Si je te coupe la carotide, t’est mort…

Si je te coupe la carotide, t’est mort…

Entretien avec Michel Dezoteux

Le 16 Oct 1995
Philippe Jeusette. Janine Godinas, Alexandre Trocki dans EXCÉDENT DE POIDS, mise en scène de Michel Dezoteux, février 95. Photo Danièle Pierre.
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Article publié pour le numéro
Werner Schwab-Couverture du Numéro 49 d'Alternatives ThéâtralesWerner Schwab-Couverture du Numéro 49 d'Alternatives Théâtrales
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MIKE SENS : Lorsque tu as décou­vert Wern­er Schwab, tu as très vite décidé de faire traduire deux de ses pièces et d’en met­tre trois en scène. Com­ment expliques-tu ce « coup de foudre » ? Te sens-tu très proche de l’u­nivers de Wern­er Schwab et de lui en tant qu’in­di­vidu ?

Michel Dezoteux : Au point de vue des indi­vidus je me sens très dif­férent de ce que je sais de lui. C’est dans son univers théâ­tral que je me retrou­ve entière­ment. Je suis une voie romanesque, com­plexe, intel­lectuelle, et une voie pop­u­laire, immé­di­ate, et lui, il arrive à faire vivre les deux en même temps : la con­struc­tion intel­lectuelle, l’ab­strac­tion, à l’in­térieur d’un théâtre pop­u­laire très sim­ple.

Sa vie, c’est autre chose. Je ne suis pas autrichien, je suis quelqu’un de beau­coup plus banal que lui. Je n’ai pas envie de mourir, quoi. Je sais que je vais mourir, mais je n’ai pas envie de mourir. Plus tard, peut- être… Tan­dis que lui, j’ai vrai­ment l’im­pres­sion qu’il avait envie de mourir.

M. S.: Pour­tant, il y a beau­coup d’hu­mour dans ses pièces.

M. D.: C’est l’écri­t­ure. Le plaisir de l’écri­t­ure. Si tu sai­sis la moti­va­tion de l’écri­t­ure chez les grands écrivains, il en sort tou­jours une forme d’hu­mour. Chez Shake­speare, par exem­ple, c’est évi­dent. On con­sid­ère ROMÉO ET JULIETTE comme une pièce roman­tique, mais il y a un humour fou dans ce texte. Shake­speare a une façon de regarder le phénomène amoureux qui est tout à fait humoris­tique. Bien sûr, ça ne veut pas dire qu’il faille en faire une B.D.
C’est très rare les grands écrivains qui pren­nent leur sujet au pied de la let­tre. L’écri­t­ure est sou­vent de l’or­dre du jeu, rarement elle se con­tente d’un exposé en forme de leçon. C’est ce que j’es­saie de faire : ren­tr­er dans l’écri­t­ure et ne pas me con­tenter de la super­fi­cial­ité anec­do­tique du texte. Le texte n’est pas le texte. Le texte est con­nec­té à la parole et n’est pas un résul­tat mais un proces­sus qui va vers… C’est comme jouer.

M. S.: Que peut apporter Schwab au théâtre fran­coph­o­ne ?

M. D.: Lui ren­dre son corps. Creuser la manière de dire les choses, plutôt que seule­ment les dire en rap­port avec les sit­u­a­tions dra­ma­tiques et les per­son­nages. Chez lui, les per­son­nages sont faits de matière lin­guis­tique, ce qui est très rare. Ce n’est pas du tout un théâtre de cul­ture, mais un théâtre d’im­mé­di­ateté, qui per­met de dire le réel. Les trois per­son­nages des PRÉSIDENTES, on les con­naît, on les a déjà vues, et on prend plaisir à les retrou­ver sur scène où elles parais­sent comme jamais.

Chez Schwab, il y a une vérité con­crète de la langue ; jamais de jeux de mots abstraits ou intel­lectuels. Ça ne triche jamais, ce n’est jamais arti­fi­ciel. Ce rap­port aux mots est excep­tion­nel et peu pro­duit par la langue française. Parce que nous, les fran­coph­o­nes, avons un rap­port cul­turel à notre langue, de l’or­dre de l’ab­strac­tion. C’est une langue qui évolue très peu, qui est un peu figée, qui autorise peu les agglomérats de mots et de sons, qui accepte mal les accents. C’est un peu comme s’il n’y avait qu’une seule façon de par­ler le français. Très sou­vent, on est accusé de folk­lorisme si on ose employ­er un accent et accentuer les phras­es ; c’est très peu recon­nu comme un sys­tème d’ex­pres­siv­ité utile. Et là, Schwab pose la ques­tion très con­crète­ment car chez lui, tout est dans la langue, tout est dans la manière d’a­gencer les mots. Je crois que les Belges ont un rap­port plus cor­porel à la langue que les Français. Pour les Belges, le français est une langue apprise, même s’ils sont fran­coph­o­nes d’o­rig­ine. On n’a pas un rap­port « sat­is­fait » à la langue. On ne pense pas que la langue suff­ise, notam­ment à l’ex­pres­siv­ité au théâtre, et dans la vie aus­si je crois. Même si on par­le bien le français, même si on l’écrit bien, s’il y a de grands écrivains, de grands acteurs, ceux-ci n’ont pas la même com­plai­sance par rap­port à la langue.

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Michel Dezoteux
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