Serge Kribus, entre Witz et violence

Serge Kribus, entre Witz et violence

Le 8 Oct 1995

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Werner Schwab-Couverture du Numéro 49 d'Alternatives ThéâtralesWerner Schwab-Couverture du Numéro 49 d'Alternatives Théâtrales
49
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ARLOC, la pre­mière pièce de Serge Kribus, tient à la fois du con­te philosophique et du roman d’ap­pren­tis­sage. Le jeune homme qui donne son nom au titre de la pièce, est orig­i­naire d’Ec­clatam­bour, un pays imag­i­naire, rav­agé par la guerre, la vio­lence et la mort. Respec­tant les dernières volon­tés de son grand-père, et grâce à la com­plic­ité d’un employé de l’aéro­port, il s’ex­ile dans les bagages d’un cou­ple de touristes. Com­menceront alors, à Brux­elles, les péripéties d’un voy­age ini­ti­a­tique dans le quo­ti­di­en moyen de l’Eu­rope occi­den­tale. C’est donc avec un regard où la naïveté se mêle à l’é­ton­nement cri­tique et à l’in­ter­ro­ga­tion dis­tan­ciée qu’Ar­loc, comme ses loin­tains ancêtres du XVIIIe siè­cle – Usbek, Micromé­gas ou Can­dide – con­fronte notre cul­ture à celle, fic­tive, de son pays d’o­rig­ine.

Au début était le conte

Si dia­loguée qu’elle soit dans sa poly­phonie foi­son­nante, ARLOC s’ap­par­ente mal­gré tout aux dra­matur­gies du réc­it par cette mis­sion dont le pro­tag­o­niste a été investi à tra­vers le dernier souf­fle de son grand-père Her­schlick – Hen­ri en yid­dish – de racon­ter au monde ce qui se passe à Ecclatam­bour, et de témoign­er aus­si de la cul­ture et des mytholo­gies de ce pays. D’où la belle récur­rence poé­tique, au fil de la pièce, d’une ver­sion sin­gulière de la genèse du monde, où la rhé­torique biblique le dis­pute con­fusé­ment à l’art naïf du gri­ot : « Il y a bien longtemps flot­tait dans l’air un immense tam­bour com­plète­ment rond, à la peau belle et ten­due… Le vent pous­sait sans cesse le tam­bour vers le soleil… [et puis] BOUM… La peau du tam­bour explosa et vola en morceaux, le soleil lui­ même eut peur du choc ; un court moment, il écar­ta ses rayons ; les éclats de peau étaient bien retombés sur le tam­bour, mais ils étaient devenus des hommes. Voilà com­ment nous sommes nés d’un son » (AHLOC, Actes Sud Papiers, p.11 – 12).

Comme dans l’épopée, ce mythe fon­da­teur dont Arloc est désor­mais le déposi­taire et le porte-parole sera repris dans la pièce comme un leit­mo­tiv, avec toutes les vari­antes et les lib­ertés d’in­ter­pré­ta­tion qu’au­torise la trans­mis­sion orale. Il s’en­richi­ra de quelques épisodes ultérieurs, paraboles tan­tôt limpi­des tan­tôt sibyllines con­cer­nant la genèse des oiseaux mais aus­si l’o­rig­ine du lan­gage, de la danse, de la peur, du som­meil. Autant de motifs qui, par petites touch­es, rap­pel­lent le style fausse­ment naïf des grandes utopies philosophiques de Jean-Jacques Rousseau sur l’o­rig­ine des langues ou celle de l’iné­gal­ité par­mi les hommes.

Ces ques­tions philosophiques majeures de l’o­rig­ine et de la genèse sem­blent d’ailleurs à ce point préoc­cu­per l’au­teur d’AR­LOC qu’on les retrou­ve sous une autre forme dans une autre pièce à ce jour inédite, CAGOUL, dont le héros éponyme est encore plus imag­i­naire que le jeune exilé d’Ec­clatam­bour puisqu’il s’ag­it d’un « songe », être volatile et invis­i­ble qui tient tout à la fois du bon petit génie aérien et du lutin jus­tici­er et redresseur de torts. Le jour de son anniver­saire – il a trois cents ans ! –, il est témoin d’une scène de rack­et et de pas­sage à tabac dans un ter­rain vague et vole au sec­ours de la vic­time, le petit Albert, un gamin aban­don­né dans un home d’en­fants. C’est à lui que Cagoul racon­te, pour le dis­traire, une nou­velle inter­pré­ta­tion tout aus­si fan­tai­siste des orig­ines du monde et des songes : « Au début, il n’y avait rien, enfin rien, presque rien. De la rage, de l’or­age, du vent et du soufre. Les songes étaient assis au bord des nuits ou allongés le long des jours… Un jour, un songe s’est penché. Un peu trop. Il est tombé, s’est dis­sout. .. Après la fameuse chute, la rage avait saisi l’or­age, l’or­age le soufre, et le soufre le vent, et tout a com­mencé à bouil­lir, à bouger. Les songes en avaient le souf­fle coupé. Ils se pen­chaient à corps per­du pour regarder, mais comme ils se pen­chaient eux aus­si ils sont tombés, par dizaines, par cen­taines, pat· mil­liers. Alors la terre a gon­flé, et l’air et l’eau, tout bougeait, les houes, les métaux, les erreurs, les essais, les chimies… »

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Serge Kribus
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Yannic Mancel
Après l’avoir été au Théâtre National de Strasbourg puis au Théâtre National de Belgique, Yannic...Plus d'info
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