Vivants !
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Le 27 Jan 2015
DOMINOES, installation urbaine de Julian Maynard-Smith, Marseille 2013, Capitale européenne de la Culture, Photo Urska Boljkovar.
DOMINOES, installation urbaine de Julian Maynard-Smith, Marseille 2013, Capitale européenne de la Culture, Photo Urska Boljkovar.
DOMINOES, installation urbaine de Julian Maynard-Smith, Marseille 2013, Capitale européenne de la Culture, Photo Urska Boljkovar.
DOMINOES, installation urbaine de Julian Maynard-Smith, Marseille 2013, Capitale européenne de la Culture, Photo Urska Boljkovar.
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124 – 125
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DEPUIS quelques décen­nies, les artistes du « vivant » investis­sent régulière­ment l’espace pub­lic. (On pour­rait ici rap­pel­er que pen­dant plus de deux mille ans, le théâtre s’est joué sous le ciel. et qu’il ne s’est enfer­mé que très récem­ment, il y a qua­tre cents ans env­i­ron, dans des bâti­ments. per­dant ain­si son lien direct avec la Cité. mais cela c’est une autre his­toire).

Le théâtre « retourne » donc dans la rue dans le courant de Mai 68. Des col­lec­tifs veu­lent quit­ter les théâtres pour s’adress­er aux gens, ils revendiquent la gra­tu­ité, l’abo­li­tion du 4 mur, la créa­tion col­lec­tive, souhait­ent surtout directe­ment touch­er les pop­u­la­tions. En bref, ils veu­lent « jouer dehors parce dedans il fait froid » (dix­it Bruno Schnebe­lin d’Ilo­topie). (En Bel­gique fran­coph­o­ne, plutôt que la rue, rarement investie, c’est le mou­ve­ment de Théâtre-Action qui poussera à quit­ter le con­fort des salles bour­geois­es pour les usines, abat­toirs, maisons du peu­ple. mais là aus­si, c’est une autre his­toire).

Cinquante ans plus tard, pas une munic­i­pal­ité française (et de plus en plus de com­munes belges plus récem­ment) qui n’ait son fes­ti­val de « théâtre de rue », pas une admin­is­tra­tion qui ne développe sa poli­tique de sou­tien aux « arts de la rue ». Mais avec quels enjeux ? Tous ces événe­ments pro­posent des créa­tions, certes, mais dont la final­ité est bien plus sou­vent dis­trac­tive et ani­ma­tive que cri­tique ou inter­pella­tive sur les enjeux du vivre ensem­ble.

Ain­si, quand je me rends aujourd’hui dans un fes­ti­val de théâtre de rue, j’ai l’im­pres­sion de me retrou­ver dans une immense salle de spec­ta­cle, une sorte d’e­space scénique élar­gi, un espace-temps homogénéisé, certes joyeux, col­oré ou par­fois un brin provo­ca­teur, mais bien sou­vent dépourvu de ce qui fait l’essence de l’art de la rue : la ren­con­tre inopinée, l’ef­fet de sur­prise, l’esthéti­sa­tion de l’inattendu et du non-con­formisme (déf­i­ni­tion toute per­son­nelle et sub­jec­tive).

Pour­tant, face àcet « espace pub­lic » déshu­man­isé, aban­don­né aux caméras de sur­veil­lance, pri­vatisé, sécu­ri­taire, sat­uré des images et des bruits qui égrè­nent prin­ci­pale­ment les dif­férentes façons de con­som­mer, les artistes ont une grande respon­s­abil­ité à agir.

« Il faut aller au front, c’est un Grand Com­bat qui com­mence, et il faut y aller réso­lus, et très offen­sifs » (Bernard Stiegler)

Mais pour faire quoi, si la sim­ple occu­pa­tion de la rue ne suf­fit pas ?

Tout pro­jet artis­tique placé en espace pub­lic entre­tient un dia­logue — maîtrisé ou non — avec son con­texte. Ce qui aper­mis à Paul Ardenne d’ex­plor­er la notion d’art con­textuel. La notion de dia­logue est fon­da­men­tale car, si chaque espace pub­lic peut accueil­lir les formes les plus divers­es, un acte artis­tique n’est per­ti­nent que s’il résonne avec son con­texte, s’il en fait appa­raître des aspects incon­nus ou peu vis­i­bles, s’il nous le fait redé­cou­vrir.

DOMINOES, installation urbaine de Julian Maynard-Smith,
Marseille 2013, Capitale européenne de la Culture. Photo Simo Karosalo.
DOMINOES, instal­la­tion urbaine de Julian May­nard-Smith, Mar­seille 2013, Cap­i­tale européenne de la Cul­ture. Pho­to Simo Karos­a­lo.

Paul Ardenne l’exprime claire­ment, quand il écrit en intro­duc­tion à UN ART CONCEPTUEL1 : « Pour l’artiste con­textuel, il s’agit bien de « tiss­er avec » le monde qui l’en­toure, de délaiss­er les clas­si­fi­ca­tions clas­siques de la représen­ta­tion pour leur préfér­er la mise en rap­port directe et sans inter­mé­di­aire de l’œuvre et du réel ».

En tant que con­seiller artis­tique « fêtes, instal­la­tions et espace pub­lic » de Mons 2015 Cap­i­tale Européenne de la Cul­ture, mes col­lègues et moi-même avons fait un choix clair : celui de pro­pos­er aux publics des pro­jets d’écritures qui se frot­tent à la ville et ses enjeux dans cette dynamique « con­textuelle ». Plutôt qu’«arts de la rue » on préfèr­era « art de la ville », ville qui n’est plus le con­tenant d’une œuvre, mais désor­mais son con­tenu.

Ain­si, en 2015, les artistes qui envahi­ront les pavés mon­tois auront bien évidem­ment à charge de nous dis­traire, de nous amuser, de nous faire rêver. mais bien au-delà ils se sont tous don­né pour mis­sion de redonner corps à une cer­taine utopie du vivre ensem­ble.

Les dizaines de mil­liers de domi­nos qui arpen­teront plus de deux kilo­mètres de pavés mon­tois le 14 mai 2015 en ouver­ture de La ville en jeux racon­tent cela : lier Les quartiers, Les lieux, et les habi­tants dans un « faire ensem­ble » impli­quant des cen­taines de par­tic­i­pants (respon­s­ables du place­ment des domi­nos géants!) et les mil­liers de spec­ta­teurs qui, au-delà de la jubi­la­tion de la chute finale, redé­cou­vriront leur pro­pre ville dans un par­cours tra­ver­sant parcs, homes, écoles…

Il en va de même pour Pride, le pro­jet plus intime du Groupen­fonc­tion, présen­té dans le même fes­ti­val et qui pro­pose à un groupe de danseurs ama­teurs (for­més en work­shop) d’in­ve­stir l’espace pub­lic sous la forme d’un par­cours en lien avec la ville. Le groupe se rassem­ble pour danser. Ils ne se regar­dent pas, mais s’écoutent, écoutent le rythme qu’ils créent. Il n’y a pas de musique, seuls leurs souf­fles les guident vers un rythme com­mun.

Ils for­ment un tas, une créa­ture à mille corps, qui se déplace dans la ville, lente­ment, à rai­son d’un à sept mètres par minute.

En apparence cha­cun pour soi, dans une somme de soli­tudes. Et pour­tant, ils dansent ensem­ble, à l’é­coute de soi, de l’autre, du groupe, du monde… « Une danse per­sis­tante d’individuation col­lec­tive qui donne à voir l’ir­ré­ductibil­ité de l’être en présence » (Arnaud Pirault, con­cep­teur).

Ces deux pro­jets, et — nous l’espérons — beau­coup d’autres présen­tés en 2015 auront à cœur de mod­i­fi­er le « partage du sen­si­ble », per­turberont l’ordre des évi­dences, mon­treront que le monde n’est pas fatale­ment comme il est, qu’il y a des réserves de pos­si­ble, que les ressources de l’imag­i­naire per­me­t­tent de faire advenir d’autres agence­ments du réel.

Pour nous rap­pel­er que l’artiste, tout comme le spec­ta­teur, ont le pou­voir de mod­i­fi­er l’état des choses, fût-ce mod­este­ment.

  1. Paul Ardenne, UN ART CONCEPTUEL, Flam­mar­i­on, 2002. ↩︎
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Écrit par Philippe Kauffmann
Licen­cié en Droit de l’‘ULG, Philippe Kauff­mann change très tôt de cap et œuvre depuis plus de vingt...Plus d'info
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