Les utopies s’effacent, l’oppression demeure
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Les utopies s’effacent, l’oppression demeure

— À propos de « La mère » de Bertolt Brecht, une création du Groupov — 

Le 7 Juin 1995
Article publié pour le numéro
Théâtre d'Afrique Noire-Couverture du Numéro 48 d'Alternatives ThéâtralesThéâtre d'Afrique Noire-Couverture du Numéro 48 d'Alternatives Théâtrales
48
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La MÈRE de Bertolt Brecht, une créa­tion du Groupov mise en scène par Jacques Del­cu­vel­lerie est, après L’ANNONCE FAITE À MARIE de Paul Claudel et TRASH, À LONELY PRAYER de Marie-France Col­lard, le troisième volet d’un tryp­tique que le met­teur en scène a cen­tré sur la ques­tion de la « vérité ». Le numéro 44 d’Alternatives théâ­trales (juil­let 93), inti­t­ulé « Théâtre et vérité », a con­sacré un dossier au Groupov et repro­duit dans sa total­ité la longue let­tre de Jacques Del­cu­vel­lerie, « À celle qui écrit Lulu-love-life », dans laque­lle il expose et théorise les fonde­ments de sa pra­tique théâ­trale et de celle du Groupov. 

JACQUES DELCUVELLERIE : Le désir de par­ler de l’aspect artis­tique de LA MÈRE, de sa mise en scène et de l’in­flu­ence que Brecht a pu avoir sur notre pro­pre tra­vail vient avant tout d’un événe­ment :la vision du film de la mise en scène de LA MÈRE réal­isée au Berlin­er Ensem­ble. Ce film a été un choc : un choc lumineux. Ça m’est apparu comme une manière de faire du théâtre haute­ment décon­cer­tante et trou­blante, dont je n’ai que très pro­gres­sive­ment com­pris la com­plex­ité, la sub­til­ité, l’in­tel­li­gence. Ce n’é­tait pas une appro­ba­tion immé­di­ate ;oui il y avait une appro­ba­tion glob­ale, je sen­tais que c’é­tait vrai­ment dans ce sens-là qu’il fal­lait tra­vailler, mais en même temps, j’é­tais choqué. Alors que depuis main­tenant très longtemps, j’ai beau­coup lu Brecht, tous les écrits, le jour­nal de tra­vail, j’ai vu les films, écouté les musiques, des tas de ver­sions dif­férentes, des inter­pré­ta­tions de ses poèmes, j’ai vu des mis­es en scène célèbres et d’autres incon­nues…, mais je n’é­tais pas pré­paré à voir la mise en scène de Brecht lui-même. Ça m’a totale­ment sur­pris et cela con­tin­ue à me paraître un théâtre sur­prenant. 

Anne-Marie Loop : Jacques par­le du terme lumineux. Moi, je dirais : dis­cré­tion, épu­ra­tion, une ligne pure, sim­ple, calme. Je me sou­viens d’une con­ver­sa­tion tout au début où Jacques dis­ait : « Ça va être un tra­vail assez dur pour les acteurs, parce que sou­vent ils deman­dent (avec de nobles motifs) des numéros. Ils aiment plutôt jouer des héros, avec une expres­siv­ité où l’ac­teur va chercher à l’intérieur de lui, avec sa vérité, son rap­port au monde, quelque chose d’intime pour le don­ner à voir. » Et Jacques con­tin­u­ait : « avec cette pièce ce sont des héros du tra­vail de tau­pes, oui, plutôt des héros anonymes qui choi­sis­sent ce chemin… » 

J. D.:.… et à qui on n’érig­era jamais de mon­u­ment, comme Brecht l’ex­plique très bien dans son poème aux ouvri­ers-acteurs de New-York. Il y a quelque chose dans le théâtre de Brecht qui est ce vers quoi l’ac­teur spon­tané­ment n’a pas de chemin facile. Il n’y a pas de grand per­son­nage. Même la mère, présente dans toutes les scènes, (ce qui est peut-être unique dans une pièce de théâtre) est avant tout un per­son­nage qui réag­it et non pas qui tire la scène. Et c’est une toute petite madame. Mais que j’ai eu un choc mon­tre à quel point nous ne pre­nions pas au sérieux ce que nous avions lu et ce que nous disions nous-mêmes. Plusieurs choses étaient pour moi tout à fait con­nues mais je n’en aurais jamais imag­iné l’au­dace réelle. Et d’abord, c’est la con­fi­ance faite à la fable, com­plète­ment. C’est-à-dire : la fable d’abord. Il s’agit de racon­ter cette his­toire exem­plaire, qui est comme un mys­tère du Moyen-Âge, comme un fabli­au, une his­toire avec une morale, une pièce didac­tique. Il s’agit de lui faire con­fi­ance. Per­son­ne en tant qu’acteur ou col­lab­o­ra­teur du spec­ta­cle ne peut se met­tre en avant. C’est la fable qui compte. À ce point là c’est rare. Pour don­ner un exem­ple con­cret, il y a un refus d’ex­ploiter sys­té­ma­tique­ment tout ce que le rôle per­met. Quand on lit la pièce, très riche, très intel­li­gente, émou­vante, drôle et en même temps par moment effec­tive­ment très rigoureuse, très enseignante, on voit qu’il y a des scènes, des per­son­nages, où si l’ac­teur veut exploiter le texte avec tout ce qu’il per­met, il y a moyen de se faire une petite fête du théâtre au sens habituel du terme. Mais quand on regar­dait la mise en scène de Brecht, c’é­tait curieux, il n’ex­ploitait pas la moitié du matéri­au. Et pour­tant il était par­faite­ment con­scient de tous les ressorts dra­ma­tiques pos­si­bles. À chaque fois, il fai­sait les choix de ce qu’il fal­lait met­tre en avant. Et sans doute que la dif­férence avec un autre met­teur en scène prove­nait de ces choix. Mais, en tous cas il ne décidait jamais d’ex­ploiter à fond chaque élé­ment.
Le deux­ième point c’é­tait que tous les per­son­nages étaient crédi­bles. Tous les per­son­nages étaient, on pour­rait dire, joués par de grands acteurs. Alors que la manière de jouer, enfin ce qui est dit, n’est pas entière­ment réel : la scène du 1% mai est déjà écrite sous forme de compte ren­du : « dis-je, dit-il » , etc. et cette dis­tan­ci­a­tion crée un effet émo­tion­nel sup­plé­men­taire. Mais, à l’intérieur de cette chose qui n’est pas réal­iste, du dis­posi­tif qui ne l’est pas, de la musique qui vient faire con­tre­poids, il y avait une den­sité de réal­ité de chaque être qui était très impres­sion­nante.
La crédi­bil­ité est insé­para­ble de ce grand calme qui nous a frap­pés dans la mise en scène de Brecht, l’extrême calme de tous les acteurs, du jeu même dans les sit­u­a­tions ten­dues, et dans l’exécution des chants. Ce calme est tout à fait essen­tiel et il est pro­fondé­ment his­torique. Il a une sig­ni­fi­ca­tion his­torique et pose une dif­fi­culté his­torique aux acteurs d’au­jour­d’hui. Ce calme est tout à fait néces­saire parce que la pièce est poli­tique et mil­i­tante. Même si elle com­porte des aspects mythologiques, même si comme Barthes l’analyse très bien (dans un texte paru en 1960 dans la revue Théâtre Pop­u­laire) elle est aus­si une pièce de la mater­nité, vue d’un point de vue matéri­al­iste et dialec­tique, même s’il y a toutes ces dimen­sions sec­ondaires, elle est une pièce mil­i­tante et poli­tique. À cette fin, il est essen­tiel qu’elle soit faite avec ce calme, c’est-à-dire par des gens con­va­in­cus. Et pas du tout avec des gens véhé­ments, qui se font croire (et qui donc ne nous fer­ont jamais croire) à la réal­ité de ce dont il est ques­tion. Il y a donc un con­tenu poli­tique à ce calme. Ce con­tenu poli­tique sig­ni­fie qu’il s’agit d’une per­son­ne pour qui c’est réelle­ment une con­vic­tion et la pra­tique de tous les jours. Et qui en par­le comme à un ami. Peut-être à un ami même très loin­tain. Peut-être à un enne­mi tem­po­raire. Mais dans le désir de lui expos­er ce qu’il croit si pro­fondé­ment que cela ne com­porte aucune forme d’a­gres­sion. Et la ner­vosité, déjà c’est une agres­sion. Cela paraît sur scène comme un manque de cer­ti­tude.
Le deux­ième élé­ment philosophique en scène dans ce calme, c’est qu’il y est une pro­jec­tion du futur. Non seule­ment la pièce dépeint un petit groupe de mil­i­tants qui tra­verse des péri­odes très divers­es de répres­sion, et puis finale­ment la guerre jusqu’à la révo­lu­tion de 1917, mais elle doit don­ner à voir, dans les rap­ports entre ces gens et dans la manière dont ils se com­por­tent déjà, quelque chose de la société future, rêvée, imag­inée, entre­vue et pour laque­lle ils lut­tent. C’est-à-dire qu’il y a déjà dans la manière de se com­porter entre eux, quelque chose de ce qu’ils espèrent réalis­er plus tard, qui est au tra­vail. Et nous voyons que c’est un com­porte­ment, comme dirait Brecht ami­cal mais sans con­ces­sion. Dans Les petites réu­nions mil­i­tantes du début de la pièce, si quelqu’un a quelque chose à dire, et bien il pousse l’autre, pas bru­tale­ment, mais pour dire : « c’est à moi je par­le ». Tout le monde est dans des rap­ports cor­diaux, mais sans chichis, sans trop de politesse. Comme des gens réu­nis unique­ment en fonc­tion d’un but, et que cette réu­nion rend meilleurs, car le but est évidem­ment plus impor­tant que leurs his­toires per­son­nelles. Et donc il doit y avoir égale­ment chez les acteurs chargés de les représen­ter une forme de ce calme. Pour que ce dont il est ques­tion à tra­vers cette représen­ta­tion ait déjà une forme de réal­ité tan­gi­ble sur scène. Il est vrai que des acteurs comme Busch et Weigel, au moment où le film est réal­isé doivent vrai­ment croire que toutes les épreuves qu’ils ont tra­ver­sées (il y en aura encore d’autres bien enten­du) avaient un sens. On leur a ren­du un théâtre dont les nazis les avaient chas­sés, la guerre a été gag­née, essen­tielle­ment par les com­mu­nistes et par l’U­nion Sovié­tique. Ils sont en train de par­ler de quelque chose qui est en train d’avoir lieu, sans aucun tri­om­phal­isme, mais quand même avec une pro­fonde con­fi­ance en soi, ce qui n’est pas du tout notre sit­u­a­tion aujourd’hui. Donc, à tous les égards le prob­lème du calme est aus­si un prob­lème de dis­tance his­torique. Nous avons passé beau­coup de temps à lut­ter con­tre la tachy­cardie de l’énervement et l’histrionisme habituel de nos acteurs et : nous avons aus­si lut­té con­tre le pseu­do-calme à l’allemande. Évidem­ment, nous ne pou­vons pas avoir le même calme et donc nous ne pou­vons pas, sauf en étant des irre­spon­s­ables, entière­ment le vis­er. Nous devons savoir qu’il y avait ça dans le désir de Brecht, déjà dans l’écri­t­ure de la pièce, et comme met­teur en scène quand il l’a fait, et dans le film quand nous le voyons. Nous seri­ons fous de pré­ten­dre l’incarner com­plète­ment aujourd’hui, parce que nous ne sommes pas dans la même sit­u­a­tion his­torique et parce que notre spec­ta­teur n’est pas dans la même sit­u­a­tion his­torique. On ne peut pas entière­ment le faire comme cela, mais on doit savoir que c’est essen­tiel. On doit en tenir compte.
Com­ment don­ner du réel (volon­té, ruse, humour, peur) à des gens vivant sous un régime de ter­reur poli­cière (la Russie tsariste, pays le plus arriéré d’Eu­rope au niveau indus­triel et agri­cole, était le régime polici­er le plus sophis­tiqué du monde), et qui sous ce régime visent à ren­vers­er et à détru­ire le pou­voir d’État, sérieuse­ment, et peu importe le délai. Nous avons vision­né un cer­tain nom­bre de doc­u­men­taires où on peut ren­con­tr­er ce type d’êtres humains à tra­vers le monde, même si l’ex­péri­ence juste­ment paraît loin de la pièce. Par exem­ple nous avons vision­né un très beau doc­u­men­taire sur trente ans de guerre pop­u­laire en Ery­trée jusqu’à la con­quête du pou­voir. Et la toute pre­mière chose qui nous frap­pait tous en voy­ant s’ex­primer ces gens qui avaient per­du trois, qua­tre enfants dans la guerre, c’é­tait leur calme et leur déter­mi­na­tion. La manière très sim­ple dont ils expri­maient des con­vic­tions qui étaient com­plex­es et qui s’enracinaient dans des sen­ti­ments humains très pro­fonds. Nous retrou­vions ce que la mise en scène du Berlin­er com­mu­nique. On en a vu d’autres sur l’Amérique latine, sur l’Asie, etc.
Les por­teurs de paroles, les per­son­nages doivent être extrême­ment dens­es, con­crets, mais quand on essaye de leur faire jouer vraie une con­ver­sa­tion réal­iste ou une bagarre, très vite ça s’ef­fon­dre. On sent qu’on est en train d’es­say­er de séduire le pub­lic mais qu’on ne racon­te pas ce dont il est ques­tion. Et qu’on s’éloigne de cette représen­ta­tion dont on vient de par­ler : celle d’un autre monde, où les rap­ports ne seraient pas con­cur­ren­tiels et pressés. Respecter la struc­ture de l’écri­t­ure et faire con­fi­ance à la fable, sans que ça nous dis­pense du tout de créer de la den­sité dans les rap­ports et dans les por­teurs de paroles, les per­son­nages, c’est un point essen­tiel. Mais inverse­ment, en tant que fable dra­ma­tique, la pièce est incroy­able­ment bien con­stru­ite. Elle com­porte aus­si tous ces petits plaisirs dont l’acteur a besoin pour aimer aller sur le plateau. Il n’y a pas un rôle qui n’ait pas sa chan­son, cha­cun a au moins un vrai petit moment, même si ce n’est qu’une réplique ou une entrée, et qui a du sens et fait de l’ef­fet, il y a, au vieux sens du terme, des coups de théâtre. Par exem­ple après la scène où on voit Le mieux les rap­ports d’af­fec­tion et de com­préhen­sion entre la Mère et son fils, quand Pavel revient de Sibérie, après la chaleur des retrou­vailles et du tra­vail com­mun, juste après Ça, avec une bru­tal­ité ter­ri­ble, dans la scène suiv­ante, Pélagie apprend que son fils est mort, fusil­lé.. Tout le temps les vieilles lois de l’économie dra­ma­tique sont présentes, mais dans une autre dra­maturgie et donc elles appa­rais­sent masquées. Les gens innom­brables qui ont écrit que c’étaient des pièces didac­tiques, « des cours du soir pour attardés » (Le Figaro), etc. , n’ont évidem­ment jamais remar­qué ça, telle­ment ils étaient con­tre ce que ça racon­te. Les chants, par exem­ple, présen­tent une très grande var­iété : éloge funèbre, marche de com­bat, chant de protes­ta­tion, berceuse, réc­it par­lé, choral, fugue. Il faut com­pren­dre com­ment chaque genre est choisi en fonc­tion du pro­pos de chaque scène, com­pren­dre cette archi­tec­ture c’est déjà met­tre beau­coup de chances de son côté.
Nous avons eu la volon­té de con­sid­ér­er l’ensemble des propo­si­tions qui nous ont été léguées, au point de vue musi­cal, scéno­graphique, de jeu, etc. , comme une indi­ca­tion dont nous devions repar­tir, que non seule­ment nous ne reje­tions pas a pri­ori, mais que nous devions assumer. Et nous avons con­staté dans le proces­sus de tra­vail que chaque fois que nous ne com­men­cions pas par là, nous fai­sions fausse route. Par con­tre en adop­tant l’attitude de repar­tir d’abord de l’héritage, nous créions néces­saire­ment une inter­pré­ta­tion nou­velle, puisque nous vivons dans un temps dif­férent, puisque nous n’avons pas vécu les mêmes choses, puisque les acteurs n’ont pas le même physique, n’ont pas le même passé, etc. Pro­gres­sive­ment, en accep­tant d’abord dans l’humilité de repar­tir de cet ensem­ble de propo­si­tions nous trou­vions des choses dif­férentes, je ne dis pas meilleures, mais en tout cas dif­férentes, et qui nous sem­blaient plus justes pour notre représen­ta­tion. Cela veut dire que con­crète­ment, oui, dans la scéno­gra­phie, il y a un tas de choses qui évo­quent la scéno­gra­phie de Brecht, mais ce n’est pas la même. Il y a des scènes où la mise en place est en par­tie la même et d’autres pas du tout. Et puis on fini­rait par croire que nous faisons une fix­a­tion mor­bide sur Brecht, mais on a aus­si vu un tas d’autres choses : la mise en scène de Sobel ; nous avons vu un film de la mise en scène de 1970 de Stein à la Schaubühne avec There­sa Ghiese, un mon­u­ment. Mais, au bilan, c’est très claire­ment chaque fois du côté de la mise en scène de Brecht que ça sem­blait le plus juste. Bien que je crois que la mise en scène de Stein à ce moment-là, en Alle­magne était une mise en scène juste, pro­fondé­ment intéres­sante, mais provo­ca­trice. Nous n’avons pas adop­té les mêmes solu­tions parce qu’il me sem­ble aus­si intéres­sant, ça c’est encore un aspect de la mise en scène, de réaf­firmer net­te­ment haute­ment, explicite­ment, Brecht aujourd’hui. Il ne se porte pas si mal. On n’a jamais écrit autant de livres con­tre lui etona pen­dant dix ans joué toutes ses pièces de jeunesse et les grandes fables qui n’ont pas l’air trop poli­tiques. Mais per­son­ne ne veut le réaf­firmer comme un auteur révo­lu­tion­naire. On ferait une antholo­gie extra­or­di­naire de tous les livres et arti­cles dis­ant qu’il est bon mal­gré ce qu’il pen­sait. Nous n’avons pas adop­té la même atti­tude, nous Le prenons avec ce qu’il pen­sait, inté­grale­ment. Et quand il paraît y avoir con­tra­dic­tion dans ses écrits ou ses actes, nous ne par­tons pas de l’hy­pothèse du rusé renard hyp­ocrite, mais nous cher­chons où se trou­ve l’u­nité fon­da­men­tale sous la con­tra­dic­tion.
Quand à la ques­tion de la dis­tan­ci­a­tion qui a fait couler telle­ment d’en­cre, mon opin­ion là-dessus bien avant de voir le film de Brecht ou celui de Stein était que le prob­lème n’a plus de sens en ce qui con­cerne la représen­ta­tion d’une pièce comme La MÈRE. D’abord le théâtre, dans son entier y com­pris celui qui se veut Le plus nat­u­ral­iste ne pro­duit plus du tout l’effet de nat­u­ral­isme ou de réal­isme que Brecht cri­ti­quait à son époque. C’est impos­si­ble de le pro­duire tout sim­ple­ment à cause du ciné­ma, de la télévi­sion, de tous les arts du réal­isme immé­di­at. Quiconque va aujourd’hui s’en­fer­mer dans une salle de théâtre y voit du théâtre, et rien d’autre. Ici, de sur­croît, LA MÈRE est écrite par l’homme qui a énon­cé cette théorie, qui l’a per­fec­tion­née, qui l’a faite sienne et lui a don­né un statut essen­tiel. Il l’a écrite en pen­sant à la manière de la représen­ter, à la fois écrivain et met­teur en scène, donc le tra­vail de dis­tan­ci­a­tion est déjà large­ment fait dans la pièce même. Il est impos­si­ble de la représen­ter en s’a­ban­don­nant au théâtre roman­tique ou expres­sion­niste, sauf à démolir com­plète­ment ce qu’elle exprime et qui la rend belle, drôle et émou­vante.
Donc, au con­traire, et avec aus­si tout ce qu’on a racon­té avant sur le fait qu’on est dans un effet d’éloignement his­torique par rap­port à la révo­lu­tion (sinon par rap­port à sa néces­sité en tous cas par rap­port à celle qui a existé et par rap­port à celle qui pour­rait venir), notre effort ne devait pas du tout porter sur com­ment dis­tanci­er une pièce écrite par l’in­ven­teur de la dis­tan­ci­a­tion, mais com­ment lui don­ner de la den­sité et de la réal­ité pour nous. Et ce faisant parce qu’elle paraît juste­ment loin de notre époque, elle nous par­le très fort et très bru­tale­ment d’au­jour­d’hui. 

Pro­pos recueil­lis par Lau­rence Gay et Benoit Vreux

LA MÈRE
de Bertolt Brecht

D’après le roman de Maxime Gor­ki
Une créa­tion du Groupov
Musique :
Hanns Eisler
Texte français :
Mau­rice Reg­naut et André Steiger
(Édi­tions de l’Arche)
Mise en scène :
Jacques Del­cu­vel­lerie
Direc­tion musi­cale :
Geneviève Foc­croulle
Scéno­gra­phie :
Johan Dae­nen
Cos­tumes :
Gre­ta Goiris

Avec : Anne-Marie Loop (la Mère), Mireille Bail­ly, Luc Bru­magne, Denis Clos­set, Thier­ry Dev­illers, Fran­cis D’Os­tu­ni, Luc Dumont, Cathy Galétic, Olivi­er Gourmet, Bernard Graczyk, Gil Lagay, Francine Landrain, Mar­tine Léonet, Hen­ri Monin, Délia Pagliarel­lo, Max Par­fondry, Lara Per­sain, Rosaria Puma, Michel Rat­inckx, Marie-Rose Roland, Mau­rice Sev­enant, François Sikivie, Math­ias Simons, Véronique Stas, François Vin­cen­tel­li 

Piano : Geneviève Foc­croulle
Trompette : Marc Frank­inet
Per­cus­sions : Michel Debrulle
Trom­bone : Michel Mas­sot

Copro­duc­tion Groupov, Théâtre Nation­al de la Com­mu­nauté française de Bel­gique, Cen­tre dra­ma­tique de la Com­mu­nauté française — Théâtre de la Place (Liège), La Mon­naie-De Munt/Opéra Nation­al, Théâtre de la Renais­sance.

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et Jacques Delcuvellerie
Jacques Del­cu­vel­lerie a fondé le Groupov en 1980. Met­teur en scène et théoricien, il enseigne au Con­ser­va­toire de...Plus d'info
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#48
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