Les mots pour la dire

Réflexion

Les mots pour la dire

Le 29 Juil 2016
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 129 - Scènes de femmes
129

Entre l’affirmation de l’académicien François-Eudes de Méz­er­ay : « L’ancienne orthographe […] dis­tingue les gens de let­tres d’avec les igno­rants et les sim­ples femmes » (c’était en 1673) et la nom­i­na­tion d’une min­istre déléguée aux droits de la femme (Yvette Roudy, en 1981, dans le pre­mier gou­verne­ment de François Mit­ter­rand), trois siè­cles auront passé. Entre-temps, à la Libéra­tion, les Français­es auront obtenu le droit de vote (dix ans après les femmes turques…), alors que des femmes sous-secré­taires d’État ont siégé au gou­verne­ment du Front pop­u­laire sans pou­voir vot­er elles-mêmes. Quelques révo­lu­tions et deux guer­res mon­di­ales n’auront pas réus­si à ébran­ler ce bas­tion inex­pugnable qu’était jusque-là l’orthographe française. En fait, c’est Mai 68, et, dans son sil­lage, le mou­ve­ment des femmes pour leurs droits (à l’égalité, au tra­vail, à l’avortement et à la con­tra­cep­tion, à la sex­u­al­ité…), qui fera bouger les choses. 

Lente­ment, mais inex­orable­ment. Avant, c’était sim­ple : il y avait les « métiers et fonc­tions d’homme » (prési­dent, min­istre, préfet, com­mis­saire, juge, secré­taire général, pro­fesseur, écrivain, doc­teur, pilote…) et les « métiers de femme » (infir­mière, hôtesse de l’air, sage-femme, can­ti­nière, speak­er­ine…). Les « anom­alies » se comp­taient sur les doigts de la main : un man­nequin était une jeune femme, une estafette ou une recrue était un homme. Quand des postes hiérar­chiques ou d’autorité étaient occupés par des femmes, l’usage admin­is­tratif et les règles du savoir-vivre com­mandaient que l’on dis­tingue entre la fonc­tion et la per­son­ne : « Mme le prési­dent », « Mme le secré­taire général », « Mme le pro­fesseur émérite des uni­ver­sités ». « Mme la prési­dente » désig­nait la femme du prési­dent, « Mme la sous-préfète »… la femme du sous-préfet. Mais, de plus en plus, l’armée, la mag­i­s­tra­ture, la police embauchèrent des femmes. Il fal­lut donc les « nom­mer » : un policier/une poli­cière, un sergent/une ser­gente… (Encore plus sim­ple quand le nom est épicène, c’est-à-dire dont la forme ne varie pas selon le genre : un/une cap­i­taine, un/une juge, un/une com­mis­saire.) Et trou­ver des ter­mi­naisons féminines qui sat­is­fassent à la fois la struc­ture du français, ne heur­tent pas l’oreille ou la vue ou ne dépré­cient pas la per­son­ne ou la fonc­tion exer­cée (« pro­cureuse », par exem­ple, s’est effacé devant « pro­cureure » ; à l’inverse, « met­teuse en scène » s’est imposé).

Avant, c’était sim­ple :
il y avait les « métiers et
fonc­tions d’homme » et
les « métiers de femme »

Dès 1984, une com­mis­sion de ter­mi­nolo­gie réflé­chit à ces ques­tions, avant que soit conçu, sous l’égide du CNRS et de l’Institut nation­al de la langue française, un « Guide d’aide à la fémin­i­sa­tion des noms de métiers, titres, grades et fonc­tions », pub­lié au Jour­nal offi­ciel en 1999.

Comme tou­jours lorsqu’il s’agit du français, mais surtout du rôle et de la place des femmes dans la société, des résis­tances se firent jour. Avec des argu­ments où la misog­y­nie se cachait à peine. Heureuse­ment, une langue évolue et s’enrichit sans tou­jours atten­dre les textes offi­ciels. Et des femmes écrivains, par­mi les pre­mières, tin­rent à ce qu’on les dis­tinguent de leurs col­lègues mas­culins en se procla­mant « écrivaines ». Et revendiquèrent d’être appelées « auteures », usage qui se répan­dit dans les jour­naux et les pub­li­ca­tions spé­cial­isées en lit­téra­ture, avant d’être aval­isé par un dic­tio­n­naire comme le Larousse. Néan­moins, cette désig­na­tion, qui se dis­tingue à l’écrit, ne s’entend pas à l’oral, au point que cer­taines… auteures revendiquent l’appellation « autri­ces », qui eut droit de cité jusqu’au XVIIe siè­cle, avant d’être chas­sé des dic­tio­n­naires (elle fut réin­té­grée assez récem­ment par le Robert, assor­tie de la men­tion « rare »). Ces évo­lu­tions ne font pas tou­jours l’unanimité. Aus­si le débat reste-t-il large­ment ouvert pour les jour­nal­istes, secré­taires de rédac­tion et cor­recteurs, qui sont en pre­mière ligne pour accom­pa­g­n­er le mou­ve­ment, sans heurter de front ceux qui hési­tent. Mais quitte à bous­culer ceux qui, comme « Mme le secré­taire per­pétuel de l’Académie française », con­tin­u­ent à résis­ter.

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Lucien Jedwab
(ancien chef correcteur du Monde)Plus d'info
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