Un paysage habité
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Un paysage habité

Le 28 Jan 2015
Festival au carré, Mons 2008. Photo D. R.
Festival au carré, Mons 2008. Photo D. R.
Festival au carré, Mons 2008. Photo D. R.
Festival au carré, Mons 2008. Photo D. R.
Article publié pour le numéro
124 – 125
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LA VILLE BOUGE. Les poli­tiques cul­turelles évolu­ent depuis les dernières décen­nie ; que ce soit les opéra­teurs cher­chant à trou­ver de nou­veaux out­ils de médi­a­tion, des élus empoignant la cul­ture comme une éventuelle solu­tion à des ques­tions d’im­age à reval­oris­er, ou de trou­bles soci­aux à atténuer, voire d’é­conomie ou de ter­ri­toires à revi­talis­er. Et Les artistes créent. Les habi­tants restent, eux, encore sou­vent indif­férents à tout ce brouha­ha offi­ciel.

La ville bouge, le paysage cul­turel change, ne se sat­is­faisant plus des espaces ritualisés:les scènes cul­turelles sub­ven­tion­nées, du théâtre au rock, con­tin­u­ent à accueil­lir des publics nom­breux, atten­tifs, mais, en général, restreints.

Dès lors, il nous faut nous intéress­er à l’espace pub­lic, là où chaque habi­tant vit, tra­vaille, passe, et réin­ven­ter la sur­prise au coin du chemin. Les arts de la rue ont mon­tré la voie, le théâtre de rue notam­ment, en bous­cu­lant les habi­tudes, celles des artistes, des élus et des spec­ta­teurs. En par­al­lèle, de nou­velles tech­niques artis­tiques sont apparues, occu­pant l’espace pub­lic : vidéo map­ping, instal­la­tions sonores, archi­tec­ture éphémères, danse ver­ti­cale.

Il nous reste à accom­pa­g­n­er l’art par de nou­veaux out­ils cul­turels. L’ago­ra, la prox­im­ité des œuvres, des artistes et des habi­tants est un sujet en soi : aller vers eux alors que nous leur deman­dions de venir à notre cul­ture. Mons 2015 s’in­scrit, à sa façon, dans ce besoin de recherche au cœur d’un paysage habité.

Mons, rapi­de tour de vis­ite : nonante mille habi­tants, con­nue pour sa Grand Place, ses fes­tiv­ités du Doudou, son musée et… et pas facile de lui trou­ver une place sur la carte européenne. Et pour­tant cette géo­gra­phie est pleine de ruelles pavées, de monts et ter­rils, de murs de pierre grise, de jardins cachés, de car­rières et de riv­ières, de l’intramuros aux anciens char­bon­nages du Bori­nage et champs de maraïîch­ers.

Nous avons donc pris notre bâton de pèlerin : vivre ce paysage et ren­con­tr­er ceux qui y habitent, avec leurs méfi­ances ini­tiales (et une cap­i­tale de la cul­ture est un for­mi­da­ble out­il pour réveiller les oppo­si­tions !). Dis­cuter, s’engueuler, puis s’en­ten­dre, une choppe à la main : rien de tel à Mons pour s’obliger à inven­ter des for­mules adap­tées à la ville.

Un point de départ : la géo­gra­phie

Nous sommes par­tis, non de l’histoire (celle qui fonde un texte, un passé, une légende, une réflex­ion) mais de la géographie:y appa­rais­sent les ques­tions de prox­im­ité et de paysages urbains, les ter­mes de voisi­nage et d’in­tim­ité.

Out­il pra­tique s’il nous faut con­tourn­er les ques­tions de vocab­u­laire quand nos inter­locu­teurs cherchent leurs mots ; tout le monde n’a pas cette aisance que la lit­téra­ture et le chéâtre deman­dent. Piste par­mi d’autres, nous préférons donc pass­er par la car­togra­phie qui racon­te les chemins de tra­verse à par­courir, les secteurs ruraux, urbains et mon­tag­nards (collines, ter­rils) à franchir, la ville à con­stru­ire.

Les images et la toponymie, à côté des voix et des textes.

À par­tir d’une carte de huit secteurs de prox­im­ité, et une autre de douze com­munes parte­naires sur le Bori­nage, bases des Grand Huit et Grand Ouest, nous cher­chons à inve­stir la ville, les jardins privés et les champs, les maisons par­ti­c­ulières, les fenêtres et les porch­es, les frich­es oubliées et les quais de halage, entre espaces intimes et publics. Sur l’ensemble, plus de cinq cents Mon­tois, généal­o­gistes ama­teurs, sportifs et pépiniéristes, seniors et étu­di­ants, respon­s­ables d’é­coles et danseurs de tan­go, ont choisi de par­ticiper depuis juin 2013 à la con­cep­tion et la fab­ri­ca­tion de ces huit semaines de man­i­fes­ta­tions, dont un ban­quet, un bal, un pro­jet par­tic­i­patif, un par­cours à faire à pied, à cheval, en pous­sette (à hau­teur d’enfants donc), un artiste étranger en rési­dence, des expos, des spec­ta­cles. Et l’en­vie de se sur­pren­dre, tous.

Après la géo­gra­phie : le réveil de l’imag­i­naire

Nous deman­dons en général à nos voisins d’aimer le théâtre russe, l’art con­tem­po­rain ou la musique sérielle. Et s’ils n’apprécient pas, nous leur don­nerons du théâtre action, de l’art fig­u­ratif ou du hiphop.

Et toc, c’est bien fait !

Mais com­ment com­pren­dre les artistes quand on a oublié nous-mêmes de jouer avec nos pro­pres rêves ? Com­ment se laiss­er aller devant les œuvres lorsqu’on ne sait en général plus aus­si facile­ment, l’ado­les­cence passée, manip­uler les mots, les images, les sons qui ont tous pris des sens soci­aux plus com­plex­es que lorsqu’on était enfant ? Pro­posons donc à nos voisins de jouer avec leur imag­i­naire, de trou­ver des thèmes iden­ti­taires.

Dans la foulée, com­ment ne pas cri­ti­quer les bud­gets élevés de la cul­ture, non expliqués, quand on paie dif­fi­cile­ment ses impôts ? Et hop, nous pro­posons un appren­tis­sage d’outils de pro­duc­tion (pass­er par les couliss­es pour mieux les com­pren­dre), des rési­dences d’artistes à la mai­son (une écrivaine, n’ayant pas le per­mis, va se faire rac­com­pa­g­n­er à la gare par les habi­tants, le voy­age étant le sup­port de leurs con­ver­sa­tions puis d’un livre), des ate­liers par­tic­i­pat­ifs et expos autour des arts mod­estes (du tatouage sur les cimais­es et sur nos bras, des jardins sus­pendus réal­isés par des enfants, des épou­van­tails par dizaines) et des œuvres pointues (une série de vidéos d’art notam­ment), la sim­plic­ité et l’exotisme (les artistes d’ici et de là-bas comme sujet de con­fronta­tion) tout autant que l’exigence de l’art. Et surtout le col­lec­tif comme lieu de partage d’ex­péri­ences et de savoir-faire : tous les mois, les groupes d’habi­tants se retrou­vent pour fab­ri­quer ces semaines.

L’ex­péri­ence est loin d’être ter­minée, mais il sem­ble qu’af­fûter le regard de nos voisins, les for­mer et les sen­si­bilis­er à l’art en val­orisant leurs pro­pres cul­tures ne peut que les aider à mieux appréhen­der ce que ces ren­con­tres bizarres et sur­prenantes que sont les œuvres et les spec­ta­cles ne soient plus des univers loin­tains ; et ce lab­o­ra­toire se pose en com­plé­ment de ce que tra­vail­lent, au quo­ti­di­en, les équipes des struc­tures cul­turelles.

Habiter col­lec­tive­ment le paysage, car­togra­phi­er nos rela­tions humaines, créer une géo­gra­phie de l’imag­i­naire :un paysage sen­si­ble, base d’une his­toire qui débutera en 2015, et devra con­tin­uer, sans nous, dans les années qui suiv­ent.

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Écrit par Emmanuel Vinchon
Emmanuel Vin­chon conçoit et organ­ise de nom­breuses man­i­fes­ta­tions depuis 1983, notam­ment autour des afts sonores, mod­estes, pat­ri­mo­ni­aux et...Plus d'info
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Elargir les frontières du théâtre

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27 Jan 2015 — DEPUIS quelques décennies, les artistes du «vivant » investissent régulièrement l’espace public. (On pourrait ici rappeler que pendant plus de…

DEPUIS quelques décen­nies, les artistes du « vivant » investis­sent régulière­ment l’espace pub­lic. (On pour­rait ici rap­pel­er que pen­dant plus de deux mille ans, le théâtre s’est joué sous le ciel. et qu’il ne s’est enfer­mé…

Par Philippe Kauffmann
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