Politique culturelle et arts de la scène en Iran

Entretien
Théâtre

Politique culturelle et arts de la scène en Iran

Entretien avec M. Payman Shariati, directeur du Théâtre de la Ville de Téhéran

Le 29 Juin 2017

A

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Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 132 - Lettres persanes et scènes d'Iran
132

SM‑L Depuis quelques années, en France et en Bel­gique tout du moins, les obser­va­teurs de la scène théâ­trale s’intéressent de plus en plus aux arts de la scène en Iran. La spé­cial­iste de théâtre en Iran Lil­iane Anjo, écrivait dans la Revue de Téhéran : « Le théâtre iranien con­tem­po­rain est depuis plusieurs années tra­ver­sé par une sorte d’élan vital… Depuis la fin des années 1990, le nom­bre de troupes et de spec­ta­cles ne cesse de croître. » Si vous êtes d’accord avec cette data­tion, com­ment expliquez-vous ce phénomène ?

PS En effet, je peux con­firmer cette date. Une des expli­ca­tions vient du fait que le nom­bre de fac­ultés de théâtre a con­sid­érable­ment aug­men­té. La deux­ième rai­son est liée à la jeunesse de la société irani­enne. Par­mi les jeunes gens qui ont suivi les fil­ières d’art dra­ma­tique, un grand nom­bre est entré dans le monde pro­fes­sion­nel du théâtre depuis. La généra­tion qui est née dans les années 1970, avant la Révo­lu­tion, est entrée dans la vie active dans les années 1990, et le monde artis­tique a évidem­ment attiré un grand nom­bre de jeunes. Nous savons que chaque année, 700 à 1100 étu­di­ants sor­tent diplômés des uni­ver­sités de théâtre. Cela explique en grande par­tie le nom­bre crois­sant de créa­tions. La présence des com­pag­nies irani­ennes dans les fes­ti­vals à l’étranger a égale­ment débuté à ce moment-là.
Il est cer­tain que le développe­ment d’internet a favorisé les rela­tions inter­na­tionales entre artistes.

SM‑L Avec quels pays développez-vous des pro­jets théâ­traux ?

PS Les cur­sus uni­ver­si­taires à Téhéran sont très influ­encés par ce qui se passe en Europe.
Il y a donc une rela­tion naturelle entre l’Iran et plusieurs pays européens. Les Iraniens regar­dent beau­coup ce qui s’y passe, la manière de con­cevoir des pro­gram­ma­tions et de pro­duire des pro­jets aus­si. Nous dia­loguons notam­ment avec la Bel­gique, l’Allemagne, la France, des pays où le théâtre iranien a pu exis­ter. Nous nous sommes égale­ment intéressés aux pra­tiques artis­tiques et cul­turelles de l’Asie de l’Est, de la Chine, de la Corée et du Japon… Nous avons égale­ment noué des échanges impor­tants avec la Pologne, autour de la con­cep­tion de fes­ti­vals de théâtre de mar­i­on­nettes en plein air.

SM‑L Le pre­mier Guide de théâtre iranien1 a récem­ment été pub­lié. Il donne un aperçu de l’ampleur du dis­posi­tif théâ­tral dans le pays. Pou­vez-vous nous don­ner des clés pour com­pren­dre le paysage théâ­tral dans toute sa com­plex­ité : dans les provinces et à Téhéran ; struc­tures d’État et éclo­sion des salles privées ; formes tra­di­tion­nelles et con­tem­po­raines ; en salle et hors les murs…

PS Ce guide est effec­tive­ment très impor­tant pour nous. Pen­dant longtemps, nous avons tra­vail­lé sans guide exhaus­tif de ce type, sans doc­u­men­ta­tion large sur le théâtre iranien.
Il nous a paru impor­tant de rap­pel­er qu’il ne se résume pas au théâtre à Téhéran. Il existe forte­ment dans toutes les provinces du pays !
Nous avions besoin d’un out­il neuf pour affin­er notre con­nais­sance des arts dra­ma­tiques depuis les années 1970, d’un out­il sta­tis­tique de ce genre pour com­pren­dre, par exem­ple, l’influence des uni­ver­sités sur la vital­ité artis­tique aujourd’hui, pour con­naître le poids des struc­tures gou­verne­men­tales et non gou­verne­men­tales dans le paysage théâ­tral… Pour être pré­cis, en Iran, il y a vingt-trois uni­ver­sités dédiées au théâtre, huit insti­tu­tions privées et trois insti­tu­tions publiques (uni­ver­sités des sci­ences appliquées et tech­nolo­gies)2. À Téhéran, il y a vingt-qua­tre salles gou­verne­men­tales (des salles sub­ven­tion­nées par l’État) et cent six privées. Dans les autres provinces d’État, on compte vingt-trois salles privées. Le but de ce nou­veau guide est de recenser la diver­sité des pos­si­bil­ités exis­tantes en espérant que l’État pour­ra mod­i­fi­er ses modes d’interventions.

SM‑L En France, le min­istère de la Cul­ture définit et insuf­fle la poli­tique cul­turelle des étab­lisse­ments publics (quel que soit le label), sur l’ensemble du ter­ri­toire via les DRAC (Direc­tions Régionales des Affaires Cul­turelles).
Qu’en est-il en Iran ? De quel type d’intervention par­lez-vous ?

PS En Iran, c’est l’État qui définit la poli­tique cul­turelle. Jusqu’à main­tenant, il imag­i­nait les axes directeurs de cette poli­tique (dans tous les secteurs artis­tiques, théâtre mais aus­si ciné­ma, arts plas­tiques…) et la sub­ven­tion­nait. Ces cinq dernières années, le nom­bre de pro­duc­tions de spec­ta­cles a énor­mé­ment aug­men­té, en rai­son de l’arrivée sur le marché de l’emploi des jeunes gens diplômés en études théâ­trales et de la mul­ti­pli­ca­tion des espaces de représen­ta­tion (publics mais aus­si privés). L’État pour­suit cepen­dant son sou­tien aux struc­tures théâ­trales, notam­ment en ter­mes de sub­ven­tion directe aux com­pag­nies. Mais quand l’État soute­nait env­i­ron soix­ante-dix œuvres par an il y a six ans, il octroie aujourd’hui un mon­tant glob­al – certes un peu aug­men­té – mais répar­ti sur deux-cents œuvres théâ­trales par an… On note égale­ment que le théâtre se présente de moins en moins comme un art réservé à un pub­lic par­ti­c­uli­er, priv­ilégié. Le fait que de nom­breux jeunes vien­nent se for­mer à Téhéran avant de retourn­er vivre, et faire vivre les out­ils cul­turels dans les provinces irani­ennes, explique en par­tie cette ten­dance à la « démoc­ra­ti­sa­tion » cul­turelle.
Par ailleurs, l’État a choisi de dimin­uer son sou­tien glob­al aux com­pag­nies, en rai­son du nom­bre crois­sant des com­pag­nies et des œuvres déjà évo­qué, et aus­si pour amélior­er l’économie du spec­ta­cle vivant, qui peut génér­er de nou­velles recettes finan­cières grâce à la bil­let­terie ou au sou­tien de la sphère privée (mécé­nat et spon­sor­ing). Le théâtre n’est plus con­sid­éré comme un art ne pou­vant sur­vivre qu’avec des sub­ven­tions. Ces dernières années, l’État a essayé de jouer son rôle tout en facil­i­tant la présence
du secteur privé dans le domaine cul­turel. Il a égale­ment souhaité accom­pa­g­n­er qual­i­ta­tive­ment l’augmentation du nom­bre de créa­tions, tout en essayant de légitimer des formes de spec­ta­cle très sou­vent décon­sid­érées en Iran, comme le théâtre jeune pub­lic ou le théâtre de mar­i­on­nettes.
Enfin, d’après les lois en Iran, toute pièce de théâtre mais égale­ment toute œuvre artis­tique, ciné­matographique, musi­cale, etc. doit recevoir les autori­sa­tions de l’État.

SM‑L En Europe comme à l’échelle inter­na­tionale, nous con­nais­sons rel­a­tive­ment bien le ciné­ma iranien, mais notre con­nais­sance du théâtre se lim­ite mal­heureuse­ment aux œuvres du met­teur en scène Amir Rezâ Koohestâni.
Com­ment expliquez-vous cela ?

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Payman Shariati
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Sylvie Martin-Lahmani
Professeure associée à la Sorbonne Nouvelle, Sylvie Martin-Lahmani s’intéresse à toutes les formes scéniques contemporaines....Plus d'info
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