L’oreille voit

L’oreille voit

Entretien avec Gaston Compère

Le 10 Oct 1995

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Werner Schwab-Couverture du Numéro 49 d'Alternatives ThéâtralesWerner Schwab-Couverture du Numéro 49 d'Alternatives Théâtrales
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GASTON COMPÈRE : C’est un peu par acci­dent que j’en suis venu à l’écri­t­ure théâ­trale. Il a été un temps où j’é­tais pas­sion­né par le dia­logue romanesque. J’en ai cher­ché la spé­ci­ficité. Je vous assure, cela peut vous don­ner un fameux tin­touin. La spé­ci­ficité, c’est tout un prob­lème. Pour bien faire, il faut des points de repère. Je n’avais pas de points de repère. Je me suis dit : il y a l’écri­t­ure théâ­trale, ça a l’air plus clair de ce côté-là, si j’al­lais y voir ? J’y suis allé, et, je m’en suis aperçu tout de suite, la sit­u­a­tion était incom­pa­ra­ble­ment plus nette : le dia­logue théâ­tral est écrit pour un pub­lic qui vous·ouvre ses oreilles ; il est de pre­mière néces­sité de le touch­er directe­ment, sous peine de sanc­tion immé­di­ate. L’écri­t­ure doit porter, comme on dit, et son effi­cac­ité peut se con­trôler à vue d’œil.

C’est de cette con­fronta­tion entre deux espèces d’écri­t­ure que m’est venu le désir d’écrire pour le théâtre, – écri­t­ure que je n’avais jamais pra­tiquée. C’est net­te­ment plus amu­sant que l’écri­t­ure romanesque. Le lecteur de roman, et, en l’oc­cur­rence, de dia­logues romanesques est dans un tout autre état d’e­sprit et de con­texte que celui qui, au théâtre, écoute des acteurs. Bon. J’ai donc écrit des dia­logues, que j’imag­i­nais pou­voir être portés à la scène. Je ne m’imag­i­nais jamais, à l’époque où j’ai écrit les pre­miers d’en­tr’eux, qu’ils pour­raient un jour être pronon­cés sur des tréteaux. Le seul plaisir de les écrire me suff­i­sait ample­ment. C’est un peu par hasard que j’en suis venu à rassem­bler tous les frag­ments d’un dia­logue pour en sor­tir une pièce. Et voilà, l’aven­ture a démar­ré – non point con­tre mon gré, certes, mais sans que j’en pense vrai­ment quelque chose de sérieux.

En vérité, à cette époque, je n’avais d’autre ambi­tion que d’écrire des romans, et de le faire en quelque sorte d’une façon expéri­men­tale. Ce par quoi ce genre de tra­vail m’in­téres­sait était qu’il pou­vait se faire à dif­férents niveaux. Racon­ter pour racon­ter ne m’in­téres­sait pas. Il fal­lait pou­voir déploy­er le roman comme un éven­tail. Et je dois dire que Rabelais m’avait été un excel­lent pro­fesseur. Toute l’œu­vre se présente comme sus­cep­ti­ble d’in­ter­pré­ta­tions les plus divers­es. La pre­mière lec­ture d’un roman a son impor­tance sans doute, mais une impor­tance lim­itée. Ce n’est pas le cas pour une pièce de théâtre : l’ac­tion est incom­pa­ra­ble­ment plus directe ; il vous faut être directe­ment effi­cace. Le pub­lic n’achète pas son bil­let pour se trou­ver devant des points d’in­ter­ro­ga­tion. Après le spec­ta­cle, on peut se per­me­t­tre de réfléchir, mais c’est là un tra­vail per­son­nel. Le roman vous est dans les mains et pro­pose ses énigmes plus ou moins énig­ma­tiques. Mais le théâtre… Je crois pou­voir affirmer que le théâtre n’a rien à voir avec la lit­téra­ture. Le théâtre n’est pas un texte, mais un spec­ta­cle.

Au début, quand j’écrivais « expéri­men­tale­ment » pour le théâtre et pour moi-même, je pen­sais au pub­lic, et à un pub­lic qui écoute : en con­séquence, l’écri­t­ure ne se fai­sait pas de la même manière que lorsque j’écrivais un roman. Quand j’écris un roman, jamais le pub­lic ne m’est présent à l’e­sprit. Je ne dit-ai pas que je m’en fiche, non ; je n’y pense pas, tout sim­ple­ment. Com­prenez, quand il s’ag­it d’écri­t­ure théâ­trale, que j’aie pu pren­dre plaisir à écrire pour un pub­lic qui pour­ra percevoir le texte que j’écris et réa­gir dans l’in­stant.

Peu à peu je me suis mis à écrire des pièces, et c’é­taient tou­jours des pièces plus ou moins tor­dues. Elles étaient là devant moi, sur ma table, jamais ter­minées, tou­jours prêtes à être remaniées, et sans espoir jamais d’être tout à fait arrêtées. Les cir­con­stances d’une représen­ta­tion pou­vaient m’amen­er à les refon­dre com­plète­ment. Jamais de textes aboutis. Mais quand je sen­tais qu’ils pou­vaient marcher pour un pub­lic, j’é­tais con­tent, ni plus ni moins.

Et voilà qu’un jour, une représen­ta­tion s’est pro­filée. Le respon­s­able en était Roger Domani, qui dirigeait le Théâtre de Poche à Brux­elles, grand décou­vreur de textes, et je dis ceci non pas pour mon texte à moi, mais parce que c’est jus­tice de le dire. Il a lu un de mes textes, puis est venu me trou­ver et m’a dit : « On va faire quelque chose avec ça : pas d’ob­jec­tion ? ». La mise au point du texte n’a pas été faite par moi, mais par François Mestre, qui a repris la pièce, l’a toute retra­vail­lée à sa manière, a fait un tra­vail, mon Dieu, intéres­sant mais qui n’avait pas grand­ chose à voir avec le mien et avec mon monde à moi. Mais je dois dire que je n’avais qu’à m’in­clin­er car, et c’é­tait éton­nant, il n’avait pas, au fond, telle­ment changé de choses. C’é­tait là une expéri­ence amu­sante. Pour un soli­taire comme moi, tou­jours enfer­mé dans son coin avec ses bouquins et ses textes, tomber, tout à coup, dans un monde vibrant, qui remue, avec ses excen­tric­ités, ses égoïsmes, ses générosités, et caetera, c’é­tait vrai­ment une belle et remar­quable expéri­ence. Et j’ai pu entr­er en con­tact avec un tas de gens dont la plu­part étaient vrai­ment sym­pa­thiques.

Pietro Pizzuti : Est-ce l’aspect arti­sanal de votre pre­mière approche du théâtre qui main­tient vive en vous l’im­age men­tale d’un théâtre inabouti ? Seriez-vous à le remet­tre sur le méti­er avec les arti­sans du pas­sage à la scène ?

G. C.: Oh, mais tout de suite, et avec de la grat­i­tude au cœur. Ce temps qui passe si vite, avez-vous remar­qué comme il se fait long lorsque l’en­nui vous touche ? En vérité, j’ai tou­jours pen­sé tra­vailler avec un met­teur en scène. Un met­teur en scène est un homme de ter­rain, moi je ne suis qu’un type qui rêve et qui bre­douille dans la nuée. Vous avez déjà sans doute pu le con­stater, comme moi, qu’il y a des auteurs qui, dès qu’on touche à une vir­gule de leur texte cri­ent comme des putois et se per­me­t­tent une crise de nerfs. Je ne suis pas de ces gens-là — oh vrai­ment pas ! Ce serait d’ailleurs stu­pide si le texte est un texte écrit pour la scène. Ce texte n’est qu’un matéri­au, et il faut le faire vivre. Bien sûr, l’op­tion fon­da­men­tale de l’au­teur est cap­i­tale. Au fond, le patron, c’est lui. Il a droit au respect. On n’a pas à lui faire dire des choses qu’il n’a jamais dites. C’est une expéri­ence que j’ai vécue avec mon mal­heureux Maeter­linck. Toutes les insan­ités qu’on a pu dire à son sujet et au sujet de ses textes ! Et ce n’est pas fini, hélas !

Tenez, en ce qui me regarde, je suis à peu près dans la même sit­u­a­tion lorsque j’écris de la musique. Quand je com­pose, je n’écris pas la moin­dre indi­ca­tion. Et si je le fais, c’est si rarement qu’on n’a guère à en tenir compte. De la sorte, chaque fois que le morceau est joué, il est joué dif­férem­ment, et c’est tou­jours intéres­sant à écouter. Évidem­ment les notes sont en quelque sorte les gar­di­ennes de la par­ti­tion. Les inter­prètes ne peu­vent pas se per­me­t­tre n’im­porte quoi. Mais tout de même, il est bon que l’on se mette dans la tête que l’avis du com­pos­i­teur n’a en soi pas plus d’im­por­tance que celui de l’in­ter­prète. Que le com­pos­i­teur tra­vaille sa par­ti­tion à sa guise. Mais une fois livrée aux inter­prètes, qu’il ait assez de bon sens pour se dire qu’elle ne lui appar­tient plus – ou si peu.

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Gaston Compère
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