Regard sur Philippe Blasband

Regard sur Philippe Blasband

Le 25 Jan 2015
Claire Bodson, Muriel Jacobs, Michèle Shor etJacqueline Bollen dans LES MANGEUSES DE CHOCOLAT de Philippe Blasband. Photo Théâtre Le Public.
Claire Bodson, Muriel Jacobs, Michèle Shor etJacqueline Bollen dans LES MANGEUSES DE CHOCOLAT de Philippe Blasband. Photo Théâtre Le Public.

A

rticle réservé aux abonné·es
Claire Bodson, Muriel Jacobs, Michèle Shor etJacqueline Bollen dans LES MANGEUSES DE CHOCOLAT de Philippe Blasband. Photo Théâtre Le Public.
Claire Bodson, Muriel Jacobs, Michèle Shor etJacqueline Bollen dans LES MANGEUSES DE CHOCOLAT de Philippe Blasband. Photo Théâtre Le Public.
Article publié pour le numéro
124 – 125
Article fraîchement numérisée
Cet article rejoint tout juste nos archives. Notre équipe le relit actuellement pour vous offrir la même qualité que nos éditions papier. Pour soutenir ce travail minutieux, offrez-nous un café ☕

C’EST AU PREMIER ÉTAGE de la galerie qui sur­plom­bait le préau de l’Athénée Roy­al d’Ixelles que Philippe Blas­band et moi nous sommes croisés pour la pre­mière fois. Entre deux cours, accoudés à la balustrade en fer forgé, c’est prob­a­ble­ment là que nous avons échangé nos pre­mières paroles.

L’étab­lisse­ment d’inspiration néo­clas­sique offrait un con­traste étrange depuis qu’il avait été un des pre­miers à accueil­lir le sys­tème rénové. Les étu­di­ants y cir­cu­laient en ordre dis­per­sé, peu soucieux de son ancien pres­tige dont les briques ne témoignaient plus qu’un pâle écho. Le pro­gramme fait d’op­tions, choisies par l’élève lui-même, redis­tribuait la com­po­si­tion des class­es à chaque cours. Ses pro­fesseurs suiv­aient une péd­a­gogie très ouverte à la plu­ral­ité de celles-ci, qui fai­sait qu’on pas­sait allè­gre­ment d’un enseigne­ment de type clas­sique où le par cœur était de mise, à celui plus par­tic­i­patif — matéri­al­isé par une dis­po­si­tion des bancs en forme de U — quand ce n’était pas le foutoir joyeuse­ment post soix­ante-huitard qui encour­ageait que l’on donne son avis poli­tique sur des films tels qu’APOC­A­LYPSE Now tout en fumant en classe. Fin des années sep­tante, l’Athénée Roy­al d’Ixelles avait acquis la répu­ta­tion d’être un hôpi­tal dans lequel était déver­sé tous Les malades de la sco­lar­ité. Ces mal­adies divers­es lui con­féraient un mélange cul­turel et social sans équiv­a­lent pour l’époque.

Je n’ai jamais été en classe avec Philippe Blas­band, vu que j’é­tais une année au-dessus de lui, mais nous avions tous deux choisi le Français en option forte (sept heures semaines) enseigné par le même pro­fesseur ; ce qui rendait nos croise­ments à la balustrade du pre­mier étage inévitable.

Ce pro­fesseur était Gas­ton Com­père.

Gas­ton Com­père s’é­tait glis­sé sans encom­bre mais sans illu­sion non plus dans le sys­tème rénové. Il restait en marge, fidèle à son désir de trans­met­tre à qui le voudrait son goût de la pen­sée con­stru­ite et de la lec­ture. Bien au-delà des pro­grammes, cette trans­mis­sion pas­sait par ces auteurs préférés qu’é­taient Pas­cal et Céline et par la place essen­tielle qu’il accor­dait au style. Tous deux nous l’avons vu se présen­ter de manière docte et amusée sut l’estrade en bois qui ser­vait de plate­forme à son bureau. Non, ilne fal­lait pas rigoler:son prénom n’é­tait pas une bizarrerie à n’accoler qu’au seul Lagaffe ; il exis­tait d’autres Gas­ton, comme lui-même ou comme Gas­ton Bachelard…

La classe à laque­lle apparte­nait Philippe fut assuré­ment un des meilleurs sou­venirs de sa car­rière. Il y avait là une poignée d’élèves, sen­si­ble à son humour, prête à rivalis­er et unie dans l’émulation. Les rédac­tions, à finalis­er tous les quinze jours, étaient l’occasion, dans leur pré­pa­ra­tion, de com­men­taires, d’encouragements, dans une com­plic­ité qui les voy­ait par­fois s’échanger leurs copies au moment de la remise — ce que Gas­ton Com­père détri­co­tait facile­ment.

Gas­ton Com­père fut un de ces pro­fesseurs qui mar­que et imprime son cours de sa per­son­nal­ité.

Dans le domaine qui con­cerne cette revue, il est à not­er que Philippe Sireuil a égale­ment été son élève.

Mais c’é­tait aus­si un écrivain. Philippe m’a avoué plus d’une fois com­bi­en il avait été impor­tant, alors qu’il écrivait déjà depuis longtemps, de ren­con­tr­er quelqu’un qui exerçait le méti­er auquel il aspi­rait. Si Gas­ton Com­père n’a pas fait œuvre chez lui de voca­tion, il lui a servi tout à la fois de mod­èle et d’objet de désacral­i­sa­tion. L’écrivain n’é­tait plus un mythe ; c’é­tait quelqu’un qu’il avait la chance de côtoy­er jour après jour.

En 1981, je suis entré au Con­ser­va­toire Roy­al de Brux­elles en Art Dra­ma­tique pour entamer ensuite une car­rière de comé­di­en, tan­dis que Philippe sor­tait diplômé de l’Insas en sec­tion mon­tage. Son goût du ciné­ma avait tou­jours été de pair avec celui de l’écriture et comme il n’ex­is­tait alors aucun cours d’écri­t­ure pro­pre­ment dit (écrire apparem­ment, ça ne s’apprend pas), c’est tout naturelle­ment qu’il s’est dirigé vers la branche tech­nique la plus lan­gag­ière du ciné­ma. Il est très symp­to­ma­tique que Philippe n’ait pas choisi la sec­tion mise en scène avec son statut d’au­teur implicite, pour priv­ilégi­er les aspects tech­niques. Peut-être était-ce en par­tie par pru­dence, la crainte de ne pas se sen­tir à la hau­teur — ne pas abor­der la pré­ten­tion de manière frontale — mais sans doute aus­si nour­ri de l’idée qu’un « artiste » est aus­si un arti­san manip­u­la­teur d’outils qui gagne à les con­naître. C’est au cours de ces années-là que Philippe et moi nous sommes ren­con­trés pour de bon. Jusque-là nous n’avions été en somme que des voisins de palier. Nos activ­ités, la recon­nais­sance d’un passé com­mun et les hasards qu’or­gan­ise une même ville ont favorisé nos ren­con­tres. Au fond, j’ig­no­rais tout de lui. C’est par bribes que j’ai appris que son père était un infor­mati­cien (une sorte de pio­nnier) qui vivait en Hol­lande, que sa mère, elle, était une Irani­enne ver­sant d’une activ­ité com­mer­ciale à l’autre, que tous deux s’é­taient con­nus fort jeunes, et les avaient eus, lui et ses frères, fort jeunes, et qu’ils étaient à présent divor­cés ; qu’il était laïc mais apparte­nait tant à la com­mu­nauté cul­turelle juive que musul­mane, que les ram­i­fi­ca­tions des deux branch­es famil­iales démul­ti­pli­aient encore ses orig­ines ; qu’il était né en Iran, mais qu’il avait vécu à Boston entre ses deux et cinq ans (à ce titre, si ce n’est pas sa langue mater­nelle, l’anglais peut être con­sid­éré comme sa pre­mière langue), qu’il s’é­tait retrou­vé les qua­tre années suiv­antes à Water­loo avant de se ren­dre à Téhéran jusqu’à ses quinze ans et La chute du Shah pour débar­quer enfin à Brux­elles.

A

rticle réservé aux abonné·es
Envie de poursuivre la lecture?

Les articles d’Alternatives Théâtrales en intégralité à partir de 5 € par mois. Abonnez-vous pour soutenir notre exigence et notre engagement.

S'abonner
Déjà abonné.e ?
Identifiez-vous pour accéder aux articles en intégralité.
Se connecter
Accès découverte 1€ - Accès à tout le site pendant 24 heures
Essayez 24h
2
Partager
Partagez vos réflexions...
Précédent
Suivant
Article publié
dans le numéro
#124 – 125
mai 2025

Elargir les frontières du théâtre

26 Jan 2015 — Extraits d’une lettre écrite par Philippe Blasband aux commanditaires de son spectacle LE TRAMWAY DES ENFANTS. ...JE VEUX mettre en…

Extraits d’une let­tre écrite par Philippe Blas­band aux com­man­di­taires de son spec­ta­cle LE TRAMWAY DES ENFANTS. …JE VEUX…

Par Philippe Blasband
Précédent
24 Jan 2015 — MERYL MOENS: Pour la Capitale européenne de la Culture, vous montez (dans le cadre du Festival VIA), AMNESIA, une création…

MERYL MOENS : Pour la Cap­i­tale européenne de la Cul­ture, vous mon­tez (dans le cadre du Fes­ti­val VIA), AMNESIA, une créa­tion entre théâtre, ciné­ma et nou­velles tech­nolo­gies, qui nous immerge au cœur de la Wal­lonie. Jean-Michel…

Par Meryl Moens
La rédaction vous propose

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements

Mot de passe oublié ?
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total