« Ce qui m’intéresse, c’est ce qu’il y a autour du théâtre »

Entretien
Opéra
Théâtre

« Ce qui m’intéresse, c’est ce qu’il y a autour du théâtre »

Entretien avec Christoph Marthaler

Le 11 Mai 2013
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 117-118 - Utopies contemporaines
117 – 118

JEAN-FRANÇOIS PERRIER : Pourquoi avoir accep­té d’être artiste asso­cié en même temps qu’Olivier Cadiot ?

Christoph Marthaler : Je n’en ai aucune idée. À ce moment-là, je ne savais pas encore qu’Olivier Cadiot serait aus­si artiste asso­cié. Je crois que c’est par sym­pa­thie pour Hort­ense Archam­bault et Vin­cent Bau­driller. Cela m’a sur­pris moi-même, car je n’aime pas être trop exposé. Lorsqu’on m’a annon­cé qu’il y avait un autre artiste asso­cié et que c’était un écrivain, je me suis écrié : « Oh mon Dieu ! Et si je ne l’aime pas, cet écrivain ? » Je ne con­nais­sais pas l’œuvre d’Olivier Cadiot, mais dès les pre­mières min­utes de notre ren­con­tre, ça a été mer­veilleux. Aujourd’hui, je peux dire que je suis heureux d’être artiste asso­cié avec lui, d’autant plus qu’il par­le très bien français et moi très mal. Nous sommes très dif­férents mais, artis­tique­ment, nous avons les mêmes idées. Il écrit beau­coup de textes alors que j’en utilise moi-même très peu dans mes spec­ta­cles, mais nous avons en com­mun d’aimer la vie avant le théâtre ou la lit­téra­ture. Cer­tains font du théâtre parce qu’ils n’aiment que cela alors que moi, ce qui m’intéresse, c’est ce qu’il y a autour du théâtre. Je ne fais pas le même théâtre à Paris, à Berlin, à Zurich ou à Avi­gnon, parce que les villes sont dif­férentes, la façon de vivre est dif­férente, l’histoire est dif­férente. Je ne vis dans les théâtres que pen­dant les répéti­tions. Dès qu’elles sont achevées, j’en sors très vite. Je ne peux pas faire tra­vailler une équipe sans savoir
ce qu’il y a autour du lieu où je tra­vaille. Avec les comé­di­ens, nous pas­sons beau­coup de temps ensem­ble à l’extérieur et nous par­lons de notre vie hors du théâtre. Par­fois, je suis stupé­fait de con­stater que des acteurs ou des met­teurs en scène n’ont pas de vie hors du théâtre et qu’ils ne peu­vent par­ler que de théâtre. Leur vie per­son­nelle est réduite, alors par­fois, ils com­pensent
en en faisant beau­coup sur le plateau… Per­son­nelle­ment, je pense qu’il faut se réduire sur scène, mais pas dans la vie. Je viens de voir à la télévi­sion un spec­ta­cle fait par deux comé­di­ens à par­tir de la cor­re­spon­dance entre Thomas Bern­hardt et son édi­teur. Ils fai­saient de « l’art dra­ma­tique » avec ces textes, alors que Thomas Bern­hardt et son édi­teur étaient des gens très secs, très directs, sans aucune emphase dra­ma­tique.

J.-F. P. : Qu’est-ce que l’expression « artiste asso­cié » représen­tait pour vous ? Qu’imaginiez-vous comme rôle ?

C. M. : J’ai tout de suite refusé d’imaginer quoi que ce soit et j’ai atten­du de voir. Je ne sais pas encore vrai­ment ce que cela recou­vre. Je ne fais pas le pro­gramme, heureuse­ment, mais je suis présent aux côtés d’Hortense Archam­bault et de Vin­cent Bau­driller. Je crois avoir eu une influ­ence dans le choix de cer­tains spec­ta­cles qui vont être présen­tés, des spec­ta­cles comme ceux d’Alain Pla­tel, Anne Tere­sa De Keers­maek­er, Zim­mer­mann & de Per­rot ou encore Philippe Quesne que j’admire beau­coup. Je ne sais pas si ma mis­sion d’artiste asso­cié con­stituera une expéri­ence pour le pub­lic, mais c’est cer­taine­ment une expéri­ence éton­nante pour moi.

J.-F. P. : De quoi par­lez-vous avec les directeurs du Fes­ti­val pen­dant vos ren­con­tres ?

C. M. : Trè s peu de théâtre, car je préfère par­ler dans le théâtre plutôt que sur le théâtre. De la même façon, je me rends peu au théâtre puisque je le pra­tique. Comme je l’ai déjà dit, je n’aime pas trop quand les acteurs jouent vrai­ment, jouent beau­coup, en dis­ant leurs textes car alors, je ne le com­prends plus. Que ce soit Shake­speare, Ibsen ou Tchekhov, j’ai besoin d’entendre le texte et non pas d’un comé­di­en exhi­bi­tion­niste qui m’empêche d’écouter. Je me trompe peut-être, mais j’aime les comé­di­ens qui sont nor­maux sur scène, quelle que soit leur nor­mal­ité. Il faut que les comé­di­ens jouent hors du texte comme le pen­sait Ödön von Horváth que j’admire énor­mé­ment. Un théâtre où un comé­di­en vient sur scène pour dire son texte, en le sur­jouant par­fois et puis s’en va, m’intéresse peu. J’ai tou­jours été sen­si­ble au tra­vail de Fass­binder avec les acteurs, comme à celui de Kau­ris­mä­ki. On me dis­ait tou­jours que ses films ressem­blaient à mes spec­ta­cles, alors je suis allé voir LA VIE DE BOHÊME et je me sou­viens encore d’une scène où un acteur dit à une actrice : « Je t’aime », qu’elle lui répond : « Je t’aime » et qu’ils se sépar­ent. C’est superbe. D’ailleurs, l’actrice va jouer avec nous cet été, c’est Eve­lyne Didi. À vrai dire, je suis plutôt un homme d’images que de textes et c’est peut-être pour cela que je mets en scène peu de pièces du réper­toire, mal­gré mon admi­ra­tion pour cer­tains auteurs dra­ma­tiques tels Ödön von Horváth, qui a un lan­gage pré­cis et effi­cace, avec des phras­es d’une grande clarté.

J.-F. P. : Échangez-vous beau­coup avec Olivi­er Cadiot ?

C. M. : Bien sûr. Nous avions même le pro­jet un peu fou de faire un fes­ti­val un peu hors du Fes­ti­val, qui jouerait avec le hasard, qui sor­ti­rait des cadres du Fes­ti­val. Nous voulions aller sur les places, dans les recoins, mon­ter un gradin pour sept spec­ta­teurs, jouer dans les garages, etc. Tout cela était trop com­pliqué, mais j’espère que l’esprit de toutes ces rêver­ies irriguera quand même le Fes­ti­val. Ce que j’apprécie par ailleurs, c’est le plaisir de rester à Avi­gnon tout le mois de juil­let, alors qu’habituellement dans les fes­ti­vals, on vient, on joue deux jours ou trois et on repart. Même si je préfère Avi­gnon l’hiver, surtout quand il n’y a pas les gradins dans la Cour (j’avais d’ailleurs pro­posé à Vin­cent de faire le Fes­ti­val en hiv­er), je suis heureux d’y venir trois semaines cet été et de partager cette aven­ture, très nou­velle pour moi, avec tous ceux qui y par­ticipent.

Extrait d’un entre­tien réal­isé pour le Fes­ti­val d’Avignon en avril 2010.

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Écrit par Jean-François Perrier
Jean-François Per­ri­er est agrégé d’histoire et comé­di­en pour le théâtre et le ciné­ma. Il a débuté avec la...Plus d'info
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