La Vitalité du théâtre universitaire à Téhéran

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Réflexion

La Vitalité du théâtre universitaire à Téhéran

Le 20 Juin 2017

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Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 132 - Lettres persanes et scènes d'Iran
132

His­torique
L’Histoire du « théâtre » en Iran est liée de très près aux uni­ver­sités et aux grandes écoles, si bien que la pre­mière salle de spec­ta­cle à la mode européenne fut même amé­nagée au Darol­fo­noun – la pre­mière insti­tu­tion d’études supérieures – dans cette Perse des Qad­jar, suite à l’ordre de Nasered­din Shah en 1885. Quelques années plus tard, c’est grâce aux diplômés d’une autre insti­tu­tion d’études supérieures, l’École des Sci­ences Poli­tiques à Téhéran, que le théâtre prit un nou­v­el élan.
Avec la créa­tion de l’École des arts de l’acteur en 1940 et sous le règne de Reza Shah Pahlavi, une nou­velle étape dans cette union est franchie : l’étatisation de la cul­ture étant désor­mais en marche, l’état veut utilis­er le théâtre comme un moyen pour faire pass­er l’Iran féo­dal à l’Iran mod­erne et cette École devait per­me­t­tre la for­ma­tion des agents, capa­bles de con­cré­tis­er ce pro­jet.
Cette portée restric­tive ne parvint pas à per­ver­tir com­pléte­ment cette entre­prise, et l’École – dotée dès le départ d’une petite salle de for­tune réservée aux représen­ta­tions des spec­ta­cles pré­parés par ses aspi­rants comé­di­ens (des « appren­tis ») –, à l’issue de la pre­mière pro­mo­tion de ses élèves, per­me­t­trait l’apparition du pre­mier lieu per­ma­nent voué à l’art du spec­ta­cle dans la cap­i­tale irani­enne.
Mais l’avènement du théâtre en tant que dis­ci­pline uni­ver­si­taire advint après le coup d’État de 1953, et suite à l’arrivée de trois pro­fesseurs améri­cains qui don­naient des cours sur l’art dra­ma­tique à l’Université de Téhéran en pré­parant quelques spec­ta­cles avec des étu­di­ants de divers­es fac­ultés ou des appren­tis, le départe­ment du théâtre au sein de la Fac­ulté des Beaux-Arts de cette Uni­ver­sité voit le jour en 19651. Mais un an plus tôt, un autre étab­lisse­ment d’enseignement supérieur sur l’art théâ­tral avait été créé. Dès le départ, le tra­vail pra­tique faisant par­tie inté­grante de la for­ma­tion des étu­di­ants, ils n’auraient plus besoin de quit­ter le pays pour étudi­er l’art scénique à l’étranger ; l’État encore une fois arrivait à for­mer ses « artistes » sur mesure. Mais il n’y est pas par­venu. Mal­gré toutes les lacunes et dif­fi­cultés qui per­sis­teront (et qui per­sis­tent tou­jours à l’heure actuelle), ce fut un tour­nant majeur dans l’histoire du théâtre iranien. Et aujourd’hui, avec cinq uni­ver­sités qui pro­posent des études théâ­trales à Téhéran et de nom­breuses fac­ultés dans les provinces, c’est une part con­sid­érable de la vital­ité du théâtre iranien qui revient au théâtre uni­ver­si­taire.

Tra­vail avec péd­a­gogue
Con­crète­ment, le théâtre uni­ver­si­taire en Iran se définit en par­tie par les spec­ta­cles créés à par­tir de la col­lab­o­ra­tion entre un enseignant et un groupe d’étudiants. L’un de ces met­teurs en scène/pédagogue, qui a trou­vé un ter­rain prop­ice à ces activ­ités dans les uni­ver­sités, est Hamid Pourazari (né en 1968). D’abord étu­di­ant, il entre à l’Université dans le but de con­stituer une troupe de théâtre ; ce qu’il fit avec la for­ma­tion du « Pâpati­hâ » (lit­térale­ment « des pieds nus »). Au fil des ans, elle est dev­enue une des com­pag­nies phares du théâtre iranien, régulière­ment ali­men­tée par l’arrivée de nou­veaux mem­bres, pour la plu­part des étu­di­ants du théâtre ou des appren­tis qui déci­dent après quelque temps d’entamer des études uni­ver­si­taires dans le domaine théâ­tral. L’approche sérieuse et inven­tive avec laque­lle Pourazari abor­de ses pro­jets théâ­traux y est sûre­ment pour quelque chose.
Par ailleurs, c’est dans une telle struc­ture créée par des étu­di­ants non for­matés qu’il peut compter pour con­cré­tis­er les spec­ta­cles non con­ven­tion­nels qu’il monte dans des lieux peu habituels, allant de galeries d’art au park­ing de l’université en pas­sant par un stade de ten­nis. Son rôle péd­a­gogique au sein des uni­ver­sités comme celle de Téhéran, ouvre un nou­veau chapitre de ses activ­ités. Cha­cun de ses cours semes­triels débouche sur une représen­ta­tion, un aboutisse­ment du tra­vail accom­pli durant cette péri­ode. Une fois, le cam­pus de la fac­ulté a accueil­li six per­for­mances d’étudiants dont une avec un spec­ta­teur unique, avec un texte et un plan de représen­ta­tion aléa­toire. Une autre fois, il a réu­ni ses étu­di­ants de divers­es uni­ver­sités pen­dant quelques jours, et, à l’occasion de l’ouverture d’un nou­veau cen­tre com­mer­cial à Téhéran, le Arg Cen­ter, ils ont présen­té une per­for­mance inti­t­ulée Shab‑e Yal­da (la nuit même de Yal­da), la fête qui mar­que en Iran le pas­sage à l’hiver. Dans ce tem­ple de
con­som­ma­tion ultra-mod­erne, les étudiants/performeurs allaient à la ren­con­tre des clients/ spec­ta­teurs, vêtus d’habits du « vieux Téhéran ».

Pourazari n’est pas le seul met­teur en scène iranien qui bâtit l’univers de ses spec­ta­cles avec ses étu­di­ants, en leur per­me­t­tant de met­tre en pra­tique leurs acquis et de se famil­iaris­er dans la pra­tique à d’autres approches artis­tiques. En revanche, s’il s’appuie plutôt sur leur grande capac­ité à s’adapter à des sit­u­a­tions imprévues, Ali Akbar Alizad (né en 1973), par exem­ple, mise en par­ti­c­uli­er sur leur disponi­bil­ité à long terme. Selon l’une de ses actri­ces, Tina Younestabar, Alizad exige que son analyse des pièces choisies et de leurs per­son­nages – qui changent rarement au cours des répéti­tions – et les grandes lignes de sa mise en scène soient con­crétisées par les comé­di­ens qui, dans ce cadre, peu­vent avancer leurs propo­si­tions par le biais d’improvisations. C’est un proces­sus qui prend du temps. Alors, en invi­tant les étu­di­ants à pass­er un test, il a for­mé son équipe et a pu béné­fici­er des répéti­tions s’étalant sur une année pour des représen­ta­tions de Langue de la mon­tagne d’Harold Pin­ter accom­pa­g­née d’un épisode de Atteintes à sa vie de Mar­tin Crimp. Dans la sit­u­a­tion actuelle du théâtre iranien, il serait effec­tive­ment impos­si­ble de deman­der aux acteurs dits « pro­fes­sion­nels » de sac­ri­fi­er autant de temps à la créa­tion d’un spec­ta­cle.

Étudiants/créateurs
L’autre volet essen­tiel dans le théâtre uni­ver­si­taire iranien con­cerne cer­taine­ment les travaux mis en scène de bout en bout par les étu­di­ants eux-mêmes. Ces travaux se divisent en trois caté­gories : ceux qui voient le jour à l’occasion des divers fes­ti­vals de théâtre des­tinés aux étu­di­ants et si, à cette occa­sion, ils devaient rem­porter un prix, la com­pag­nie peut aisé­ment envis­ager une représen­ta­tion publique ; ceux qui sont pré­parés dans le cadre de pro­jets de fin d’études. Il arrive égale­ment que cer­tains étu­di­ants, en louant une salle par exem­ple, réus­sis­sent à présen­ter leur spec­ta­cle en dehors de ces deux caté­gories. Mais cela reste rare.
Les fes­ti­vals demeurent une vit­rine bien vis­i­ble pour les travaux des étu­di­ants. Le fes­ti­val majeur reste sans doute le Fes­ti­val Inter­na­tion­al du Théâtre Uni­ver­si­taire en Iran qui célèbre en 2017 sa 20e édi­tion. Cepen­dant, ces dernières années ont vu de nou­veaux lance­ments de fes­ti­vals, certes plus mod­estes et sou­vent thé­ma­tiques – pour leur per­me­t­tre de se dis­tinguer des autres – mais non moins intéres­sants. C’est juste­ment dans ce genre d’événements, et au prisme des sujets abor­dés et des manières dont on les traite, que nous pou­vons voir, d’une part, la per­cep­tion qu’ont ces jeunes gens du monde qui les entoure et du milieu dans lequel ils évolu­ent, et, d’autre part, com­ment ils pensent et pra­tiquent le théâtre.

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Fahimeh Najmi
Fahimeh NAJMI. Docteure en Études théâtrales, diplômée de l’Université Sorbonne Nouvelle, elle a publié Le...Plus d'info
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