Mali : quel théâtre après le Kotéba ?

Mali : quel théâtre après le Kotéba ?

Le 23 Juin 1995

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Théâtre d'Afrique Noire-Couverture du Numéro 48 d'Alternatives ThéâtralesThéâtre d'Afrique Noire-Couverture du Numéro 48 d'Alternatives Théâtrales
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S’IL Y A un domaine où tra­di­tion et moder­nité sont con­fusé­ment définies, c’est bien celui du théâtre au Mali. Car autant le théâtre tra­di­tion­nel a des con­tours et une forme très pré­cis, autant le théâtre d’au­jour­d’hui est impré­cis. Qu’est-ce que le théâtre d’au­jour­d’hui ? Quelles sont les ambi­tions des nom­breuses expéri­ences dans le domaine de La créa­tion théâ­trale ? Noir !
Quand les Bam­bara par­lent de théâtre, ils dis­ent « Nyo­golon » ou « Nyo­gon­don » (ce qui sig­ni­fie « se con­naître les uns les autres »). Ce mot désigne un jeu dra­ma­tique glob­al où dans­es, chants, musique et acro­baties se mêlent. L’élé­ment le plus impor­tant du Nyo­golon est la fête, une fête de ren­con­tre où les acteurs et les spec­ta­teurs jouent tous les rôles, lesquels, pour mieux s’in­ter­chang­er, n’ont pas été défi­nis ou plus exacte­ment sont indéfiniss­ables.
La forme de lan­gage que l’on peut repér­er dans le Nyo­golon et qui cor­re­spondrait au théâtre occi­den­tal est le « Koté­ba », sorte de miroir de la com­mu­nauté qui, pat la parole, met sur la place du vil­lage les maux de la société. Les acteurs du Koté­ba (Koté­dens c’est-àdire les enfants du Koté­ba) maîtrisent la parole et l’hu­mour et surtout les tech­niques de l’im­pro­vi­sa­tion : les per­son­nages mis en scène sont dess­inés par le thème du jeu (le cocu, le marabout trompeur, la femme adultère, etc.). La mise en scène du Koté­ba prévoit tou­jours un meneur de jeu qui est en quelque sorte le met­teur en scène : il est musi­cien, il donne la parole, relance le jeu en intro­duisant un nou­veau thème dès qu’il sent tomber le rythme du pre­mier.
Le Koté­ba se déroule en cer­cles dont le point de départ est le meneur de jeu. Les musi­ciens, en file indi­enne der­rière lui, sont suiv­is des Koté­dens. Les spec­ta­teurs arrivés sur la place par petits groupes se met­tent dans la file. Le meneur de jeu ani­me cette foule en tour­nant en rond, décrivant un pre­mier cer­cle avec der­rière lui tous les musi­ciens. Un deux­ième cer­cle est for­mé par les Koté­dens. Un, deux, ou trois cer­cles selon le nom­bre de spec­ta­teurs peu­vent se for­mer. Ces trois corps (musi­ciens, Koté­dens, spec­ta­teurs) s’in­stal­lent et occu­pent la scène en cer­cles con­fig­u­rant une sorte d’escargot (Koté­ba veut dire en bam­bara « le grand escar­got » ).
Cette mise en scène du Koté­ba est en fait un jeu où comé­di­ens et spec­ta­teurs, c’est-à-dire « espace de jeu » et « espace de regard » sont très proches voire con­fon­dus. La règle évi­dente du jeu est, dès lors, une impro­vi­sa­tion per­ma­nente des uns et des autres : le Koté­den provoque le spec­ta­teur qui, à son tour, aigu­il­lonne le comé­di­en. Le tem­po de l’action dra­ma­tique est soutenu par les chants et les dans­es des musi­ciens.
Dans le Koté­ba, il n’y a ni texte ni décor théâ­tral. Les sit­u­a­tions jouées sur la place du vil­lage (scène publique de toutes Les fêtes) dans leur fugac­ité retra­cent des moments réels et peignent des per­son­nes con­nues, présentes ou absentes, tout en dédrama­ti­sant les antag­o­nismes et les con­flits : la « vic­time » et les autres mem­bres de la société sont remis face à face et la déri­sion est poussée à son parox­ysme. Le Koté­ba est un théâtre de « retour au vécu » non pas pour prévoir l’avenir, mais pour réc­on­cili­er le présent et Le passé et créer le spec­ta­cle.
Cou­tume par laque­lle la vie est en quelque sorte con­stam­ment revécue, le Koté­ba n’est plus une pra­tique sys­té­ma­tique dans le milieu bam­bara vil­la­geois. Par con­tre, dans les villes, des spec­ta­cles de théâtre s’en inspirent et Le pub­lic citadin le décou­vre.
Au cours des quinze dernières années, le théâtre d’État (le Groupe dra­ma­tique nation­al con­sti­tué de comé­di­ens fonc­tion­naires salariés et rel­e­vant du min­istère de la cul­ture) mais aus­si le théâtre privé, se sont « ressour­cés » au Koté­ba. Les toutes pre­mières créa­tions du Groupe dra­ma­tique nation­al et celles des « Nyo­golon » de l’as­so­ci­a­tion TRACT ont eu un bon accueil auprès du pub­lic pop­u­laire des villes d’abord, puis des vil­lages.
Ce pub­lic lassé des pièces trop « poli­tiques », trop bavardes et peu drôles des bien­nales artis­tiques en rede­mandait pour rire, puisque c’est drôle et parce qu’il com­pre­nait puisque les spec­ta­cles étaient joués en bam­bara. Nous fûmes tous momen­tané­ment prokoté­ba. L’en­t­hou­si­asme était général.
Mais si, dans le Koté­ba, tra­di­tion­nelle­ment, le décor se con­fond avec le lieu de jeu, en l’oc­cur­rence, la place du vil­lage (place réelle de fête avec des murs réels, des arbres réels etc..), ailleurs, dans les nou­veaux spec­ta­cles de Koté­ba, un nom­bre impor­tant d’ac­ces­soires surim­posent un décor au lieu. Et cela donne des spec­ta­cles d’un réal­isme inesthé­tique sou­vent ennuyeux.
Si l’idée du retour au Koté­ba a été une bonne chose sur le plan de l’investigation d’un pat­ri­moine théâ­tral ancien, son exploita­tion par les uns et les autres man­quait d’imag­i­na­tion. D’un spec­ta­cle à l’autre l’am­bi­tion véri­ta­ble­ment théâ­trale s’est émoussée, l’imag­i­na­tion est tombée en panne.

Les Nyo­golon, une expéri­ence ou une impasse ? 

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Écrit par Amadou Chab Touré
Ancien directeur adjoint du Théâtre Nation­al du Mali, Amadou Chab Touré est le directeur de la com­pag­nie « Con­ver­gence »...Plus d'info
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