L’imaginaire et le mouvement

L’imaginaire et le mouvement

Entretien avec Michèle Noiret

Le 6 Jan 2015
Isael Mata et Lise Vachon dans HORS-CHAMP, chorégraphie de Michèle Noiret, Théâtre National, 2013. Photo Sergine Laloux.
Isael Mata et Lise Vachon dans HORS-CHAMP, chorégraphie de Michèle Noiret, Théâtre National, 2013. Photo Sergine Laloux.

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Isael Mata et Lise Vachon dans HORS-CHAMP, chorégraphie de Michèle Noiret, Théâtre National, 2013. Photo Sergine Laloux.
Isael Mata et Lise Vachon dans HORS-CHAMP, chorégraphie de Michèle Noiret, Théâtre National, 2013. Photo Sergine Laloux.
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BERNARD DEBROUX : En obser­vant ton par­cours artis­tique, on s’aperçoit qu’il y a pour toi une porosité entre la danse et Les autres arts : en témoignent, par exem­ple, l’in­flu­ence de la fig­ure pater­nelle présente pour la poésie et la Lit­téra­ture, la pein­ture de Serge Van­der­cam pour TOLLUND, les gravures de Paster­nak pour LES PLIS DE LA NUIT ou encore ta ren­con­tre déter­mi­nante avec Stock­hausen, pour la musique et l’univers du son. Il y a aus­si le ciné­ma, au cen­tre de ton tra­vail d’au­jour­d’hui, dont nous par­lerons un peu plus tard. Peut-on dire que tes spec­ta­cles nais­sent de ce regard ouvert sur les autres univers artis­tiques ?

Michèle Noiret : La porosité dont tu par­les vient de ce que je recherche Les tech­niques qui me per­me­t­tent de con­cré­tis­er au mieux mes idées. Et les tech­niques du ciné­ma sont aujourd’hui celles qui m’of­frent un vrai champ d’expérimentations. Dans mon par­cours, depuis mes débuts, il y eut des poètes, des écrivains, des pein­tres, des graveurs, des cinéastes, qui m’ont inspiré un point de départ, duquel j’ai con­stru­it mon pro­pre univers. La vie, la société, sont aus­si dev­enues une source d’in­spi­ra­tion, pour le meilleur et pour le pire. Mais le tra­vail en soli­taire reste tou­jours indis­pens­able à la genèse de mes pro­jets ; ensuite je m’associe à des artistes qui maîtrisent d’autres tech­niques que la mienne et, ensem­ble, on tente de les faire fusion­ner en une seule écri­t­ure scénique. Les méth­odes de tra­vail sont à inven­ter, nous sommes vrai­ment dans « l’artisanal ».

Dès mes pre­mières pièces, j’é­tais intéressée à matéri­alis­er le vécu intérieur, le ressen­ti des indi­vidus : j’ai inven­té le terme de « per­son­nages choré­graphiques » parce que cela cor­re­spondait mieux à ce que je recher­chais et cherche encore chez un inter­prète. La méta­mor­phose des per­son­nages, et aus­si celle de l’espace qui fait bas­culer la scène « de l’autre côté du miroir », m’at­tirent par­ti­c­ulière­ment. Par­al­lèle­ment, j’ai tou­jours mis beau­coup de soin à « cal­ligra­phi­er » mon écri­t­ure choré­graphique. Je donne énor­mé­ment d’im­por­tance à tous les détails des gestes, et à leur lis­i­bil­ité. Je n’ai jamais été pas­sion­née par les ensem­bles, les grandes envolées d’enchainements, de mou­ve­ments de groupe : le mou­ve­ment pour le mou­ve­ment n’est pas ce qui m’in­téresse. S’il y a dix per­son­nes sur scène, ce sont dix indi­vidus, tous dif­férents, et je ten­terai de met­tre en évi­dence leurs sin­gu­lar­ités et leur per­son­nal­ité : ce qui se passe à l’intérieur de cha­cun. La scène et le spec­ta­cle vivant sont un espace ouvert et per­méable aux autres arts.

B. D.: Tu appar­tiens à une généra­tion qui a été mar­quée par les courants des années 1960 – 1970, le min­i­mal­isme, la danse améri­caine : ce courant fait la part belle à une cer­taine abstrac­tion (je pense à Trisha Brown, par exem­ple). Même si cer­tains de tes spec­ta­cles ren­voient à des images plus abstraites, on pour­rait à l’in­verse évo­quer, pour d’autres, une sorte de « danse-réc­it », qui rejoint ta notion de per­son­nage choré­graphique.

M. N.: Le courant min­i­mal­iste, je l’ai tra­ver­sé : mais il ne m’a pas vrai­ment influ­encée artis­tique­ment ni esthé­tique­ment. Mais j’ai une grande admi­ra­tion pour cer­tains créa­teurs de ce mou­ve­ment, comme Trisha Brown qui a inven­té des out­ils d’écri­t­ure choré­graphique dont tout un cha­cun peut s’emparer, peu importe son esthé­tique. Beau­coup de choré­graphes aujourd’hui s’in­spirent de ses inven­tions. Con­cer­nant l’idée de réc­it, ce serait dans Le sens d’un temps morcelé, éclaté, avec des sauts alternés dans Le temps, un réc­it non con­stru­it sur la linéar­ité d’une his­toire, mais sur les sen­sa­tions, les émo­tions, sur ce qui se trame entre les mots. Une con­struc­tion plus proche des principes du ciné­ma non-nar­ratif, où la com­po­si­tion même de l’image, de la lumière, de l’ambiance sonore, ain­si que la présence des inter­prètes, don­nent sens à une « his­toire » ouverte. Comme dans la vie, où une suc­ces­sion d’élé­ments sin­guliers, dif­fi­ciles à reli­er entre eux, s’enchainent. Sans recourir aux mots, ou presque, dans un espace- temps qui n’obéit à aucune loi rationnelle, et met en évi­dence le dynamisme pluridi­men­sion­nel de la pen­sée.

B. D.: Il y a une volon­té qu’on retrou­ve dans tes spec­ta­cles : l’in­té­gra­tion des autres parte­naires artis­tiques à l’intérieur du pro­jet de créa­tion.

M. N.: Oui, ces ren­con­tres et les échanges qu’elles provo­quent sont très impor­tants pour moi : elles sont enrichissantes, et l’un des moteurs de mon tra­vail. Les col­lab­o­ra­tions avec les autres créa­teurs, comme le com­pos­i­teur, le scéno­graphe, le vidéaste, le cinéaste ou l’éclairagiste me sont indis­pens­ables : il m’im­porte de faire évoluer mon lan­gage choré­graphique. La ren­con­tre avec des créa­teurs comme Xavier Lauw­ers, éclairag­iste, Todor Todo­r­off, com­pos­i­teur et ingénieur de for­ma­tion, avec les scéno­graphes Alain Lagarde et Sabine The­unis­sen, avec, pour l’image, dans le passé, Fred Vail­lant et aujourd’hui Benoit Gillet et Vin­cent Pinck­aers, tous ont par­ticipé à l’esthé­tique et à l’évolution de mes créa­tions. Un point com­mun relie ces créa­teurs entre eux:ilsaccordent tous une part à la recherche et c’est là un point impor­tant de notre tra­vail. Tous ont con­tribué à réin­ven­ter l’espace de ma créa­tion. Le spec­ta­cle vivant est une his­toire de com­plic­ités et de col­lab­o­ra­tions, qui con­cer­nent évidem­ment aus­si les danseurs.

B. D.: C’est à chaque fois se trou­ver devant la page blanche, mais en ten­tant d’inventer une nou­velle écri­t­ure.

M. N.: Je vois la créa­tion comme une per­pétuelle recherche, plutôt que comme de bonnes recettes que l’on répèterait à l’in­fi­ni. L’envie de réin­ven­ter La « boîte » qu’est la scène, et dans laque­lle les idées, le con­tenu, les dif­férentes écri­t­ures vont pren­dre forme, me motive énor­mé­ment. Il m’est aus­si impor­tant de faire évoluer tant la forme que son con­tenu. Au départ, la page est tou­jours blanche, mais beau­coup d’idées se bous­cu­lent et se téle­scopent. Il s’agit de cern­er le sujet, d’en écrire le con­tenu, d’en con­stru­ire la dra­maturgie, qui est pour moi indis­so­cia­ble de la choré­gra­phie, elle même liée à la scéno­gra­phie, la lumière, au son et à l’image.

Il y a donc plusieurs écri­t­ures, et ce que j’ap­pelle l’écri­t­ure scénique est celle qui les englobe toutes, notam­ment l’écri­t­ure choré­graphique. La choré­gra­phie est très com­plexe ; ce sont bien sûr les mou­ve­ments et les phras­es for­més dans l’espace, mais aus­si Les regards, l’ex­pres­sion des mains, la présence intérieure, le « sous- texte » qui nour­rit l’in­ter­pré­ta­tion du danseur.

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Bernard Debroux
Écrit par Bernard Debroux
Fon­da­teur et mem­bre du comité de rédac­tion d’Al­ter­na­tives théâ­trales (directeur de pub­li­ca­tion de 1979 à 2015).Plus d'info
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