Du Mare Nostrum aux terres hainuyères : la tragédie des migrants

Du Mare Nostrum aux terres hainuyères : la tragédie des migrants

Entretien avec Marco Martinelli et Ermanna Montanari

Le 17 Jan 2015
Enzo, Lorenzo Mancuso et Alessandro Renda dans RUMORE DI ACQUE de Marco Martinelli, scénographie Ermanna Montanari. Photo Luca Bolognese.
Enzo, Lorenzo Mancuso et Alessandro Renda dans RUMORE DI ACQUE de Marco Martinelli, scénographie Ermanna Montanari. Photo Luca Bolognese.

A

rticle réservé aux abonné·es
Enzo, Lorenzo Mancuso et Alessandro Renda dans RUMORE DI ACQUE de Marco Martinelli, scénographie Ermanna Montanari. Photo Luca Bolognese.
Enzo, Lorenzo Mancuso et Alessandro Renda dans RUMORE DI ACQUE de Marco Martinelli, scénographie Ermanna Montanari. Photo Luca Bolognese.
Article publié pour le numéro
124 – 125
Article fraîchement numérisée
Cet article rejoint tout juste nos archives. Notre équipe le relit actuellement pour vous offrir la même qualité que nos éditions papier. Pour soutenir ce travail minutieux, offrez-nous un café ☕

NOUS AVONS ren­con­tré Mar­co Mar­tinel­li et Erman­na Mon­ta­nari au début de la créa­tion belge de RUMORE DI ACQUE (BRUITS D’EAUX, texte français de Jean-Paul Man­ga­naro), un mono­logue inspiré par la tragédie des migrants en Méditer­ranée, écrit par Mar­co Mar­tinel­li. L’au­teur et met­teur en scène ital­ien et sa com­pagne, extra­or­di­naire actrice et cofon­da­trice avec lui du Teatro delle Albe (Ravenne), devaient ren­con­tr­er six comé­di­ens sus­cep­ti­bles d’in­ter­préter le rôle du général comp­tant les morts per­dus en mer. C’est Karim Bar­ras qui sera choisi au final.

Après l’en­tre­tien nous les avons suiv­is au Théâtre Roy­al de Mons pour une répéti­tion avec les nom­breux citoyens mon­tois prêts à s’in­ve­stir dans cette Hérésie du bon­heur de Maïakovs­ki, remod­elée aux tech­niques de leur « non scuo­la » (non école).

Lau­rence Van Goc­them : Vous mon­tez BRUITS D’EAUX dans une nou­velle ver­sion française, après l’avoir joué en Ital­ie et aux États-Unis (notam­ment à la MaMa de New York). En quoi le spec­ta­cle sera-t-il dif­férent ?

Erman­na Mon­ta­nari : Tra­vailler dans d’autres pays, d’autres langues, c’est tou­jours sur­prenant. Le texte, par la sonorité de la langue, résonne dif­férem­ment mais le spec­ta­teur accueille aus­si l’œu­vre en fonc­tion de son bagage cul­turel, de ses orig­ines. Pour nous c’est à chaque fois une ren­con­tre.

Mar­co Mar­tinel­li : Aux États-Unis, même s’il s’agis­sait du texte orig­i­nal avec notre acteur Alessan­dro Ren­da, un quart de la pièce env­i­ron était en anglais. En novem­bre (2014) nous le jouerons à Brême, avec la Bre­mer Shake­speare Com­pa­ny, et un acteur alle­mand, Michael Mey­er. Cela donne au texte comme un nou­veau souf­fle.

Pour la créa­tion ici à Mons, le chœur de citoyens pour­rait représen­ter les esprits des morts que le général a la charge de compter.

L. V. G.: Racon­tez-nous la genèse du texte.

M. M.: En 2008 nous sommes descen­dus àMazara del Val­lo, au fond de la Sicile, petite ville au bord de la Méditer­ranée qui regarde l’Afrique, pour faire une « non scuo­la », en réu­nis­sant des enfants et ado­les­cents tunisiens et siciliens. Mazara est la ville la plus tunisi­enne d’I­tal­ie, sinon d’Eu­rope ! Et là, on a com­mencé à enten­dre ces pre­miers réc­its, Les his­toires de ceux qui ont survécu à ces tra­ver­sées. Elles nous ont touchés.

E. M.: Cette mer est très puis­sante, c’est une mer souil­lée par le sang, par les morts (ndrl ce jour là, le 30 juin 2014, il y eut encore une trentaine de migrants retrou­vés morts en Méditer­ranée au large de la Sicile). C’est une blessure incur­able pour l’I­tal­ie et pour ceux qui vivent là. Quand tu te trou­ves là, tu es attiré par la beauté de cette mer ; cette belle mer chaude, de la chaleur de la mort. Il y a cette con­tra­dic­tion, comme un trem­ble­ment de terre intérieur. Les réc­its de ces gens étaient des réc­its de morts en vie.

Et puis, on a décou­vert que non loin de Mazara del Val­lo avait émergé d’un coup, au xIX* siè­cle, une île.

L. V. G.: La fameuse île Fer­di­nan­dea, sur laque­lle tout le monde a voulu planter son dra­peau !

E. M.: Exacte­ment. Je suis tombée ter­ri­ble­ment amoureuse de cette his­toire. Parce qu’elle nous par­le d’un événe­ment extra­or­di­naire, un « don » naturel, et de notre trag­ique volon­té de vouloir acca­parer toute chose, notre absurde besoin de pos­ses­sion. Cette île était telle­ment vol­canique qu’elle fit bouil­lir la mer et déci­ma des mil­liers de pois­sons. Je ne peux m’empêcher d’imag­in­er ces pois­sons sautil­lant sur la plage, tout cuits ; et les gens. qui se ruaient dessus. De là est née cette his­toire, que Mar­co a écrite comme un flux, mag­nifique et poé­tique, et qui est devenu BRUITS D’EAUX.

L. V. G.: Je crois savoir que vous avez écrit ce texte ici, à Mons ?

M. M.: Oui mais l’idée m’est venue à Mazara. J’ai pen­sé à ce général, seul sur cette petite île, qui, au lieu de faire une poli­tique d’ex­clu­sion, comme notre min­istre de l’intérieur de l’époque, ferait une poli­tique d’ac­cueil mais d’accueils des morts. Il doit tenir la liste à jour, les compter, un tra­vail de bureaucrate!À cette époque (2010), l’image de Khadañ était très forte, c’é­tait le chien de garde de la Méditer­ranée. C’é­tait le moment où il est venu en Ital­ie, accueil­li en grandes pom­pes par Berlus­coni. Quel théâtre !

E. M.: Khadañ représente le stéréo­type de la dom­i­na­tion ; toutes ces médailles, ses lunettes noires, cette viril­ité exposée, visuelle­ment il y a beau­coup de lui dans notre général.

M. M.: J’avais cette image en tête mais aucun texte ! La phase de con­cep­tu­al­i­sa­tion est tou­jours com­mune entre Erman­na et moi, c’est une alchimie con­stante de pen­sées, d’im­ages. Ensuite, je suis venu à Mons pour DETTO MOLIÈRE. Le dimanche, je ne tra­vail­lais pas, et j’ai com­mencé à écrire ce mono­logue ; sous ce ciel gris j’avais en tête Mazara del Val­lo, le bleu du ciel, le vert de sa cathé­drale. En qua­tre, cinq dimanch­es, c’é­tait écrit.

A

rticle réservé aux abonné·es
Envie de poursuivre la lecture?

Les articles d’Alternatives Théâtrales en intégralité à partir de 5 € par mois. Abonnez-vous pour soutenir notre exigence et notre engagement.

S'abonner
Déjà abonné.e ?
Identifiez-vous pour accéder aux articles en intégralité.
Se connecter
Accès découverte 1€ - Accès à tout le site pendant 24 heures
Essayez 24h
1
Partager
Écrit par Laurence Van Goethem
Lau­rence Van Goethem, roman­iste et tra­duc­trice, a tra­vail­lé longtemps pour Alter­na­tives théâ­trales. Elle est cofon­da­trice du média cul­turel...Plus d'info
Partagez vos réflexions...
Précédent
Suivant
Article publié
dans le numéro
#124 – 125
mai 2025

Elargir les frontières du théâtre

Précédent
14 Jan 2015 — YANNIC MANCEL: Dès 2010 vous aviez conçu puis réalisé un premier projet intitulé déjà GHOST ROAD (route fantôme) où était…

YANNIC MANCEL : Dès 2010 vous aviez conçu puis réal­isé un pre­mier pro­jet inti­t­ulé déjà GHOST ROAD (route fan­tôme) où était abor­dée la ques­tion de la désaf­fec­tion puis de la déser­ti­fi­ca­tion démo­graphique de ces vil­lages de…

Par Yannic Mancel
La rédaction vous propose

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements

Mot de passe oublié ?
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total