Si loin, si proche

Théâtre
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Si loin, si proche

Le 30 Juin 2017

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Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 132 - Lettres persanes et scènes d'Iran
132

1Que savons-nous en Occi­dent de la cul­ture irani­enne en 2017 ? Pour quelques éru­dits, c’est sans doute la terre des minia­tures per­sanes et des enlu­min­ures sub­limes, le pays de la lit­téra­ture !
Celui des poètes per­sans comme Fer­dowsi (auteur du Shâh Nâmeh), Khayyam, Saa­di, Hafez, des mys­tiques tels Rûmî et Attar… Comme le souligne l’écrivaine Nahal Tajadod : « En Iran, nos poètes sont des best-sell­ers. […] À l’époque où il y avait encore des anal­phabètes, cer­tains d’entre eux étaient capa­bles de réciter de la poésie pen­dant une demi-heure. Aujourd’hui encore, à Shi­raz, où sont enter­rés Hafez et Saa­di, il y a, à cinq heures de l’après-midi, un embouteil­lage mon­strueux entre leurs tombes. Dans les con­ver­sa­tions, les gens peu­vent citer un vers de Khayyam comme s’il s’agissait d’une expres­sion banale. »2

Pour la plu­part des européens, l’Iran con­tem­po­rain est surtout con­nu grâce à l’art ciné­matographique. Du Per­sépo­lis de Mar­jane Sar­trapi (inspiré de la bande dess­inée) aux œuvres d’Abbas Kiarosta­mi ou Ash­gar Farhâ­di (entre autres), notre con­nais­sance per­sane s’étoffe. Dans son dernier film, Le Client, un texte dra­ma­tique d’Arthur Miller occupe une place cen­trale. Nous pub­lions dans ce numéro un entre­tien avec le réal­isa­teur dou­ble­ment couron­né par l’Ours d’or à Berlin en 2011 et l’Oscar du meilleur film étranger en 2012 pour Une Sépa­ra­tion (cf. « La vie et le théâtre s’entremêlent dans l’existence »). Pour M. Pay­man Shariati, actuel directeur du Théâtre de la Ville de Téhéran, l’engouement pour le ciné­ma de M. Farhâ­di a par ailleurs la ver­tu d’attirer le regard des occi­den­taux sur un théâtre iranien, peu con­nu en réal­ité mal­gré sa grande vital­ité.
Pour la spé­cial­iste de théâtre en Iran Lil­iane Anjo3 : « Depuis l’élection d’Hassan Rohâni à la prési­dence de la république islamique en juin 2013, le cli­mat d’optimisme et l’espoir que son gou­verne­ment incar­ne dans un cri de ral­liement, a encour­agé les artistes à réin­ve­stir la scène théâ­trale de plus belle. En dépit des aléas, l’art dra­ma­tique s’affiche tou­jours plus auda­cieux et l’effervescence théâ­trale en Iran n’a aujourd’hui rien à envi­er au bouil­lon­nement artis­tique que la révo­lu­tion de 1979 était soudain venue inter­rompre ». Jusque-là, l’Iran jouis­sait d’une répu­ta­tion de vit­rine de l’avant-garde artis­tique, rap­pelle-t-elle. On pense au Fes­ti­val des arts de Shi­raz-Per­sépo­lis4 qui a accueil­li de 1967 à 1977 tous les plus grands artistes per­sans et inter­na­tionaux dans tous les domaines de la scène (musique, danse, théâtre…), au théâtre par exem­ple, Jerzy Gro­tows­ki, Peter Brook, Tadeusz Kan­tor, Arby Ovaness­ian, Bijan Mofid, Davoud Rashi­di, Peter Schu­mann, Parviz Sayyad, Andrei Șer­ban, Robert Wil­son…, avec des formes con­tem­po­raines ou tra­di­tion­nelles comme le Ta’zieh iranien, le Kathakali indi­en, ou le Noh japon­ais… Con­tro­ver­sé sur le plan cul­turel et jugé anti-islamique par « La Révo­lu­tion cul­turelle », le fes­ti­val fut inter­dit à l’aube de la révo­lu­tion de 1979. Peter Brook par­tic­i­pa à cette man­i­fes­ta­tion mythique avec La Con­férence des oiseaux (de Far­rid Uddin Attar), à Shi­raz, dont Georges Banu nous livre ici un sou­venir.
Dans son arti­cle sur le théâtre iranien des années 1970 à 2014, Lil­iane Anjo décrit égale­ment l’important moment de rup­ture qui s’est opéré à la fin des années 1980 : « Ce n’est qu’après la guerre Iran-Iraq et le décès de l’âyatollah Khome­yni (1989) que l’atmosphère dans le monde du théâtre se mit à chang­er.
À la faveur d’une poli­tique d’émancipation des affaires théâ­trales du dis­cours de pro­pa­gande, les artistes réin­ve­stirent pro­gres­sive­ment la scène.
Mais c’est suite à la vic­toire prési­den­tielle de Mham­mad Khâ­ta­mi (1997) et l’accession au pou­voir des réfor­ma­teurs que le théâtre entra dans une ère nou­velle. […] C’est à ce moment pré­cis que de nom­breux dra­maturges et met­teurs en scène, devenus depuis lors de grands noms du théâtre iranien con­tem­po­rain, firent leurs pre­miers pas sur les planch­es : Nagh­meh Sami­ni, Jalâl Tehrâni, Moham­mad Ya’qoubi, Moham­mad Rezâei Râd, Ali Rezâ Nâderi, Chistâ Yas­re­bi ou encore Amir Rezâ Kouh­estâni. La néces­sité d’obtenir une autori­sa­tion de représen­ta­tion restait évidem­ment à l’ordre du jour, mais le con­seil de sur­veil­lance et d’évaluation (Shurâ-yenezârat va arzeshyâbi) en charge d’émettre cette autori­sa­tion menait une poli­tique d’assouplissement de la cen­sure que ces artistes surent exploiter. » Le directeur du Cen­tre des Arts Dra­ma­tiques de l’époque expli­quait qu’il s’agissait de « garder à l’esprit la con­jonc­ture de la société et de con­sid­ér­er les sen­si­bil­ités exis­tantes par rap­port à la reli­gion et à la révo­lu­tion ».

« le respect des codes de con­duite en vigueur dans l’espace pub­lic iran­ion [… vaut] aus­si bien pour les spec­ta­cles qui reposent sur un texte que pour les spec­ta­cles visuels, et les artistes ont depuis longtemps appris l’art du con­tourne­ment et de la négo­ci­a­tion dans ce domaine.
L’inventivité en la matière est inouïe et les spec­ta­teurs iraniens con­nais­sent par­faite­ment le sens caché de cer­taines allu­sions sur scène. »

Les con­signes édic­tées aux artistes par le con­seil de sur­veil­lance et d’évaluation sont notam­ment calquées sur le respect des codes de con­duite en vigueur dans l’espace pub­lic iranien : port du voile, inter­dic­tion de danser et d’entrer en con­tact physique avec un parte­naire mas­culin pour les femmes ; tenue et com­porte­ment décents, défense de touch­er les comé­di­ennes sur scène, pour les hommes. Ces inter­dic­tions valent aus­si bien pour les spec­ta­cles qui reposent sur un texte que pour les spec­ta­cles visuels, et les artistes ont depuis longtemps appris l’art du con­tourne­ment et de la négo­ci­a­tion dans ce domaine. L’inventivité en la matière est inouïe et les spec­ta­teurs iraniens con­nais­sent par­faite­ment le sens caché de cer­taines allu­sions sur scène. Inter­rogé par Moham­madamin Zamani, le sémi­o­logue Farzan Sojoo­di pro­pose ici une approche inter­cul­turelle des codes de la représen­ta­tion du théâtre iranien, afin de per­me­t­tre au spec­ta­teur occi­den­tal de com­pren­dre dans quel dynamisme social et poli­tique ils se for­ment et se trans­met­tent.

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Sylvie Martin-Lahmani
Professeure associée à la Sorbonne Nouvelle, Sylvie Martin-Lahmani s’intéresse à toutes les formes scéniques contemporaines....Plus d'info
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