Littérature dramatique iranienne : focus sur cinq auteurs vivants

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Littérature dramatique iranienne : focus sur cinq auteurs vivants

Le 19 Juin 2017

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Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 132 - Lettres persanes et scènes d'Iran
132

Un parte­nar­i­at entre les Théâtres de la Ville de Téhéran et de Paris est à l’étude pour les trois saisons à venir. La pre­mière par­tie du pro­gramme sera con­sacré à un cycle de lec­tures d’auteurs con­tem­po­rains (Iraniens en France et Français en Iran), la deux­ième à un pro­gramme de formes légères choisies en France et présen­tées dans chaque ville, la troisième à la présen­ta­tion con­jointe d’une grande créa­tion. La décou­verte de ces cinq dra­maturges iraniens, de généra­tions dif­férentes, inau­gure ce pro­jet de coopéra­tion fran­co-iranien : Bahrâm Béyzâei, Alirézâ Nadéri, Moham­mad Yaghoubi, Nagh­meh Sami­ni, Nadér Borhâni Marande…

Bahrâm Béyzâei est né le 26 décem­bre 1938 à Téhéran, à l’époque où le nom d’« Iran » fut choisi pour désign­er un pays qui por­tait autre­fois le nom de « Perse » ou « Pars ». À vingt ans à peine, il écrit la pièce Arash, qu’il a qual­i­fiée lui-même de « Barkhani » (terme inven­té par l’auteur qui sig­ni­fie lec­ture à voix haute, mise en voix). Arash est un héros mythique iranien, dont l’histoire remonte à un légendaire con­flit frontal­ier entre l’Iran et le Touran [Turkestan], ini­tié par un tir lancé par le pro­tag­o­niste. Selon la légende, ce tir a tra­ver­sé des ter­ri­toires pen­dant des jours et des nuits. Béyzâei, dans sa pièce Barkhani Arash, fait déjà ce qu’on retrou­vera dans ses œuvres ultérieures. Il met en doute la sain­teté qui se dégage des per­son­nages des ver­sions mythiques et s’interroge sur la sig­ni­fi­ca­tion dom­i­nante enrac­inée dans cette cul­ture archaïque. Il va en quête des con­tra­dic­tions et des failles qui émail­lent ces légen­des inébran­lables, à la recherche de la voix silen­cieuse et sourde des déshérités, des opprimés, des femmes et des intel­lectuels, tous ces sans-voix de notre His­toire despo­tique, patri­ar­cale et mono­corde.
Dans Arash, le per­son­nage éponyme n’est pas un héros légendaire mais un homme ordi­naire, un dresseur de cheval de l’armée royale, qui procède à un acte de bravoure dans des cir­con­stances for­tu­ites où il se trou­ve. Ain­si, à la fin de la pièce, le pro­tag­o­niste est démythi­fié. Ce nou­v­el Arash n’est qu’un homme nor­mal qui s’est illus­tré et est resté dans l’Histoire, au cœur d’une réal­ité qui, loin d’être prédéter­minée et sta­tique, est créa­tive et dynamique. Béyzâei impose à l’Histoire, d’une manière puis­sante, cette réal­ité qu’il crée lui-même, en con­stru­isant un lan­gage qui se per­pétue dans les ruines de la langue per­sane.
Alirézâ Nadéri, né le 21 avril 1961, à Téhéran, a fait ses études au départe­ment des arts dra­ma­tiques et de musique de la Fac­ulté des Beaux-Arts de l’Université de Téhéran. Il est sans aucun doute par­mi les trois pre­miers grands dra­maturges iraniens con­tem­po­rains. Il fut un excel­lent pro­fesseur, dans divers­es uni­ver­sités et étab­lisse­ments académiques, qui a tou­jours exer­cé une grande influ­ence sur ses étu­di­ants, devenus aujourd’hui, pour la plu­part, des dra­maturges. Il est, encore aujourd’hui, en quête de nou­velles méth­odes d’enseignement et d’approches théoriques. Ces dernières années, il a écrit des pièces de théâtre, scé­nar­ios de films et séries télévisées. Cha­cune de ces œuvres récentes présente un style orig­i­nal. Ces thé­ma­tiques prin­ci­pales sont : la guerre, la pau­vreté et un tra­vail sin­guli­er sur la langue.
Nadéri fut sol­dat pen­dant la guerre de huit ans imposée par Sad­dam Hus­sein à l’Iran (guerre Iran-Irak de 1980 à 1988). Il s’inspire de cette expéri­ence pour écrire mais sa vision paci­fique et la poly­phonie de son œuvre, qui révèle une satire par­fois trop franche, n’ont jamais con­cordé avec la représen­ta­tion offi­cielle de cette guerre.
Son livre le plus impor­tant sur la guerre est Les Mur­mures der­rière la ligne du front, mais il y en a d’autres, comme Qua­tre réc­its adop­tés des his­toires de Rah­man et du mur. Le sou­venir de l’assaut des extrémistes et des mil­ices fon­da­men­tal­istes à la salle Molavi, alors que se pro­dui­sait ses Mur­mures… reste encore ancré dans la mémoire des ama­teurs de théâtre en Iran. Même sans avoir lu le texte, son titre en dit long sur la prob­lé­ma­tique dont traite l’auteur.
Qua­tre réc­its… est beau­coup plus expéri­men­tal par rap­port à Mur­mures…, plus auda­cieux du point de vue de la forme. Après une péri­ode con­sacrée à la pièce Le Bon­heur ébran­lable des gens mis­érables, Nadéri s’occupe de la matière brute de l’écriture, c’est-à-dire la langue. Quelque soit la forme du texte (pièce, scé­nario ou série télévisée), elle offre à l’écrivain l’opportunité de dévelop­per une intrigue sim­ple avec peu de per­son­nages, qui lui per­me­t­tent de faire des jeux de mots, de lan­gage, tels que des rimes, des calem­bours et des Saj’s (rimes pour la prose, comme dans les textes de Sa’di).
Nadéri, qui porte tou­jours sur les évène­ments un regard paci­fique, dévelop­pant une satire déli­cate et caus­tique, dans une nar­ra­tion hon­nête et empathique vis-à-vis de la vie dif­fi­cile des per­son­nes issues des couch­es urbaines inférieures, a mar­qué, par son écri­t­ure sin­gulière, la dra­maturgie con­tem­po­raine irani­enne.
Moham­mad Yaghoubi est de six ans le cadet d’Alirézâ Nadéri. Né dans une ville du Nord de l’Iran, son opti­misme, son amour de la réus­site et son sourire ne l’ont pas empêché de créer une œuvre impor­tante, qui est même dev­enue un courant à part. Au milieu des années 1990, avec ses pièces dont les his­toires se déroulent dans la cham­bre à couch­er ou la salle de séjour des familles appar­tenant aux couch­es moyennes de la société, il a ouvert au théâtre de nou­velles per­spec­tives. Les cri­tiques et les jour­nal­istes l’ont défi­ni « le dra­maturge de la classe moyenne », une appel­la­tion qui ne vaut que dans le milieu cul­turel iranien, car elle cache une ten­sion idéologique qui n’est pas encore résolue près de quar­ante ans après la révo­lu­tion irani­enne de 1979. Il existe, en effet, une guerre masquée entre le gou­verne­ment et la classe moyenne pour le choix du mode de vie. C’est pourquoi, écrire sur la classe moyenne et représen­ter la vie de ces couch­es sociales peut révéler des ten­sions idéologiques graves. En témoignent les nom­breuses cen­sures exer­cées sur les œuvres lit­téraires, la dépro­gram­ma­tion de cer­tains films et pièces de théâtres qui trait­ent de cela. Au milieu des années 1990, quand Yaghoubi a osé écrire le pre­mier sur la vie de cette classe moyenne, les ten­sions étaient beau­coup plus lour­des qu’aujourd’hui. Il a posé un acte lit­téraire et cul­turel, mais aus­si poli­tique, qui eut de grandes réper­cus­sions. Quelques mois après l’élection de Moham­mad Khata­mi à la tête du gou­verne­ment iranien, sa pièce Hiv­er 1988 fut mon­tée, et elle con­nut un énorme suc­cès.
Hiv­er 1988 est une sorte de méta-drame basé sur les envois de mis­sile sur Téhéran par les forces baa­sistes de l’armée de Sad­dam Hus­sein pen­dant l’hiver 1988.

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