La France et l’Iran, une passion commune pour le théâtre

Entretien
Théâtre

La France et l’Iran, une passion commune pour le théâtre

Entretien avec François Sénémaud, ambassadeur de France à Téhéran

Le 28 Juin 2017
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 132 - Lettres persanes et scènes d'Iran
132

SM‑L La France entre­tient des rela­tions artis­tiques et cul­turelles (certes pas unique­ment, économiques et poli­tiques bien sûr) avec l’Iran depuis longtemps. Au cours de ces dernières années, des insti­tu­tions cul­turelles français­es de pre­mier plan ont organ­isé, avec votre sou­tien, des échanges assez extra­or­di­naires dans le domaine des arts de la scène et des arts plas­tiques, comme la grande expo­si­tion d’artistes iraniens au Musée d’art Mod­erne de la Ville de Paris… Pou­vez-vous évo­quer cer­tains de ces pro­jets de coopéra­tion qui vous ont paru mar­quants ?

FS Depuis la décou­verte de la Perse en France, notam­ment à tra­vers les réc­its de voy­age de Jean Chardin, nos deux pays entre­ti­en­nent des liens cul­turels très forts. Les échanges entre les artistes français et iraniens sont dens­es, rich­es et ne cessent de se ren­forcer. Au-delà des tré­sors pat­ri­mo­ni­aux qu’abrite le ter­ri­toire iranien, je ne cesse de décou­vrir, depuis mon arrivée à Téhéran, des artistes plus créat­ifs et tal­entueux les uns que les autres.
Le pub­lic français porte un grand intérêt pour la créa­tion con­tem­po­raine irani­enne.
L’exposition Unedit­ed His­to­ry présen­tée au Musée d’art mod­erne de la ville de Paris en 2014 mais aus­si la rétro­spec­tive des œuvres de Sha­di Ghadiri­an à Lyon en 2015, la très forte présence du ciné­ma iranien au fes­ti­val de Cannes en 2016 (avec les prix rem­portés par Asghar Farhâ­di, l’acteur Shahâb Hos­sei­ni, avec la présence dans le jury de la dis­trib­utrice et pro­duc­trice Katay­oun Sha­habi) en témoignent. Dans le domaine du théâtre, la pièce Hear­ing du grand met­teur en scène Amir Rezâ Koohestâni, présen­tée lors du fes­ti­val d’Avignon l’été dernier, a ren­con­tré un immense suc­cès. La mise à l’honneur de l’Iran lors des grands ren­dez-vous cul­turels français reste d’actualité cet été avec une expo­si­tion con­sacrée à l’Iran, Iran année 38, lors des prochaines Ren­con­tres d’Arles. Les com­mis­saires d’exposition Anahi­ta Ghaba­ian et New­sha Tavako­lian présen­tent le tra­vail de 64 pho­tographes, par­mi lesquels des fig­ures con­fir­mées mais aus­si de plus jeunes tal­ents.
En Iran, la cul­ture française béné­fi­cie égale­ment d’un accueil par­ti­c­ulière­ment favor­able. Les artistes français sont de plus en plus présents lors du fes­ti­val nation­al Fad­jr qui, chaque année, de jan­vi­er à avril, met à l’honneur la musique, les arts visuels, le ciné­ma, le théâtre naturelle­ment et tant d’autres formes artis­tiques. Depuis deux ans, chaque print­emps, la Ciné­math­èque du Musée d’art con­tem­po­rain accueille une Semaine du ciné­ma français dont le com­mis­sari­at est assuré par Jean-Michel Frodon, ancien directeur des Cahiers du ciné­ma. De nom­breux artistes français vien­nent en rési­dence en Iran : récem­ment, l’artiste Neïl Belo­ufa a présen­té des instal­la­tions et des vidéos dans un très bel espace recon­ver­ti en cen­tre cul­turel par la fon­da­tion Pej­man au cœur de Téhéran, l’usine Argo, à la suite d’une rési­dence à Téhéran et Ispa­han et d’un tra­vail appro­fon­di avec de jeunes artistes et étu­di­ants en art iraniens. Par ailleurs, nous dévelop­pons peu à peu une présence en province. C’est ain­si que le cen­tre cul­turel du palais Amer­i­ha à Kashan a reçu en févri­er 2017 onze artistes français pour une Semaine cul­turelle française et que nous pré­parons une semaine du Ciné­ma français à Shi­raz, et des ren­con­tres sur les migra­tions à Ispa­han.
Les attentes et l’attrait mutuels sont donc réels. Le défi pour nous a été d’y répon­dre, et notre dis­posi­tif cul­turel, réduit de 2011 à 2015, a vu de nou­velles créa­tions de poste, notam­ment celui d’attachée cul­turelle. Suite à l’accord de Vienne1, nous sommes donc en pleine relance de notre coopéra­tion, dans tous les domaines, et la France retrou­ve sa place sur cette scène cul­turelle irani­enne si dynamique. Beau­coup de chemin a été par­cou­ru en peu de temps, mais nous avons pour ambi­tion de pour­suiv­re et d’intensifier ces efforts.

SM‑L Chaque année, vous organ­isez des pro­jets de coopéra­tion dans le domaine des arts de la scène entre des équipes français­es et irani­ennes. Quels sont vos critères pour choisir ces équipes ?

FS Nous prenons d’abord en compte les attentes de nos parte­naires iraniens. Cer­tains d’entre eux “ont des idées très pré­cis­es sur les artistes qu’ils veu­lent faire venir en Iran, ce qui était le cas pour le cen­tre des Arts dra­ma­tiques avec la dernière édi­tion du fes­ti­val de théâtre Fad­jr. D’autres parte­naires sol­lici­tent davan­tage nos con­seils pour la pro­gram­ma­tion mais in fine, le rôle du ser­vice cul­turel de l’Ambassade n’est pas de se sub­stituer aux acteurs cul­turels, en leur don­nant des pro­jets clés en main, mais de les aider à struc­tur­er leurs idées, de faciliter leur réal­i­sa­tion et de les ouvrir à de nou­velles per­spec­tives. Nous met­tons les per­son­nes et insti­tu­tions en con­tact et facili­tons, par­fois en appor­tant un sou­tien financier, les opéra­tions mais ne les finançons ni les organ­isons jamais en inté­gral­ité.
En out­re, il existe des con­traintes pro­pres à l’Iran en ter­mes de pro­gram­ma­tion cul­turelle qui influ­en­cent néces­saire­ment nos choix et ceux de nos parte­naires. Cepen­dant, ce cadre, bien con­nu, n’empêche pas les artistes français de ren­tr­er ravis de leur séjour et tou­jours très ent­hou­si­astes de la créa­tiv­ité des artistes iraniens, quel que soit le secteur con­cerné.

SM‑L Cette année par exem­ple, vous avez accom­pa­g­né la venue de deux com­pag­nies français­es qui ont été pro­gram­mées dans le Fes­ti­val Inter­na­tion­al de théâtre Fad­jr : la com­pag­nie Pyra­mides (hip hop, dans­es urbaines) et la com­pag­nie Lite­cox avec sa pro­duc­tion fran­co-irani­enne Au-delà des mots. Ces formes dan­sées, musi­cales et/ou visuelles cor­re­spon­dent- elles à une attente du pub­lic iranien ? Voy­a­gent- elles mieux parce qu’elles dépassent les fron­tières de la langue ?

FS Ces formes plus visuelles, qui ont été mis­es à l’honneur lors de la dernière édi­tion du fes­ti­val de théâtre Fad­jr, per­me­t­tent effec­tive­ment de dépass­er la bar­rière de la langue. Elles sont égale­ment moins con­nues ici mais sus­ci­tent beau­coup d’intérêt du pub­lic iranien.
J’ai assisté à la pre­mière du spec­ta­cle Index de la com­pag­nie Pyra­mides qui était déjà venue en Iran il y a quelques années et est par­ti­c­ulière­ment dynamique. Le Cen­tre des arts dra­ma­tiques a égale­ment souhaité insér­er dans la pro­gram­ma­tion du théâtre de rue, qui est une dis­ci­pline dans laque­lle les com­pag­nies français­es excel­lent.
À cet égard, le spec­ta­cle Take-Off de la com­pag­nie Taco­tac, qui exé­cute des acro­baties spec­tac­u­laires sur des échas­s­es pneu­ma­tiques, présen­té sur le parvis du Théâtre de la ville de Téhéran, a ren­con­tré un beau suc­cès ! Le spec­ta­cle Au-delà des mots revê­tait une dimen­sion par­ti­c­ulière étant don­né qu’il était le fruit d’un tra­vail en com­mun, sur plusieurs mois, entre la com­pag­nie française Lite­cox et la com­pag­nie irani­enne Zen­deghi. Cette œuvre jouait juste­ment avec la bar­rière de la langue que vous évo­quez, avec suc­cès. En 2016, le fes­ti­val Fad­jr avait opté pour un spec­ta­cle de théâtre d’objet, Mooooooooon­stres, de la com­pag­nie Label Brut qui avait eu beau­coup de suc­cès auprès des enfants mais aus­si des plus grands. Au-delà de ces formes musi­cales et visuelles, l’Ambassade a apporté son sou­tien à la jeune met­teuse en scène fran­coph­o­ne Sétâreh Amin­ian dont la pièce Le Locataire, pour laque­lle elle a tra­vail­lé avec la com­pag­nie française Réfor­mances, a reçu le Prix spé­cial du fes­ti­val.
Par­al­lèle­ment à ces spec­ta­cles, le dra­maturge Chris­t­ian Siméon, récip­i­endaire du Molière du meilleur auteur, a don­né une con­férence sur l’écriture dra­ma­tique dans le cadre du fes­ti­val, en coopéra­tion avec l’université Azad.

« Depuis la décou­verte de la Perse en France, notam­ment à tra­vers les réc­its de voy­age de Jean Chardin, nos deux pays entre­ti­en­nent des liens cul­turels très forts. […] Je suis sur­pris de voir le nom­bre de pièces présen­tées quo­ti­di­en­nement, ne serait-ce qu’à Téhéran (qui serait de l’ordre de trente par jour) mais aus­si par la créa­tiv­ité des met­teurs en scène. De nou­velles salles de spec­ta­cles ouvrent très régulière­ment. »

SM‑L Pou­vez-vous nous par­ler des grands pro­jets à venir ? Le choré­graphe Chris­t­ian Riz­zo sera pro­gram­mé en Iran en 2017, un pro­jet de coopéra­tion est prévu entre l’Iran et le Théâtre de la Ville de Paris… ?

FS Tout à fait, un pro­jet de coopéra­tion très ambitieux est sur le point de voir le jour entre le Théâtre de la Ville de Paris et celui de la Ville de Téhéran. Sur une péri­ode de trois ans, les insti­tu­tions échang­eront non seule­ment des spec­ta­cles mais aus­si de l’expertise, ce qui est naturelle­ment très impor­tant sur le long terme. Elles mèneront égale­ment un tra­vail impor­tant dans le domaine de la tra­duc­tion pour une meilleure con­nais­sance réciproque des œuvres dans les deux pays.
Le Théâtre de la Ville de Téhéran est une insti­tu­tion par­ti­c­ulière­ment dynamique qui joue un rôle de plus en plus impor­tant non seule­ment dans la présen­ta­tion des pièces mais aus­si dans le domaine de la pro­duc­tion et de la for­ma­tion. L’institution présente aus­si bien des grands clas­siques, comme des pièces de Molière mais aus­si des spec­ta­cles d’auteurs plus con­tem­po­rains. En févri­er et mars 2017, elle a accueil­li le cycle de con­férences Un mois avec les auteurs dra­ma­tiques con­tem­po­rains français lors de laque­lle le pub­lic iranien a pu décou­vrir les œuvres de Michel Deutsch, Michel Vinaver, Bernard-Marie Koltès, Xavier Dur­ringer et Enzo Cor­mann, autour de lec­tures, con­férences et échanges avec des acteurs et met­teurs en scène iraniens.
La France et l’Iran parta­gent une pas­sion pour le théâtre qui, dans ces deux pays, est très riche, dynamique et foi­son­nant. Je suis sur­pris de voir le nom­bre de pièces présen­tées quo­ti­di­en­nement, ne serait-ce qu’à Téhéran (qui serait de l’ordre de trente par jour) mais aus­si par la créa­tiv­ité des met­teurs en scène. De nou­velles salles de spec­ta­cles ouvrent très régulière­ment.
C’est donc très naturelle­ment que les femmes et hommes de théâtre français et iraniens tra­vail­lent ensem­ble et nom­breux sont les passeurs de cul­ture entre nos deux pays qui font vivre notre rela­tion au quo­ti­di­en comme Maryam Kar­roubi, direc­trice d’Artistan, Azar Kaze­mi, Ramona Shah et tous nos inter­locu­teurs du Cen­tre des arts dra­ma­tiques, notam­ment MM. Shafiee et Rayani-Makhsous, et du Théâtre de la Ville de Téhéran, M. Shariati.

  1. L’accord de Vienne : au terme de plusieurs pro­lon­ga­tions, l’Iran et les pays du « P 5+1 » (États- Unis, Russie, Chine, France, Roy­aume-Uni et Alle­magne) sont par­venus à un com­pro­mis sur le nucléaire iranien le 14 juil­let 2015 à Vienne. Six mois après, l’Agence inter­na­tionale de l’énergie atom­ique a don­né son feu vert à la lev­ée des sanc­tions con­tre Téhéran. ↩︎
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Écrit par Sylvie Martin-Lahmani
Pro­fesseure asso­ciée à la Sor­bonne Nou­velle, Sylvie Mar­tin-Lah­mani s’intéresse à toutes les formes scéniques con­tem­po­raines. Par­ti­c­ulière­ment atten­tive aux...Plus d'info
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