Sony Labou Tansi, la vie à bras-le-corps

Sony Labou Tansi, la vie à bras-le-corps

Le 19 Juin 1995

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Théâtre d'Afrique Noire-Couverture du Numéro 48 d'Alternatives ThéâtralesThéâtre d'Afrique Noire-Couverture du Numéro 48 d'Alternatives Théâtrales
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TOUTE NAISSANCE est liée à la théâ­tral­ité. Céré­mo­ni­al et rit­uel des gestes, des dates, des émo­tions et des joies exprimées par les masques des pre­miers vis­ages ; ceux des par­ents, des amis et futurs enne­mis et d’un monde d’ob­jets qui s’ou­vre à l’enfant. Le lieu de nais­sance lui-même est déjà une his­toire en soi. Une his­toire comme celle de Sony Labou Tan­si, placée d’emblée au cœur d’une Afrique con­tem­po­raine et bal­bu­tiante.
Né le 5 juin 1947 à Kimwan­za, au Zaïre, de père zaïrois et de mère con­go­laise, Sony Labou Tan­si y fait ses études pri­maires, mais très vite son oncle l’amène au Con­go où il con­tin­ue ses études en français, car au Con­go belge on le sco­lar­i­sait en kikon­go. Là se trou­ve peut-être le fer­ment de ce qui devien­dra sa pierre référen­tielle : la cul­ture kon­go. « Je suis Kon­go, je par­le kon­go, j’écris en français. Ma kon­golité ne peut pas s’ex­primer en dehors de cette cru­elle réal­ité »1.
Cul­ture qui le ramène à la terre. Pro­fesseur et cul­ti­va­teur, il se lie d’ami­tié avec des paysans qui lui appren­dront à cul­tiv­er cette terre, à la con­naître, lui qui aura vécu sa car­rière de pro­fesseur d’anglais dans des villes reculées du pays. Il fait de sa mai­son à Makélékélé une généreuse forêt, labyrinthe de plantes divers­es ramenées de ses nom­breux voy­ages autour du monde. Épris d’une terre qu’il souhaite arroser chaque matin d’un peu plus d’amour, Sony dit : « Ce jardin est ma fenêtre sur l’univers. Elle est ouverte de jour comme de nuit. Que vous dire d’autre qui ne soit men­songe ou coquet­terie ? La nature aus­si doit avoir sa chaise à la table de la démoc­ra­tie. Nous avons voulu la domin­er. Elle est par essence indom­inable. J’ai eu tous mes diplômes dans les bras de la terre et des plantes ».2 Plus tard, l’un de ses per­son­nages dans UNE VIE EN ARBRE ET CHARS… BOND3, un vieil homme, dira : « Cet arbre est cap­i­tal pour l’e­spèce humaine dans sa totale glob­al­ité. Il est donc classé et déclaré pat­ri­moine incon­testable, inal­ién­able et défini­tif du genre humain dans sa glob­al­ité. Voilà pourquoi, à compter de ce jour, il est créé, insti­tué et instau­ré sur les con­trées de Bamilonne, Gra­bani et Souy­ate, une réserve dénom­mée Vil­lage Plané­taire ». Ce texte est un hymne à la lib­erté de la nature. Le vieil homme défendra le dernier arbre encore présent sur la terre au prix de sa vie. Mais il ne pour­ra sauver les humains de la déchéance, car « notre monde qui, pour des raisons haute­ment louables, s’est tourné vers une civil­i­sa­tion du min­erai et de l’animal, vit de façon trop grossière, le dos tourné au végé­tal ; on y oublie trop savam­ment que la plante est hal­lu­cin­e­ment le ven­tre exact de notre planète et de la vie. Mais ces choses pour les dire, il faut bien plus qu’un théâtre. Quelque chose qui aille plus loin que le cœur de l’homme et tout à gauche de la dimen­sion du jeu » 4.
Humain, jusqu’au bout de la plume, com­ment Sony pou­vait-il demeur­er indif­férent à toutes les injus­tices parsemées dans cette Afrique aux révo­lu­tions authen­tifiées par toutes sortes de dic­ta­teurs ? C’est, comme l’indique Eric Faye, son érupri­on anti-utopique.5 Il se met alors à tra­quer l’innommable au bout de chaque mot, de chaque verbe, haut et fort, écrivant sou­vent avec le sang de mil­liers de per­son­nes inno­centes, broyées par ces révo­lu­tions promet­tant de sauver l’homme pour mieux le manger, con­stante mise-en-mythe de la réal­ité. Comme il aimerait que la beauté par son inutil­ité écrase la laideur de la rai­son !
L’homme s’insurge face à ces poli­tiques can­ni­bales, l’écrivain fustige : 

« Enfin si les mots veu­lent
s’ils veu­lent
pren­dre ven­tre
et chauss­er mon cœur
au temps de la peur
si les mots veu­lent
sur la carte du sang
rejouer l’e­spoir enfin
Je choisir­ai cette haine
qui danse pour régler
leur compte aux morts
vivant vie de mot
comme jadis
mais maître à danser cette haine
et jeu de mots
et jeu de peau
et jeu de noms
mais cœur passe ».6

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Écrit par Caya Makhele
Écrivain et met­teur en scène con­go­lais, Caya Makhele a mon­té plusieurs spec­ta­cles en France où il réside depuis...Plus d'info
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