant d’analyser une bonne par­tie de la pro­duc­tion africaine, qu’il s’agisse de celle de Soyin­ka, de J. Rugan­da, de Ngu­gi ou de Hus­sein lui-même. Il peut certes y avoir d’autres façons de racon­ter des his­toires que de suiv­re l’enchaînement linéaire du shé­ma aris­totéli­cien :cir­cu­lar­ité, par­al­lélisme, dis­con­ti­nu­ité relèvent à bon droit d’une logique du réc­it et appa­rais­sent fréquem­ment dans les réc­its africains. Pour­tant, l’ef­fort aris­totéli­cien con­cerne tous les hommes de théâtre, y com­pris les Africains et rend large­ment compte du fonc­tion­nement du réc­it dra­ma­tique. Per­son­ne ne croit plus aux règles nor­ma­tives, mais nous avons tous besoin de caté­gories d’analyse des élé­ments du dis­cours dra­ma­tique.
L’ef­fort tou­jours recom­mencé pour fonder l’au­tonomie de la pra­tique artis­tique trou­ve ici, de la part d’un écrivain tan­zanien, en 1980, une nou­velle expres­sion. L’autonomie de la pra­tique théâ­trale n’a rien à voir avec le retrait dans une tour d’ivoire ;elle con­siste sim­ple­ment en l’af­fir­ma­tion du droit du dra­maturge à une recherche libre et à une expres­sion sans com­plai­sance. Les malen­ten­dus qui accom­pa­g­nent l’œuvre d’‘E. Hus­sein résul­tent sans doute de cette dif­fi­cile ten­ta­tive d’autonomisation de l’esthé­tique dans un con­texte où un tel pro­jet peut paraître aus­si con­testable que dérisoire. Tel n’est pas, à notre sens, le cas ; d’où l’im­por­tance du débat théorique qui se pour­suit en kiswahili et dont ce texte essaie pour la pre­mière fois de ren­dre compte. 

Alain Ricard.

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Écrit par Alain Ricard
Alain Ricard est directeur de recherch­es au C.N.RS.; il tra­vaille au sein du Cen­tre d’études d’Afrique noire à...Plus d'info
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