« Depuis le milieu des années 1990, quand la stabilité économique et politique s’est de nouveau établie en Iran, le gouvernement a accordé une attention particulière au développement des activités culturelles et sociales au sein de la société. »
Téhéran, la capitale iranienne, avec une population de près de neuf millions de citoyens, est la ville la plus peuplée d’Iran. C’est à la fois la capitale politique, économique et artistique et elle réunit un étrange mélange de bâtiments modernes et de croyances traditionnelles. Dans ses différents quartiers et arrondissements, on peut être en même temps témoin de manifestations religieuses d’une vie traditionnelle patriarcale et d’appartements de luxe, d’automobiles de haute gamme mises à la disposition de femmes célibataires. Téhéran, c’est la ville des contradictions fondamentales, une ville où l’art existe et n’existe pas, où l’ordre se trouve et ne se trouve pas. Elle est d’une part vivante et fervente, et d’autre part agressive, déprimée et blessée. Les lieux et objets de loisir y sont relativement limités par rapport à la grandeur de la métropole. Les lois religieuses interdisent l’existence de lieux récréatifs comme les clubs de danse et boîtes de nuit, les bars et toute forme de rassemblement carnavalesque, sauf pour des évènements religieux. Ainsi, les habitants de la ville n’ont qu’un choix limité pour se divertir hors de la maison et se rassembler : ils fréquentent de façon extravagante les centres commerciaux et vont souvent au cinéma, dans les parcs et jardins publics, dans les rares salles de concert, mais aussi, ces dernières années, dans les nouvelles salles de spectacle privées.
Depuis longtemps, en Iran, le théâtre a une nature gouvernementale : il est entre les mains de l’État. La rédaction des premières pièces de théâtre en persan il y a cent soixante ans a préparé le terrain pour la création des premières salles de théâtre modernes. Ainsi, sous le règne du roi Reza Pahlavi (dès 1936) et plus tard sous le règne de son fils Mohammadreza Shah (décennies 1960 et 1970), les espaces de performance théâtrale se sont développés et les salles de spectacle se sont multipliées. Ce processus s’est ralenti et arrêté après la Révolution islamique de 1979 et le début de la guerre Iran-Irak qui fut déclenchée par l’Irak, et la baisse rapide du PIB. Cependant, depuis le milieu des années 1990, quand la stabilité économique et politique s’est de nouveau établie en Iran, le gouvernement a accordé une attention particulière au développement des activités culturelles et sociales au sein de la société.
Ce qui est notable dans ce processus, c’est la concentration permanente des facilités et espaces dans la métropole de Téhéran. C’est-à-dire que quand on parle de théâtre iranien, on sous- entend le théâtre de Téhéran et celui des artistes immigrés dans la capitale. À cette époque, les salles de spectacle de Téhéran se répartissaient entre le théâtre Vahdat, qui était une salle de théâtre à l’italienne luxueuse ; le théâtre de la ville, avec une salle classique et trois salles de style « boîte noire » (modulables) ; le théâtre Molavi, avec deux salles ; le théâtre Sangelaj, avec une salle à l’italienne ; les salles Boustan et Golestân, sises au Parc Laleh, destinées aux spectacles pour la jeunesse ; le théâtre Honar, destiné aux spectacles pour enfants. Après une période de hauts et de bas dans les années 2000 et la levée des sanctions internationales imposées à l’Iran, ce fut l’époque des politiques néolibérales des gouverneurs. Le gouvernement actuellement au pouvoir, avec la réduction de sa souveraineté, a essayé de développer la privatisation et d’inciter les investisseurs privés à investir dans divers domaines, dont la création de salles de théâtre et la construction d’infrastructures. Avant la création de la première salle de théâtre privée en 2012, qui fut baptisée « Mashayekhi », le gouvernement avait essayé de contribuer à la création de nouveaux espaces de théâtre, en apportant de l’aide à l’ouverture de nouvelles salles semi-gouvernementales, dont le théâtre Iranshahr, avec un auditorium moderne et une salle, ainsi que les théâtres Hafez et Ferdowsi, soit deux salles, l’une générale et l’autre propre au théâtre des marionnettes. Ainsi, les jeunes diplômés des facultés artistiques, qui étaient d’ailleurs très motivés, se sont brusquement trouvés face à de grandes facilités de se produire. D’autre part, d’autres artistes plus expérimentés qui étaient habitués à ce statut propre au personnage kafkaïen « devant la loi », rendant impossible leur accès aux théâtres publics en raison d’insuffisance du budget et du nombre des salles, se sont vus devant une sorte de liberté démultipliée. Les espaces privés de performance ont émergé et poussé comme des champignons partout dans Téhéran, qui s’est transformé elle-même, en moins de cinq ans, en un grand auditorium où près de 70 spectacles sont montés chaque soir dans plus de trente salles publiques et privées. Ce qui veut dire que dans certaines salles, plus de deux spectacles sont au rendez-vous chaque soir. Un grand sentiment d’enthousiasme est alors créé autour du théâtre, avec un chiffre d’affaire considérable pour un art qui souffrait depuis toujours de problèmes financiers.« Les espaces privés de performance ont émergé et poussé comme des champignons partout dans Téhéran, qui s’est transformée, en moins de cinq ans, en un grand auditorium où près de 70 spectacles sont montés chaque soir dans plus de 30 salles publiques et privées. »
La plupart de ces théâtres privés sont des maisons particulières vétustes ou des bâtiments abandonnés, reconvertis en petites salles, qui se trouvent à côté de lieux de rassemblement et de divertissement pour la jeunesse, où il est possible de boire une tasse de thé ou de café et d’échanger des propos amoureux ou culturels. En d’autres termes, la plupart de ces nouveaux espaces de performance comptent un complément et/ou une annexe dans les lieux de rassemblement des jeunes, là où ils peuvent passer le temps et se réjouir des libertés dont ils disposent.
Cependant, comme la plupart de ces espaces ont été reconvertis et n’ont pas, sur le plan technique, une sonorité ou un éclairage convenable, beaucoup sont devenus des lieux d’expérience pour les compagnies amateurs, les étudiants ou pour les performances à site spécifique (site-specific performance), dont certains n’ont même pas de bonnes places pour les spectateurs. Parmi les exemples les plus célèbres de ces espaces, la salle de spectacle Da, qui est en fait un bain public de la période Qadjar (environ 1850) reconverti en lieu de représentations, mais qui ressemble plutôt à une cave médiévale qu’à un espace de spectacle familier. Une autre particularité de ces lieux est que la plupart sont des locations. Il est donc possible qu’au bout d’un certain temps leur propriétaire décide de couper court aux activités théâtrales, ce qui supprime du jour au lendemain tout le travail mené par les fondateurs pour avoir un public régulier.
Il existe néanmoins des salles comme le théâtre Paliz ou le théâtre Mostaghel (indépendant), qui sont construits pour le théâtre ou qui ont été reconvertis pour un usage à long terme. Ces salles sont dotées de bonnes normalisations en matière d’éclairage, d’architecture scénique et de places de spectateurs.
Dans une telle situation, tout semble prometteur et agréable au premier regard, mais le problème commence à partir du moment où l’on scrute de plus près ce phénomène.